La Horde Noire Webzine metal extrême depuis 2002

West Memphis 3 : il était condamné à mort

Liberté Memphis

Société

Patrick Dils en France, Damien Echols aux Etats-Unis. Tous deux victimes d'une erreur judiciaire. L'Américain a passé deux décennies en prison pour l'affaire dite des " West Memphis Three " qui a longtemps tenu en haleine l'Amérique. Il a été sauvé par la mobilisation des stars et l'écriture.

Comment vivez-vous depuis deux ans et demi ?

J'ai vécu 20 ans dans une boîte. J'ai été seul durant dix ans et d'un seul coup, je suis propulsé dans le vrai monde, sur une autre planète. Je dois m'adapter chaque seconde à cette nouvelle vie. JE n'ai pas eu d'ordinateur depuis 1986, je n'ai jamais de téléphone mobile. Pour m'en sortir, il faut que j'affronte ces choses qui m'effraient... J'ai beau vous parler à Paris, pour le système judiciaire américain, je reste coupable.

Quand vous étiez dans le couloir de la mort, vers quoi votre esprit vous portait-il ?

J'imaginais partager du temps dans une maison avec Lorri (sa femme, épousée en 1999, ndlr), aller boire une verre, me rendre dans un parc pour enlever mes chaussures et sentir l'herbe sous les pieds. A la longue, j'avais tout perdu : le goût de la pizza, même la sensation du soleil sur la peau. Lorri m'a permis de surmonter tout ça et d'entrevoir des jours meilleurs.

Votre affaire correspond à une époque particulière aux USA, où une certaine peur du satanisme amenait à des extrémités, non ?

Une grande partie des USA, dont l'Arkansas, est décrite comme the " Bible belt " (la ceinture de la Bible) avec un nombre important de fondamentalistes chrétiens de la droite dure. Tout ce qui est hors de leurs valeurs, de leurs idées, de leurs concepts, est immédiatement suspect. Ils m'ont vu me balader en ville, habillé tout en noir, avec de longs cheveux, écouter du heavy metal. Aujourd'hui, tout le monde écoute Metallica, mais en 1993, cette musique était considéré comme " dangereuse ". Lors de notre procès, l'accusation a mentionné qu'on portait des tee-shirts de Metallica, qu'on avait des albums de Megadeth, des posters de Slayer. C'était une preuve supplémentaire qu'on était coupable. On a appelé aux USA cette période " Satanic panic ", elle a infiltré les médias, le gouvernement, ça a pris des proportions folles et conduit des gens en prison...

La justice de votre pays serait guidée, d'après vous, par la politique et l'argent...

Dans la majorité des pays, les juges sont indépendants. Aux USA, les juges, les procureurs, les attorneys sont en réalité surtout des politiciens. Leur premier intérêt assurer leur prochaine réélection. Dans mon cas précis, ils ont voulu montrer qu'ils pouvaient conduire quelqu'un jusqu'à la peine de mort ! La corruption aussi est très présente. Des liens étroits existent entre ces politiciens et le pouvoir de l'argent. Les prisons sont privatisées, c'est un énorme business. N'importe quelle société peut ouvrir sa propre prison et faire de l'argent avec... Les Américains ne réalisent pas ce qui se passe, ils sont plus occupés à découvrir les dernières frasques de Britney Spears ou Kim Kardashian.

Comment vivez-vous de passer du statut de prisonnier à celui de quasi rock-star ?

On est dans un monde où la célébrité est devenue tellement importante... Mais les gens connus le sont pour leur art, leur talent, leur habilité à jouer, à chanter, à être sur scène. C'est ce qui fait émerger de la foule. Nous, on l'est par la chose horrible qui nous est arrivée. Pas par ce qu'on a fait, mais par la tragédie que nous avons traversée. C'est pourquoi je ne ressens pas cet aspect de la célébrité. Je me sens plutôt comme une sorte de monstre, comme ceux, physiquement déformés, que l'on exhibait autrefois dans les cirques. J'ai l'impression d'être " freak ".

Pourquoi les stars comme Johnny Depp ou Marylin Manson vous ont-elles soutenu ?

Avant d'être acteur, Johnny vivait dans une ville pauvre du sud, Eddie (Vedder, leader de Pearl Jam, ndlr) a travaillé lui dans une station-service. Marylin Manson a toujours été un peu en marge de la société. Donc quand ils m'ont vu, ils ont réalisé que ça aurait pu arriver à n'importe lequel d'entre eux. Dans leurs yeux, ce n'était pas seuelement me soutenir, mais travailler sur le regard que la société porte encore, malheureusement, sur des gens légèrement différents. Toutes ces personnes sont devenus plus proches que ma propre famille. Si ces gens-là ne s'étaient pas intéressé à mon cas, je serais mort.

La vie après la mort, l'écriture comme thérapie

Année 1993, état de l'Arkansas. Trois enfants de huit ans sont retrouvés mutilés dans la ville de West Memphis. Pour la police, tout désigne trois adolescents en rupture de ban, dont Damien Echols, considéré comme le meneur. Lors d'un procès entaché de falsification de preuves, de faux témoignages, Echols est condamné à mort, ses deux camarades à la prison à perpétuité. Au cours des deux décennies qui suivront, ceux qu'on appellera les " West Memphis Three "(WM3) deviendront le symbole des condamnations arbitraires. Des stars comme le réalisateur Peter Jackson (Le seigneurs des anneaux) ou Johnny Depp oeuvreront sans relâche pour obtenir un nouveau procès. A la suite d'un revirement stupéfiant de la justice et à la lumière des tests ADN qui les innocentent, les trois hommes ont été libérés en août 2011. Dans son livre La vie après la mort (éditions Ring), Echols évoque le cauchemar de l'arrestation, son isolement, les erreurs de la justice am& ricaine et le soutien indéfectible de Lorri Davis, sa femme.

Liberté Memphis

Xavier Frère, Dauphiné Libéré du 31/03/2014