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Amen, une vision inhabituelle de l'Allemagne nazie

amen

Films Guerre / Histoire

Costa-Gavras
2001

Sujet à de nombreuses controverses à sa sortie, cet excellent film historique français ne peut que susciter notre curiosité. On y retrouve des acteurs charismatiques tels Matthieu Kassovitz (père Ricardo), Michel Duchaussoy (nonce apostolique) et l'Allemand Friedrich von Tun (lieutenant SS Gerstein). Ce film analyse efficacement la psychologie des Allemands vivant pendant l'Holocauste, ainsi que les rapports de force diplomatiques autour du Vatican. Oublions les procès d'intention qui n'ont pas eu lieu d'être : qu'en ressort-il ? Que son univers, finement ciselé, est relativement iconoclaste par rapport à la vision officielle des manuels d'histoire, établie depuis la dénazification de Nuremberg en 1945. Jugeons plutôt :

Le film sépare adroitement deux notions qui ont toujours été amalgamés volontairement depuis 1945 pour faire culpabiliser éternellement les Allemands : le nazisme et le patriotisme.
- Le patriotisme (attachement affectif à sa terre natale), voire le nationalisme (volonté de puissance de son propre pays) anime la majorité du peuple allemand, exsangue à cette époque ; après une défaite sanglante en 1918 et l'humiliation totale par les traités de paix de 1921 ensuite, on peut comprendre que ce peuple mis au ban des nations souhaite de nouveau se faire entendre. De plus, ce sentiment nationaliste s'exprime dans tous les autres pays, et n'avait pas cette connotation péjorative. Il était même une force qui libérait les minorités ethniques de leurs tyrans. Satan en était même le symbole chez les romantiques du XIX°S.
- L'engagement idéologique nazi, qui touche uniquement une minorité d'Allemand. Les hommes d'Etat et leurs relais politiques : SA, SS, Gestapo racistes fanatiques ou simples voyous opportunistes...Et encore, le lieutenant SS Gerstein est nommé dans son unité de force et par pression, du fait de ces compétences scientifiques en chimie. Anti-nazi dès le départ, il n'a d'autre choix que de faire traîner les horribles décisions qu'on lui impose. En effet, comment les nazis auraient pu convaincre 50 millions d'Allemands à tuer des Juifs? Ne tombons pas dans les clichés du « boche » abruti et barbare, nés en 14-18 côté français....

Il existe donc une majorité probable de patriotes/nationalistes anti-nazi, neutres ou de gauche. Le procès de Nuremberg a condamné à juste titre les organisations nazies (SS, Waffen SS, Einsatz Kommando, SA, Gestapo...) ; il a aussi conclu de manière plus douteuse à la connaissance de chaque allemand impliqué dans le génocide de près ou de loin par « complicité ». Dans l'optique de « Amen », il n'en est rien : chaque petit bureaucrate croit de bonne foi transporter du fret, les trains secrets de déportés sont aiguillés sur les voies de campagne, les SS eux-mêmes parlent discrètement « d'unités » au lieu de « déportés », le gaz Zyklon B est initialement créé contre le typhus, les camps d'extermination ne sont situés qu'en territoire polonais, et ils sont méthodiquement détruits par Himmler avant l'arrivée des Alliés. Les documents concernant le génocide sont classés « secret » (Geheimnis). Pas besoin de faire une thèse pour montrer que l'Etat nazi n'a pas intérêt à dévoiler à son peuple le funeste destin des Juifs. Surtout qu'il frappe aussi les opposants « aryens », les tsiganes et les handicapés allemands. La population croit que les juifs sont déjà partis depuis longtemps vers d'autres terres d'accueil, parfois ruinés, certes, mais en vie.
Les anti-nazi de cœur, syndicalistes ou partis politiques se sont finalement coulés dans les moules administratif et militaire après 1933, dans le but de survivre et d'agir à leur échelle quand c'était possible... Nous oublions souvent de parler de la Résistance allemande elle-même, les « Weise Rose» . Le trafic des « certificats d'aryens » sauva plus d'un juif, par exemple...Comme on le voit pour le SS Geister, la population est brutalement et totalement encadrée par le nazisme, sur le modèle de l'URSS stalinienne : des représentants politiques chapeautent et doublent l'administration, exerçant une pression morale palpable à tous échelons ...Et c'est Geister qui va fournir les preuves tangibles de l'Holocauste aux Américains, avant de se suicider car lui même accusé ; les apparences étaient toutefois trompeuses, et sa mémoire fut formellement réhabilitée 20 ans plus tard...

