Société
Deux heures avant l’aurore, ce matin, la grande nouvelle est tombée. Nos forces, aidées par ceux de nos alliés Gothiques qui n’ont trahi ni les origines de leur culture ni leur marginalité, allaient passer à l’action pour expurger le territoire, et la société, de cet immense ver poisseux et nauséabond qui pourrit la terre comme la pomme. Grâce à plusieurs partisans étant également radio-amateurs, et communiquant via ce média n’étant pas écouté par nos ennemis, nous avions finalement coordonné nos actions. Le temps était venu, d’honorer le serment sacré envers notre culture sombre, froide et vénérée, par une rébellion dont l’histoire se souviendrait… Un soulèvement culturel, une réponse implacable à toutes les humiliations, à toutes les accusations débiles, à toutes les condamnations lancées par les médias et ceux qui se prosternent devant eux. Et, bien évidemment, une sacrée revanche sur les agressions, verbales comme physiques, commises sur nos frères et sœurs par les troupes inféodées aux sinistres apologues de la « culture de masse ».
Nous étions rassemblés dans les forêts mystiques, chacune d’elles formant un de nos refuges sacrés, aux lisières des grandes villes. Contrairement à tant d’autres, nous n’avions aucun besoin de bâtisses de pierre et de bois, ou d’acier, pour nous retrouver. La Nature a toujours été notre sanctuaire, et nous lui en étions redevables à jamais. Nous n’attendions plus que le signal convenu pour charger en direction de ces métropoles depuis longtemps passées sous le contrôle, tacitement accepté par la populace crétinisée et agenouillée, de la « culture du flex ». Et ce signal avait une importance de taille : les groupes commandés par Myrinath Griffe d’Acier, électricienne de son état, allaient d’ici quelques instants s’atteler à couper, une bonne fois pour toutes, les faisceaux de télévision hertzienne, ainsi que ceux de toutes les radios. De cette façon, les Enfants de Morteforêt et leurs alliés savaient que les adorateurs de l’abrutissement, de la déchéance, de la pourriture bobo soi-disant « rebelle » émanant des médias à la façon de vomissures corrosives et corruptrices, allaient être désespérés… par un arrêt brutal de leur « perfusion de culture ».
Mörgath Grande Oreille, l’opérateur radio, venait de confirmer l’information, après avoir reçu de nos quelques sympathisants restés en ville le mot de passe « Black-out » : tous les écrans plats étaient noirs, toutes les stations de la bande FM n’émettaient plus. Le mot de passe non contraint « Pass The Kingdom » a crachoté dans notre radio longue portée quelques minutes plus tard. Enfin, nous aurions notre vengeance. Alors, hurlant notre haine et notre volonté d’en découdre en levant nos armes ancestrales, nous nous sommes rassemblés auprès de la Grande Prêtresse, au centre de notre sanctuaire de la Morteforêt. Vêtue de sa traditionnelle cape de tissu noir, d’un pantalon ample de la même teinte et chaussée de ses bottes hautes ornées de Runes, elle demanda le silence d’un geste de sa main, et dit, de sa voix calme et déterminée :
« Mes frères, mes sœurs, l’heure est venue. La maladie qui gangrène nos terres est sur le point de disparaître. Le vent se lève, et les vies de nos ennemis se meurent. Les rayons du Soleil, force suprême de la Nature, saluent le noble combat que nous allons mener. Les pantins décérébrés de la seule culture socialement admise ont toujours raillé nos valeurs, nos principes, les fondements même des entités qui sont nos raisons de vivre libres et fiers de ce que nous sommes. Et même quand les malades de la norme sont soumis à ce qui leur plaît, et à l’abruti médiatique qui les représente le mieux, ils trouvent toujours le moyen de nous rabaisser et de nous maudire. Mais aujourd’hui, ils nous maudiront dans la mort. Battez-vous avec bravoure, n’ayez aucune pitié, tout autant qu’ils n’en ont jamais eu aucune envers nous. La fierté ne meurt jamais, rassurez-vous, et un peuple banni se retourne aujourd’hui contre les pourvoyeurs de la déchéance. Gloire et Honneur à vous tous. »
Curieusement, il n’y eût aucun cri ni aucun grognement bestial, aucun « Hourra », ni aucun « Baston », mais nombre d’entre nous hochèrent la tête en signe d’approbation, d’autres frappèrent leur poitrine de leur poing. Semblables à des Trolls hideux, à des Korrigans aux rictus malfaisants ou à des Gnomes verts olive surgis des légendes Scandinaves ou Celtes, et grimés de peintures de guerre comprenant la Rune de la Force, nous sortîmes de la forêt, judicieusement camouflés par nos tenues aux couleurs s’adaptant selon l’environnement. Au même instant, partout ailleurs dans le pays, d’autres factions de nos semblables sortaient de l’ombre, et approchaient des villes désormais maintenues dans le silence des écrans plats et des radios ne diffusant plus rien. Myrinath et les siens avaient fort bien exécuté leur tâche.
