Auto production, 2024
Black Metal atmosphérique, France
Album CD
Kaëlig Cornec est un musicien dont vous entendrez peu parler. Tout seul dans son coin, dans la solitude de son inspiration, il bricole sans grands moyens ni promotion des hosties dans des styles, black ou doom mais toujours instrumental aux confins de l’ambient, qui aiment se nourrir de l’isolement et d’une approche artisanale. Si Etna lui permet de sculpter sa vision d’un dolorisme funèbre, Tenebrisme l’entraîne dans la sente d’un art noir plus dissonant qu’atmosphérique. Que le bonhomme cite comme référence des compositeurs de musique moderne ou de bandes originales de films dit déjà beaucoup de son approche du genre, dont l’absence de chant souligne encore davantage les atours quasi cinématographiques.
Sisyphe est sa quatrième manifestation sous cette bannière, tiré sous format CD à 15 exemplaires seulement. De l’aveu même de l’intéressé, en produire plus ne servirait à rien tant ce projet demeure confidentiel, destiné qu’à une petite poignée d’amateurs. Au vrai, l’art que fabrique Tenebrisme se révèle tellement particulier qu’on se demande quel public il peut bien viser, trop ambient ou funèbre pour les fans de black atmo, trop rapide pour les doomeux, trop extrême pour les passionnés de musique classique. Ce qui fait de lui un secret, un mystère, chéri par quelques fidèles. Et plus encore que ses devanciers, ce nouvel album se mérite et ne s’adresse pas à toutes les oreilles. Ne proposant que deux pistes dont la principale s’étire sur plus de quarante minutes, dire qu’il est peu accessible tient du doux euphémisme. L’ambiance y est austère, sa défloration, peu aisée.
Pourtant, derrière son caractère hermétique fourmillent de multiples détails qui le rendent passionnant. Comme il l’avait fait sur Nous n’avons que le choix du noir (2023) où se glissait une relecture d’une oeuvre de Alexandre Scriabine, Kaëlig reprend une pièce d’un compositeur classique, Charles Ives, dont l’honnêteté oblige votre serviteur à reconnaître qu’il ne le connaissait pas. Difficile alors de juger du résultat si ce n’est que la reprise en question se pare d’une dimension funéraire qui la rapproche des premiers Until Death Overtales Me et en fait un prélude idéal avant le gros morceau de l’écoute.
D’une lancinance rampante mais parfois secoué par de furieuses éruptions, ‘Sisyphe’ a quelque chose d’un périple à la fois intimiste et torrentueux. Les plus pointus d’entre vous y distingueront des emprunts à Claude Debussy et les plus cinéphiles, des hommages à l’immense François de Roubaix dont les notes mélancoliques du Samouraï notamment, surgissent comme un fantôme du passé. Celles-ci s’intègrent parfaitement à un ensemble tout en progression, qui se déploie tranquillement, entre musique de film et black doom funéraire corrodé d’émanations drone. Ressac inexorable, le caractère massif et indivisible de ‘Sisyphe’ impose une écoute aussi attentive que solitaire et il paraît vain de chercher à en décrire tous les méandres au risque de priver le curieux qui tentera de le pénétrer d’une part de sa force d’envoûtement.
Tenebrisme mérite la découverte. Et si de part son format et sa nature, Sisyphe n’apparait pas comme la porte d’entrée la plus facile pour cela, il gronde cependant d’une myriade de trésors qui en font peut-être la plus belle création de son auteur.