Et le film met aussi le nez des Alliés dans leur m...., montrant une position américaine est très ambiguë, elle aussi : quand le père Ricardo réussit à joindre l'ambassadeur des USA au Vatican ainsi que quelques généraux US, tous lui opposent des arguments plus ou moins vaseux pour ne pas réagir : l'armée se bat déjà, la victoire est proche...Le temps chez les déportés (avec des exécutions de 15 000 personnes quotidiennes à Auschwitz !) ne se déroule pas à la même vitesse que celui des alliés, pourtant informés dès 1942 de l'holocauste, mais annulant de nombreuses fois les projets de bombardements des voies d'accès des camps, préférant se concentrer sur les villes industrielles allemandes (Dresde : 500 000 morts civils !). Alors que le SS fanatique, chef de Geister, s'étonne lui-même de ne subir aucun bombardement des gares et voies ferrées servant à l'Holocauste, suggérant un antisémitisme partagé, une entente tacite...Il fuira à la fin du film en Amérique du Sud avec l'aide... du Vatican !

Ce film montre également les intrigues diplomatiques au sein du Vatican : pris entre la force du Reich présente en Italie et les Américains imminents vainqueurs, le Pape est totalement impuissant : lâche ? antisémite ? Machiavélique ? Difficile de percer le mystère, entre ses citations bibliques vides de sens... Alors que les luthériens d'Allemagne eux-mêmes, neutres et soumis de fait par augustinisme politique, ont eu le courage de s'opposer avec succès contre l'élimination des handicapés par Hitler. Manque de recul, manque de preuves, neutralité ancestrale, sort des chrétiens du Reich en jeu, pas de confusion sphère politique/religieuse, impossibilité de dénoncer toutes les dictatures puisque le boucher Staline est devenu un Allié...Toutes les excuses plus ou moins valables sont déballées au père Ricardo et au SS Geister pour laisser faire l'extermination des Juifs.. Pourtant, les preuves, Geister les présente, au péril de sa vie. Mais rien n'y fait...

Sur la question juive elle-même, autant de finesse : les juifs « religieux » sont bien dissociés des juifs « convertis ». En effet, l'arrivée au pouvoir du chancelier Hitler en 1933 avait volontairement provoqué une fuite des juifs croyants vers d'autres terres d'accueil, en particulier les USA, pour bénéficier de la liberté de croyance (à l'image de Freud ou Einstein). Mais le durcissement de la répression à leur encontre (1938 : « nuit de cristal » et 1942 : « solution finale ») et les règles raciales établies à Nuremberg dès 1933 ont mis au jour un aspect plus dérangeant que le critère religieux (qui provoquait traditionnellement des millénaires de haine envers le « peuple élu » et leur expulsion d'Europe au Moyen-Age) : la définition extravagante d'une « race juive », appuyée en cela par les nombreux traités pseudo-scientifiques (de l'anglais Somberlain aux faux « protocoles des sages de Sion » russes, en passant par l'Ancien Testament lui-même, mêlant religion et peuple, décrivant la transmission de la judéité par le sang maternel, et condamnant violemment l'impureté des mariages mixtes !) ; du coup, de nombreux allemands convertis, au physique « aryen » et à la religion chrétienne parfois depuis des générations, patriotes allemands parfaitement intégrés sont brimés, spoliés puis déportés comme des animaux. A ce jeu, la généalogie de Adolf lui-même risquait de révéler un grand père maternel embarrassant... Ce non-sens de la doctrine nazi se retrouve d'ailleurs dans l'extermination des Slaves, peuple indo-européen par excellence !
Alors que l'anti-judaïsme est de notoriété publique en Allemagne et les regards ont appris à se détourner face aux expulsions, l'extermination physique des juifs est montrée comme inacceptable dans ce film ; et surtout, elle semble incroyable : Geister passe pour un affabulateur auprès de tous !

Ici, le génocide n'est jamais remis en cause, ni la barbarie nazie (et non allemande), ni les camps, ni les chambres à gaz ou les fours crématoires à l'encontre des juifs. Le film n'oublie pas non plus les résistants, tsiganes et handicapés, d'ailleurs. Juste une mise au point en finesse pour alléger légitimement le fardeau de la conscience collective allemande. Notons que les fameuses thèses révisionnistes de la Shoah sont nées de cette volonté d'émancipation par rapport au génocide (le slogan des révisionnistes est « Freiheit macht frei » : la vérité libère). Illégitime, certes, il est tellement tabous et réprimé par l'intelligentsia actuelle que ses rares adeptes n'en sortent que plus convaincus...Mais toutes accusations de moralistes bien-pensants et bons croyants à l'encontre de ce superbe film n'ont aucun crédit sérieux. Il renvoie simplement le Vatican, le nazisme et les Américains dos à dos. Et pourtant...

Autocrator