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Alan O'Dinam, un photographe hors-norme

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Interviews culture

1. Hellz ! présente toi un peu à nos lecteurs. On te croise parfois dans l'UG métallique grenoblois...

Je suis effectivement reconnaissable dans les zones à haute teneur métallique car je suis le loup noir dans la bergerie, le type incongru dans un groupe fidèle à ses rites et à ses codes, la pièce rapportée que l'on dévisage en coin ! C'est pourquoi je me planque le plus possible derrière mon appareil, le genre "n'ayons l'air de rien". Je suis le chafouin des soirées métalleuses !

2. Comment as-tu commencé dans la photo ? Quelles ont été tes influences artistiques ? Vis-tu de ton art ?

J'ai commencé comme tout le monde en photographiant tout et n'importe quoi, puis en sériant progressivement et sans calculer mes intérêts. J'ai vécu dans des familles chaotiques sans l'ombre d'une culture quelle qu'elle soit. Je n'ai donc reçu ni n'ai été baigné dans aucune culture et, par voie de conséquence, je n'ai aucune référence artistique ! Ce qui m'intéresse, ce qui m'attire, c'est à mon instinct que je le dois. Je ne sais pas si ce que je fais a déjà été fait ni comment ni par qui. Je fais ce que je ressens vital de faire au moment où je le fais.

Cela dit, j'ai d'abord été sensible à la photographie (travail du chef opérateur) de films de cinéma avant de commencer à regarder ce qu'il se passe dans les expos-photos ou chez les autres photographes. Je ne me souviens jamais des noms ou des références " qu'il faut absolument connaître ", je ne fonctionne qu'à l'instinct et je peut craquer devant des styles, des cadrages, des lumières, des ambiances... mais pas devant des noms connus et encore moins des modes.

N'importe quelle peinture dans n'importe quelle exposition se vend ! Des bateaux de pêche en Bretagne ou des voiliers à Saint-Tropez, des fruits sur une table ou un chien dans un panier... Mais la photo (sauf à avoir une renommée énorme) ne se vend pas ! Comme pour la plupart des activités artistiques, il n'est malheureusement pas possible d'en vivre. Il faut avoir un métier alimentaire à côté ! Non seulement mes photos ne me rapportent rien, mais elles me ruinent littéralement ! C'est devenu une préoccupation permanente, hélas...

Alan O'Dinam

3. Je présume que tu préfères le support papier... Pourtant, le numérique possède quelques atouts, non ?

Je ne me sers plus de mon appareil argentique que pour prendre des photos sur support diapositives que j'utilise dans mon projet Travelling Skin (projections sur corps nus).

Je ne travaille donc plus qu'en numérique ! J'utilise un reflex numérique qui a les mêmes exigences techniques qu'un reflex argentique : réglages particuliers en fonction de la lumière, cadrage... S'il n'y avait pas l'obtention directe sur ordinateur, je ne verrais pas la différence entre l'utilisation de l'un et l'utilisation de l'autre au moment de la prise du cliché. Le numérique permet l'immédiateté du rendu, un travail éventuel sur la photo, un tri et un stockage facilités.

A chaque exposition, je vois passer des photographes professionnels qui me vantent les mérites de l'argentique soi-disant visibles sur mes photos... sans savoir que je n'utilise plus que le numérique !

Alan O'Dinam

4. Hé hé ! Quels sont tes thèmes favoris ? L'humain semble ton objet de prédilection, qu'il soit devenu Ecran de projection, Elément de base de tes "triptyques" ou prétexte à de simples portraits...

Je hais les photos de famille (et, dans le genre, ce que j'exècre le plus, c'est le genre "photos de mariage" !). Je ne fais pas de photos de jour, je n'aime pas les flashs qui dénaturent les ambiances nocturnes que l'on veut restituer. Je ne fais en somme que des variations autour de photos de nuit en utilisant les lumières ambiantes, villes la nuit, concerts et, évidemment, portraits de nuit !

Les êtres entre ombres et lumières ou à la lumière faible et vacillante de bougies ne ressemblent plus à ce qu'ils sont ou à ce qu'ils veulent paraître à la lumière du jour dans un cadre social établi. Les personnes que je photographie, je leur demande toujours de ne pas sourire. Elles regardent dans le lointain, elles s'abandonnent à la quiétude du lieu et de la lumière. Quand elles acceptent de se faire prendre en photo, elles doivent laisser les grimaces sociales à la porte.

5. Justement, parle-nous des différentes expos que tu as ‡ ton actif... même si elles ne sont pas spécialement orientées "métal", leurs thèmes sont puisés aux mêmes sources d'inspiration noires...

Trouble Every Night a regroupé, au fil de trois expositions et de nombreuses autres photos jamais exposées, mes premiers portraits de nuit. La plupart des portraits était réalisée dans les cadres naturels de villes la nuit (principalement Grenoble, mais aussi Lyon, Valence, Annecy,...), mais aussi chez moi dans les conditions de studio, ou sur les lieux de concerts.

Alan O'Dinam - Tryptique

Triptyques a permis de poursuivre ce thème en présentant dans un seul cadre 3 plans d'une même personne pour donner l'idée du mouvement par touches légères : mouvement des yeux, petites variations de la tête ou du corps, évolution d'une expression du visage... ou, lors de concerts, moments de scène qui se succèdent. Le triptyque, par son principe même de photographies successives, se place entre la photographie unique et l'image animée à l'origine du cinématographe.

