Sepulchral Productions, 2013
Black Metal, Canada
Sepulchral Productions
Hasard du calendrier, Gris et Sombres FORETS dont on rappelle que les derniers signes de vie (ou plutôt de mort) respectifs remontent à l'éphémère et remarquable alliance baptisée MISERERE LUMINIS en 2010, sont tous les deux de retour dans les bacs au même moment.
Projet aussi rare que précieux, le premier est pour le moins avare de sa semence, dont il ne nous a offert que quelques goûtes depuis qu'il a vu la nuit en 2004 sous le nom de NIFLHEIM. Nous pourrions regretter ces trop longues absences et souhaiter de plus fréquentes visites. Mais non car chaque offrande a quelque chose d'une œuvre unique, pensée dans ses moindres détails, tableau intemporel qui se suffit à lui-même et n'appartient clairement qu'à ses auteurs, architectes d'un art noir extrêmement personnel dans son expression d'une mélancolie glaciale. Gris ne ressemble à aucun autre doloriste comme le Black dépressif en dégueule à foison, c'est ce qui le rend si estimable.
Il était une forêt... , qui demeurait jusqu'alors son unique opuscule (mais le second en comptant Neurasthénie gravé sous son patronyme originel), illustrait bien cette manière éminemment singulière de ruminer un mal être pourtant absolu. Car malgré le respect aux principaux codes du genre (chant hurlé, tempo lancinant...), il y a dans la musique des Québécois quelque chose d'indéfinissable, une espèce de noirceur boisée et magique qu'ils sont les seuls à matérialiser comme ils le font. Une forme de poésie osseuse drape ce Metal noir plus funèbre que suicidaire.
Après six ans de silence, interminable tunnel par conséquent seulement interrompu par l'album de MISERERE LUMINIS, A l'âme enflammée, l'Ame constellée... marque le retour du tandem. L'expérience autant sensorielle qu'émotionnelle est de nouveau au rendez-vous sans pour autant emprunter un sentier tout à fait identique à celui de Il était une forêt... . Cela passe déjà par la présence déterminante d'instruments à cordes aux lignes sèches, dénuées de vie, qui hante tout du long une écoute placée sous le signe de la nuit, une nuit noire sans la moindre trace de lumière. Ce sont aussi ces modelés acoustiques, traits il est vrai essentiels de l'identité des Québécois, lesquels participent également de ce dépouillement austère, de ce désespoir forestier aux couleurs plus hivernales et sinistres qu'automnales.
Mais à cet humus forestier, Gris ajoute une dimension cette fois-ci presque cosmique touchant au Divin, à l'Absolu. De cette approche ésotérique découle l'ambivalence tant formelle que conceptuelle d'une oeuvre à la fois terreuse, charriant de lourds motifs (\"Igneus\") mais aussi spirituelle en cela qu'elle se pare d'une profondeur quasi religieuse. Double-album s'étirant sur près de 80 minutes, A l'âme enflammée, l'äme constellée... ne s'apprivoise pas aisément. Jonché de pistes instrumentales plus courtes dont la plupart se révèlent d'une grande beauté (\"Samsara\"), le menu repose sur un ensemble de longues plaintes qui tissent peu à peu leur toile dont chaque fil est une note de tristesse infinie (\"Les Forges\", \"Nadir\"). Icare y hurle son désespoir comme si demain ne devait plus jamais exister.
Avec cette oeuvre somme, Gris livre un travail monumental qu'il sera sans doute difficile d'égaler par la suite. Gageons que le duo n'a pas encore épuisé son inspiration.