Nos tee-shirts ou nos vestes arborant tant de groupes de Metal, plus ou moins extrêmes, et tant d’éléments culturels comme spirituels jusqu’alors bafoués, nos falzars changeant désormais progressivement de couleur, du vert salvateur de la cambrousse au gris terne de la ville, nous accompagnaient sans faillir. Au premier contact, nos haches, nos épées, nos masses d’armes et nos cimeterres, commencèrent à faire naître la panique sur les visages de nos ennemis. Nous étions dans les villes. Dans « leur » monde. Notre détermination et notre volonté nous menaient, partout, comme autant de flux mystiques et occultes sortant des domaines sylvestres très souvent craints… Comme un présage des Divinités en notre faveur, un vol de grands corbeaux nous accompagnait en croassant avec une rare intensité. Cela avait un sens, ces animaux étaient partie intégrante de nos traditions, et eux aussi avaient été malmenés par l’histoire…
Quant à nos ennemis… C’était la débandade dont nous avions tant rêvé. Nombre d’entre eux ont à peine eu le temps de comprendre ce qui allait leur arriver… alors qu’une arme antique leur ôtait déjà la parodie de vie qu’ils avaient mené. Nous autres, ne voulions pas reconstruire la société à notre image, mais juste la vengeance. Et la bénédiction des anciennes Entités, peu importe les noms que nous donnions à nos Divinités. Plusieurs unités de nos forces avaient reçu l’ordre de mettre à sac les icônes de la culture dominante. En premier lieu, les magasins de disques et les librairies devaient être débarrassés de tous les exemplaires de CD, de DVD, de livres appartenant à leur soi-disant « liberté culturelle », qui n’était que le symbole de l’oppression vécue par tous les autres. Ensuite, ce serait au tour de leurs « représentants » de payer… d’une façon ou d’une autre. Certains devaient être capturés vivants, et ramenés jusque dans la forêt, pour bien leur faire comprendre que leur temps était révolu… puis ils seraient relâchés. Les autres, tous les autres, seront les victimes de notre haine, épluchées vivantes et suspendues au-dessus d’un immense feu de joie alimenté par la malepierre. Quelques-uns se retranchaient derrière des « gardes » qui étaient bien peu nombreux au regard de nos hordes. Leur sort fût scellé dans la journée, sans que nous ne souffrions de pertes conséquentes.
Ordre était donné, et accepté par toutes et tous, d’épargner les « neutres », celles et ceux n’affichant ni signe d’allégeance à la « norme ambiante », ni à nos troupes. Et ils étaient bien rares… Malgré tout, les survivants que nous avions croisés avaient bien compris que le rapport de force avait changé de camp, et la peur aussi. Quelques-uns des nôtres, ayant délibérément dévasté un magasin d’alcools forts, festoyaient bruyamment, en beuglant plus ou moins à l’unisson un antique chant Viking, le « De To Spellemenn », et en poussant des grunts dignes de ce nom, puis tournaient les yeux vers le ciel au plus fort de leur ivresse, comme pour saluer le crépuscule, et la Lune qui fit son apparition. Une véritable « communion païenne ». La Lune est verte comme la forêt, le Ciel est noir comme la haine. Pour autant, ce n’était pas « le grand soir ». Mais les « petits matins » qui allaient suivre, imprégnés de rosée et de couleurs variant au rythme de l’année, seraient inévitablement frappés du sceau et des runes de nos serments. Considérant que la mission avait été pleinement accomplie, même s’il y avait eu quelques débordements, la fréquence radio commune annonça que le temps de rentrer dans nos forêts mystiques et occultes était venu. Le mot de passe « Retranchement au Sanctuaire » est tombé à 22 heures 30, nous sommes pour ainsi dire repartis comme nous étions venus… ne laissant qu’un « message sans ambiguïté » derrière la sabotée bruyante de nos troupes.
Depuis lors, nous, les Trolls, Gnomes, Korrigans, et autres « bestioles nocturnes » ayant fait depuis longtemps allégeance aux Temps Anciens et aux Croyances Immémoriales que glorifient notre musique, avons fondé des communautés, plus ou moins grandes, dans les forêts, et nous vivons en accord total avec la Nature, les saisons et nos spiritualités. Surtout sans laisser quiconque nous donner de leçons ou d’ordres sur ce que nous avions fait ou notre avenir. Etss bien évidemment, ceux qui ont tenté de souiller nos domaines forestiers en voulant nous débusquer n’en sont jamais revenus. Les légendes anciennes et les peurs primaires sont devenues nos armes les plus efficaces. Nous avions gagné ce combat, le droit de vivre libres tels que nous sommes, et dans les conditions les plus propices à notre survie. L’ancienne Tradition avait triomphé, et nos armes avaient déterminé le sort de la « norme ambiante », de sorte que nos descendants, comme ceux de nos ennemis, puissent s’en souvenir à jamais.