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Nuit d'encre : De l'autre côté

Bitume Prods, 2022

Post Rock, France

Album CD

Nuit d'encre est un nom qui n'évoquera sans doute rien à nombre d'entre vous. A cela rien de surprenant puisque le projet n'en est encore qu'à ses débuts. Les qualités du séminal Sans maux dire (2020) n'ont pourtant pas manqué d'être (très justement) saluées et De l'autre côté bénéficiera sans aucun doute d'un accueil identique. Entité solitaire, Nuit d'encre a en effet de quoi intéresser celui qui aime être transporté dans un sombre et immersif univers dont mélodies et émotions ne sont cependant jamais éconduites.

Que le maître des lieux (Franswa Felt) gravite autour de Krys Fruit-Denhez et de ses potes (il joue en live avec Demande à la poussière et Edgard Chevallier a gravé son premier album) n'est pas anodin tant cet indice biographique nous renseigne sur ce que le projet a dans le ventre à la fois dans la forme et dans le fond. La forme impressionne par son insolente habileté et ce d'autant plus que le gaillard se démultiplie, assurant guitares, basse et claviers. Le fond, quant à lui, se veut hybride, qui maraude quelque part entre post metal, doom et sludge. Que l'ensemble revête un fuselage entièrement instrumental achève d'en faire de Nuit d'encre un concept étonnant... Et un peu casse-gueule aussi car si l'exercice ne surprend plus aujourd'hui, il ne pardonne pas la médiocrité, imposant au contraire une  inspiration turgescente. Trop souvent l'ennui menace ces albums vierges de pistes vocales qui s'égarent, sombrent dans des méandres monotones ou démonstratives.

Tel n'est donc pas le cas de ce one-man band qui ferre le pèlerin dès les premières notes pour ne plus le lâcher. Ici, toute est déjà question d'atmosphères, d'images. Le nom du groupe (si tant est qu'on puisse le qualifier ainsi) se pare d'une dimension poétique  qui convoque un univers d'une opacité nocturne, un univers dans lequel on peut se noyer, emporté par une marée noire d'émotions. Le titre de ce deuxième effort suscite pour sa part de nombreuses questions.  De l'autre côté. Est-ce une référence à la mort ? Il suggère dans tous les cas l'existence d'un passage, celui d'une frontière, vers un ailleurs, vers un inconnu métaphorique. Il sous-entend une forme d'exploration, terrestre aussi bien que mentale. Il annonce un voyage, un périple que le visuel qui lui sert d'écrin bitumeux rend inquiétant, presque menaçant.

Solitaire peut-être, Franswa Felt sait toutefois (bien) s'entourer, derrière la console notamment puisqu'il a pris soin de confier à Etienne Sarthou (Deliverance) et à Magnus Lindberg (Cult Of Luna), respectivement chargés du mixage et du mastering, la tâche d'enrober son deuxième album de l'enveloppe sonore adéquate. Le résultat est cette création émotionnellement puissante dont la lourdeur bétonnée ne l'exonère jamais de nombreuses nuances à l'instar de 'L'enfant éphémère' qui alterne phases massives et déliés atmosphériques. Tout l'album est construit sur ce socle pesant dressé par ces six et quatre cordes robustes mais érodé par des boyaux tour à tour parfois dramatiques ('De l'autre côté'), souvent oppressants ('Le sangs abris'), toujours crépusculaires ('A travers les ombres').

Par une écriture finement ciselée, Nuit d'encre nous entraîne dans un monde anxiogène que l'obscurité ne déserte que rarement et quand il s'ouvre à la lumière, celle-ci ne se réduit qu'à un pale faisceau, symbole d'une issue aussi fragile que ténue ('Faim d'un rêve'), déroulant un récit meurtri aux allures de bande originale de film, qui chemine jusqu'au terminal 'Incertain jour'. Le jour se lève alors, la menace s'éloigne, laissant la place à un avenir hésitant teinté d'un fugace espoir. Enfin, bien qu'instrumental, De l'autre côté ne sacrifie pas cet art du jeu de mot auquel son prédécesseur nous avait déjà fait goûter. Ainsi la plupart des titres jonglent avec les maux, de 'L'être morte' aux 'Sangs abris'.

Confirmant les belles qualités de Sans maux dire, De l'autre côté est un album intéressant, écrit à l'encre noire d'un monde au bord du gouffre, plongé dans une nuit sans faim...

Childeric Thor - 7.5/10