Alan O'Dinam - Métal-sur-Scène

Métal-sur-Scène, exposé à Grenoble et à Lyon, a permis d'allier les différents Eléments des thèmes précédents : les portraits, la lumière, le cadre, le mouvement. L'objectif n'est pas ici de présenter des photographies de musiciens figés sur le papier mais de retrouver l'ambiance réelle du concert, sa lumière, son mouvement, l'esprit que le groupe a voulu lui donner. Dans ce cas, le triptyque peut venir renforcer l'idée de mouvement et aider à restituer l'aspect visuel du show.

Travelling Skin a permis une nouvelle évolution des thèmes précédents et a fait suite à diverses tentatives de jeux entre la lumière et la personne photographiée. Il s'agit toujours de portraits de nuit, mais cette fois-ci à base de projection de photographies sur le corps. Le corps, devenu écran de projection, peut, en fin de parcours, apparaître méconnaissable : magnifié ou étrange ! Lors de la séance de prise de vues, le travail sur la lumière, le cadre et la pause est capital. La nudité nécessaire à la technique utilisée disparaît en bout de course... avec les craintes éventuelles des volontaires !

Alan O'Dinam - Travelling Skin

6. Tu as déjà tiré le portrait de groupes de métal qui ont joué près de chez toi : Auspex, Eros Necropsique, Osirion, Elhaz... Les groupes de métal ont-ils une esthétique particulière qui attire ton objectif ? Connais-tu d'autres personnes qui " flashent " les groupes de métal pour leur plaisir ?

Il est clair que pour la majorité des groupes métalleux, le spectacle passe aussi par un certain esthétisme visuel. L'apparence, le style vestimentaire, éventuellement le maquillage ou les éléments de décor sur scène font partie du groupe, de son image, de sa pensée. Dans ce cas, la photographie doit absolument en tenir compte. On ne photographie pas un groupe métal comme on photographie une chanteuse à texte !

Totalement inculte en matière musicale, je ne vois pas les notes de musique à travers mon objectif mais ce qui va devoir apparaître sur la photographie pour qu'elle puisse restituer le style du groupe et l'ambiance du moment.

J'ai beaucoup aimé les ambiances de prises de vue du groupe Elhaz à la torche, la nuit, en pleine forêt ! Ou la petite cave savamment Eclairée d'Eros Necropsique en concert acoustique. Ou les portraits individuels des membres d'Osirion réalisés chez moi en faible éclairage. Et pourtant, on ne peut pas dire que ces trois groupes se ressemblent ! Chaque groupe a son esthétisme, sa couleur, son apparence, sa mise en scène, son rythme, et, à ce titre, mérite que l'œil du photographe s'y arrête.

Ne navigant pas du tout dans le monde métalleux en dehors des périodes passées à préparer mes expos Métal-sur-Scène, je n'ai jamais été amené à rencontrer d'autres personnes intéressées par l'esthétisme des concerts métal. Aujourd'hui, j'ai l'impression, après moult concerts de groupes métal différents, de toujours refaire les mêmes photos de scène. Je n'ai pas envie de refaire toujours la même chose. J'ai donc arrêté de suivre ces groupes, en attendant d'en découvrir d'autres qui présenteront un esthétisme particulier. Pourquoi pas des groupes gothiques au visuel différent des groupes que j'ai suivis jusqu'à présent. L'appel est lancé !

J'ai été amené à photographier des concerts de jour qui ne m'ont pas donné satisfaction. L'ambiance diurne n'est pas pour moi. Elle ne me correspond pas du tout.

7. Finalement, peut-on dire que ton objectif photographique n'est ni plus ni moins l'instrument pour mettre en scène et exorciser des délires / fantasmes, non ? Autrement dit, comme tous les artistes, la photo (comme la musique ou la peinture) est-elle un moyen d'expression comme un autre pour exprimer ce qu'il y a au plus profond de toi ?

Ca ne fait aucun doute ! Mais une photographie, ou même l'ensemble d'un travail artistique, ne donne qu'un certain aspect de son auteur. Mais ce qu'il est vraiment, qui le sait ?! On n'a qu'un morceau du puzzle éminemment complexe de sa personnalité !

Par ailleurs, pour exorciser mes fantasmes, je préfère la relation humaine à l'utilisation de mon appareil-photos ! Et puis il y a aussi d'autres moyens d'expression comme l'écriture ou la camera !

8. Parlons un peu musique, puisque nous sommes dans La Horde Noire. Quel style de métal préfères-tu ? Quels groupes sont cultes pour toi ? Lequel rêverais-tu d'accompagner en tournée en tant que photographe personnel ?

Pour les raisons Evoquées plus haut, tu auras compris que je ne suis aucunement bien placé pour discuter musique ou émettre un avis sur tel ou tel groupe de métal. Et je ne veux offenser personne ! Comme dans toute forme d'expression artistique, il faut accepter la pluralité des genres et des personnes qui l'expriment. Disons que je suis par nature plus proche des musiques sombres et des ambiances dépressives ! Mais on peut aimer en même temps Marguerite Duras et Louis de Funès, non ? Pile et face ne sont que deux angles d'une même pièce bien plus complexe que malléable.

Je ne referai de photos de scène que pour des esthétismes différents, indépendamment de la musique du groupe. Pourquoi pas Punish Yourself pour un changement de look ? Et puis Sopor Aeternus ! Voilà de quoi réaliser des photos radicalement différentes de tous les groupes que j'ai déjà photographiés ! Mais le problème ne se posera pas : ils doivent déjà avoir ce qu'il faut sous la main !

9. Merci et longue continuation à toi, Grand photographe des Arts Noirs...

Merci à toi et merci à la Horde Noire de s'intéresser à toutes les formes de création, et surtout aux plus noires !

Turannos – Mai 06