Cold Dark Matter Records, 2018
Indus Darkwave, France
EP Digital
Petit agrégat digital de quatre pistes peut-être, De marées en oubli mérite pourtant qu’on s’arrête sur sa bonne vingtaine de minutes de sonorités tristes et glaciales comme une plage en hiver et ce, pour plusieurs raisons. Parce qu’il est le fruit de la copulation fiévreuse de deux âmes qui ont la noirceur corrosive chevillée au corps. I Lucifera (chant) et Damien Luce (le reste) se partagent ainsi la conception de ce galop d’essai que le label du second, Cold Dark Matter, diffuse et que Loic F. (Autokrator) a mixé et masterisé, ne se privant pas d’y introduire quelques lignes de guitare de son cru.
Parce que Givoldi Fossa n’a pas besoin de plus pour esquisser déjà un univers aussi bien sonore que textuel prometteur, lequel sillonne les eaux acides et gothiques de la darkwave et du post-punk, si tant est que ces étiquettes collent véritablement à la proue de ce navire qui fend le mur froid d’une mer chargée d’écume mortifère. De loin, cette hydre à deux têtes semble errer à des années-lumière de son terrain de chasse habituel, I Lucifera surtout, dont l’art noir qu’il sculpte avec Ende, ne noue à priori aucun lien avec ce nouveau projet. De près pourtant, la réalité se révèle plus nuancée car De marées en oubli porte, telles des stigmates de plaies rouillées, l’incontestable marque de ses géniteurs.
La décrépitude d’ambiances déliquescentes et robotiques, la froideur autoritaire d’une trame sourdement hypnotique (Charnier d’océan) et le poison funèbre d’une voix trempée dans l’encre noire du désespoir (Jamais revenir, jamais devenir) hachurent un opus qui a finalement toute sa place dans l’œuvre des deux protagonistes que cimente une vision du monde différente et néanmoins complémentaire dans sa douleur désenchantée. L’offrande s’enracine dans le Nord Cotentin dont le duo a cherché à capturer l’identité et l’atmosphère blafardes. De cet estran brumeux aux allures de cicatrices où les hommes et la mer se fondent, suinte une partition obsédante à laquelle participent ces bruits de ressac captés sur des plages désolées entre la Hague et le Val de Saire. Aux confins d’un dark ambient percussif et immersif, l’instrumental Le Havre de la fosse répand toute la souffrance et la noblesse de ces marins qui affrontent les eaux déchaînées et dévorantes en un combat séculaire. Et quand la mer se retire, c’est une fosse peuplée d’âmes meurtries qui surgit, avalant toute trace de vie et d’espoir.
Fort d’un potentiel qu’on devine à peine défloré, Givoldi Fossa accouche avec De marées en oubli d’un premier signe de mort qui mérite de ne pas rester sans lendemain, faisant de lui bien plus qu’un projet parallèle entre les mains de musiciens désireux d’explorer d’autres voies mais une véritable entité à part entière, riche d’une personnalité qui ne demande qu’à être affinée.