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Abstracter : Abominion

Sentient Ruin Laboratories, 2021

Blackened Sludge Doom, Etats-Unis

Album CD

Inlassablement, Abstracter continue de forer la terre viciée d'un blackened sludge doom dont il repousse à chaque fois les limites d'une violence souterraine. Où s'arrêtera-t-il ? Nul le sait. Lui non plus. Ce qui est certain en revanche réside dans le degré d'effroi que l'énoncé de son seul nom suffit à déclencher car ses méfaits sonnent à chaque fois comme la promesse d'une plongée dans l'indicible. Sans espoir de retour. Jamais. Il y a même quelque chose de masochiste à vouloir s'abîmer dans les albums des Américains dont la noirceur charbonneuse colle à priori mal avec la Californie ensoleillée où ils sont nés. Mais peut-être que le groupe, par la mortifère négativité de son expression sonore radicale, n'est que l'illustration d'un monde actuel perclus de douleur et de haine, arrivé au stade terminal d'une évolution qui ne peut se solder que par l'apocalypse.

Loin d'une expérience confortable, écouter Abstracter revient à poser son regard sur un champ de ruines et sur le miroir qu'il nous tend. Et ce qu'il offre à contempler n'est pas très joli, c'est même très laid. Depuis Cinereous Incarnate (2018), les Américains ne vont pas vraiment pas mieux, puisant il est vrai dans un environnement de plus en plus oppressant, le terreau servant à nourrir son inexorable nihilisme. Abominion porte donc bien son nom, fosse abyssale qu'aucun lumière ni salut ne parviennent jamais à éteindre. Fidèle à une écriture tendue comme une verge gonflée d'une semence malsaine, le groupe érige un bloc de matière brute, obscure comme l'ébène, trou noir capable d'avaler, de phagocyter la moindre petite trace de vie, d'appuyer sur l'interrupteur pour nous plonger dans une nuit éternelle peuplée de sentiments inavouables.

Ce quatrième album a quelque chose d'un labyrinthe niché dans une panse congestionnée de pus et dont les boyaux sont labourés au moyen de fielleuses excavatrices qu'incarnent aussi bien le chant frotté avec du papier de verre de Mattia Alagna que ces guitares écrasées sous du plomb en fusion. Si 'Eclipse Born' puis 'Warhead Twilight' témoignent de la faculté qu'a toujours le groupe d'accoupler étreintes polluées et brutales éruptions de violence sordide en un fracas halluciné, à partir de 'Tenebrae', le programme pénètre plus encore dans les replis tentaculaires d'arcanes corrompues et effroyables. Les bien nommés 'Abyss Above' et 'Lighteater' culminent en un paroxysme de noirceur comprimée, fouillant à la manière d'un vît bestial une intimité grouillante de nocivité. Au terme de ces vingt minutes aussi définitives qu'abominables qui s'abattent sur le pèlerin comme une chape cyclopéenne, il ne peut rester que le néant. Et la mort.

Avec une force goudronneuse et chirurgicale, Abstracter hybride le black metal le plus compulsif  avec le sludge doom le plus cryptique accouchant plus que jamais d'une excroissance suffocant dans sa démesure funéraire. Abominion remue autant l'âme que les chairs à la façon d'une coloscopie rude et cendreuse.

Childeric Thor - 8/10