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Korsakov : Korsakov

Source Atone Records, 2021

Black Metal, France

Album CD

Tout est énigmatique chez Korsakov. Il y a déjà ce nom aux consonances russes mais qui évoque un syndrome éponyme décrivant des troubles neurologiques qui surviennent souvent dans des cas d'alcoolisme sévère. Il y a ensuite ce titre d'album, carte de visite de ses créateurs, écrit en cyrillique. Il y a encore cette pochette, très belle par ailleurs, exposant une main qui sort d'une eau sombre. Appartient-elle à quelqu'un qui se noie ? Fait-elle signe ? Il y a aussi ce duo lillois qui se cache derrière ce projet et dont on ne sait presque rien, musiciens anonymes réduits à de simples initiales. L'un assure le pan instrumental, l'autre le chant. Qui sont-ils ? L'insolente qualité déballée par cet essai trahit dans tous les cas une expérience chevronnée et laisse à penser qu'il ne s'agit pas d'une paire de puceaux. Il y a enfin cet opus dont le menu s'articule autour de six pistes elles-aussi anonymes qu'une numérotation minimaliste distingue.

Mystérieux n'est en revanche pas son contenu, refuge d'un post black metal d'une froideur tempétueuse, imbibé d'une mélancolie tour à tour torrentielle ou plus fragile, témoin le squelettique et hypnotique  'IV', qu'égrène un piano funèbre et que de lointaines vocalises écorchées empêchent d'être totalement instrumental. Bâti sur de longues pulsations (à l'exception de deux intermèdes qui permettent de remonter à la surface pour avaler une gorgée d'air plus que de vie), cet album se révèle musicalement vierge de surprises, sillonnant des terres déjà bien lessivées mais n'en dresse pas moins une puissante turgescence.

De fait, погружать a quelque chose de rouleaux qui emporte tout, vague vertigineuse au fond de laquelle est tapi un désespoir rageur. Ressac déchirant, la guitare libère une marée dramatique ('III') cependant que le chant, grondement âpre, hurle dans la nuit un inexorable mal-être. La durée des titres principaux, oscillant entre huit et onze minutes à la toise, perce de vastes crêtes le long desquelles galope Korsakov qui prend son temps sans jamais ennuyer à l'image d'une amorce orageuse aux allures de lame de fond. S'ils n'évitent parfois que de peu de s'abîmer dans le sirop du shoegaze (V'), les Français maintiennent hors de l'eau une noirceur échappée de fosses marines qu'aucune lumière n'atteint (presque) jamais.

Sombrement immersif,  погружать traverse un post black metal éprouvé mais laisse toutefois une forte écume grâce à une écriture et une interprétation qui ne souffrent d'aucune maladresse à défaut de personnalité. Laquelle viendra sans doute avec le temps. Il ne s'agit après tout que d'un premier album dont la très belle tenue déflore un potentiel qu'on devine plus grand encore. 

Childeric Thor - 7/10