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Mourners : Act I : Tragedies

Personal Records, 2020

Funeral Doom, Roumanie

Album CD

Quand un groupe décide de se baptiser Mourners, on devine aisément que toutes traces d’espoir et de joie devraient être éconduites d’un art condamné à la déprime. Dont acte. De toute façon comment pourrait-il en être autrement venant de la part de Daniel Neagoe, musicien entièrement dévoué au doom le plus funèbre et dont Mourners est le nouveau canal doloriste. Un de plus. En effet, on ne compte plus le nombre de projets auquel le Roumain est associé. Epaisse comme le Bottin, sa discographie trahit aussi bien la diarrhée  créatrice dont il ne peut retenir le flot qu’une certaine forme d’instabilité car il est fréquent de voir sa  participation à un groupe se révéler éphémère, notamment quand son implication se limite au rôle de batteur comme chez les Finlandais Shape Of Despair ou Aeonian Sorrow. Le fait que cet énième projet soit  né en 2019 des cendres de Eye Of Solitude alors que celui-ci a depuis été réactivé, confirme autant cette frénétique boulimie que la trajectoire hésitante suivie par nombre de ses collaborations.

Mais sa présence au sein de Mourners, qu’il partage avec l’un des guitaristes de Clouds (dont il fait aussi partie !), Mihai Dinuta et Siebe Hermans (ex Eye Of Solitude) derrière les fûts, fournit un indice précieux tant sur l’expression retenue que sur la qualité de Act I : Tragedies. La première s’avère évidemment mortuaire et emphatique, la seconde, assurée et irréprochable. Les fidèles qui suivent Daniel Neagoe ne seront ni déçus ni dépaysés par ce funeral doom aussi pétrifié que romantique dont il ne se départira sans doute jamais. Si une écoute superficielle de cette première messe pour les morts suffit à l’adosser à cette famille de flagellants que composent aussi bien Pantheist que Clouds ou Aphonic Threnody et s’inspirant aussi bien de l’école funéraire scandinave pour  les atmosphères blafardes que britannique pour la dureté minérale, une pénétration plus profonde dans sa cave ténébreuse dévoile cependant une réelle personnalité, faisant en vérité de Mourners plus que le simple  rejeton de Eye Of Solitude.

Comparé à celui-ci, il fore moins la roche d’un doom death battu par les vents, préférant se draper dans un suaire plus brumeux sinon éthéré. Plus élégiaque que charbonneux, plus dramatique que suicidaire, Act I : Tragedies brille d’un éclat aussi morne que poignant. L’importance accordée aux claviers et plus particulièrement aux sonorités grêles qu’un piano funèbre (‘Journey In Fear’), traduit cette approche empreinte d’une emphase fantomatique qui évoque le passage de la vie à la mort et en corollaire les sentiments endeuillés. Hanté par une solitude funeste, ‘The Way Of Darkness’ s’impose en ouverture (après le court ‘Apparitions’, promesse d’une inexorable contrition) comme un joyau du genre dont il récite le crédo avec une puissance aussi impavide que souterraine. Au chant caverneux qui gronde depuis les arcanes d’une tombe enfouie dans les abysses répondent des nappes liturgiques comme échappés d’une offrande de Pantheist. Immobile, le tempo laisse au batteur le temps d’aller pisser entre deux coups de caisse claire.  

En dix minutes d’une procession avalée par une tristesse que tempère une fragile lumière, Mourners place d’emblée la barre très haut, démiurge d’un art endolori dont la force sinistre ne l’exonère pas d’une forme de beauté poétique à l’image de ‘Souls Breathing Nothingness’, autre tertre illustrant la gravité majestueuse d’un album qui égrène ainsi sa désolation par l’entremise de plaintes en clair-obscur où une noirceur glaciale et tragique se conjugue à une beauté laiteuse (‘Forms Of Delusion’). Oeuvre de musiciens aussi chevronnés qu’affûtés, elles possèdent quelque chose de dédales cyclopéens palpitant d’une énergie torrentueuse.

Avec ce premier retable sculpté par Mourners, Daniel Neagoe et ses comparses honorent un funeral doom toute en puissance émotionnelle et noblesse rocailleuse dont on souhaite que la multiplicité des groupes auxquels ils collaborent n’en rende pas incertaine la suite, qu'appelle pourtant son titre...

Childeric Thor - 7.5/10