Time Lurker : Lucide

Cepheide est un groupe que nous suivons depuis ses débuts il y a six ans, découvert au hasard de nos pérégrinations sur la toile et avec lui les nombreux projets parallèles qui gravitent à sa périphérie, de Scaphandre à Rance en passant par Baume. Une démo (De silence et de suie), un EP (Respire) et un premier long (Saudade) ont vu le duo parisien esquisser un art noir auquel de multiples et complémentaires étiquettes peuvent être accolées, atmosphérique, dépressif ou post black sans qu'aucune d'entre elles ne le définisse réellement. Lucide offre à François Saint Voirin et Gaetan l'occasion de se frotter à un exercice prisé dans l'underground ténébreux, celui du split.

Publiée par les Acteurs de l'ombre Productions, cette alliance les associe à leur compatriote Time Lurker qui remplit la première partie de l'écoute avec deux pistes oscillant entre cinq et sept minutes environ. Passé un prologue inquiétant, No One Is Real est lancé à la vitesse d'un cheval au galop. Âme solitaire, le maître des lieux y martèle un black metal tentaculaire grouillant d'une froide négativité. Lointain, le chant est avalé par un magma crépusculaire dont le tracé torrentueux est plusieurs fois barré par des breaks atmosphériques tandis que la guitare tricote des instants de mort au-dessus d'un gouffre sans fond. Plus ramassé, Instable Night gronde d'une force tout aussi souterraine et quasi instrumentale tant, inaudibles, les vocalises hurlées sont happées par le tumulte fracassant d'une partition aussi hystérique que déchaînée que rien ne semble vouloir stopper.

Mais le gros morceau (à tous points de vue) du menu reste la complainte éponyme que signe un Cepheide plus inspiré et grandiose que jamais. Si, réceptacle d'un métal noir torrentiel, la proximité stylistique avec la contribution de Time Lurker semble tout d'abord sauter aux oreilles, par son architecture plus démesurée encore (pas loin vingt minutes au garrot) et son audace, Lucide s'élève bien au-dessus des deux titres précédents, confirmant en cela la difficulté d'enfermer ses auteurs dans une case bien précise. Ainsi, au substrat meurtri d'un black charbonneux, tendu et suicidaire, le tandem greffe une introduction d'essence progressive cependant que l'apport d'un discret chant féminin vient aérer le climat vicié d'une composition épique où la noirceur la plus brutale s'accouple à la beauté la plus désespérée, témoin cette bouleversante échappée finale qu'érigent batterie convulsive, guitares corrodées par une rouille hypnotique et cris écorchés.

Davantage qu'un simple split, Lucide est le fruit d'une collaboration entre deux projets dont l'expression furieuse d'un black atmosphérique se complète pour ne former qu'un tout finalement indivisible.

Childeric Thor - 8/10