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Seul contre tous

Films Drame / Psychologique / Auto-destruction

Gaspar Noé
1998
France

"Il faut laisser du temps au temps..." comme dirait Tonton. Et du temps il en a eu par la force des choses Gaspar Noé (Irréversible). Le manque d'argent, la disponibilité des comédiens et des machinistes, accessoirement des figurants et surtout, surtout le système D. En tout quatre ans pour tourner ce film, à tirer le diable par la queue, rechercher des financements et des distributeurs. Nahon porte les mêmes fringues tellement sales qu'elles tenaient debout toutes seules ! Bon ce n'est pas non plus les huit ans d'Eraserhead, mais en quatre ans un film a le temps de mûrir.
"Seul contre tous" est en fait la suite d'un premier court-métrage, intitulé "Carne", réalisé bien avant, en 1991 (prix très spécial à Cannes). Philippe Nahon (MR73, irréversible) est l'un des rares comédiens professionnels au milieu d'une foule d'inconnus souvent des proches ou des voisins, enfin ceux qu'ils ont pu recruter. Le film relate la difficulté d'un français moyen à survivre dans son pays, plus exactement en société. Philippe Nahon incarne le personnage central, un boucher (spécialité chevaline) seul avec sa fille. Le film traite d'un sujet complexe à aborder qu'est l'inceste et offre une tribune à un thème tabou dans notre pays, comme malheureusement beaucoup d'autres. On se retrouve unilatéralement dans la tête du boucher grâce à une voix-off obsédante, lui dévorant les neurones, refoulant ses tripes et ses angoisses existentielles à travers des tirades tantôt racistes, tantôt homophobes, tantôt anti-cléricales, tantôt anti-bourgeois, anti-tout, toujours imbibées de frustrations chaotiques. Des réflexions cinglantes aux longs plans découvrant un personnage vraiment seul dans les rues comme dans la vie. "Seul contre tous" nous laisse un goût amer, une myriade de sentiments confus dans le désordre d'une tête désemparée.
La manière de filmer, les plans souvent statiques, puis ultra-rapides dans les gros plans sont les points forts du film. Les développements logorrhéiques du boucher nous entrainent inévitablement dans son univers et c'est un autre point essentiel de notre film.
J'ai eu la chance de le voir à sa sortie dans un cinéma d'art et essai et il fait parti de ceux qui m'ont marqué, beaucoup plus que "Irréversible", pourtant bien plus médiatisé. Il a trouvé un écho parce que le boucher n'est pas meilleur ni pire que quelqu'un d'autre, il est un personnage attachant parce que toutes les péripéties qui lui tombent sur le coin de la figure ne sont pas désirées, ce ne sont pas des actions préméditées qui viennent bouleverser son existence. Il se débat, certes maladroitement, dans une France qui lui devient de plus en plus hostile à mesure que le film avance. En soi on pourrait dire que sa vie est une sorte de road movie destructeur, qui le happe pour ne plus le lâcher.
Enfin, je me permets de recommander le DVD de "Seul contre tous" précédé de "Carne", ce qui n'est pas toujours le cas.

Mönnos