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Alexis Mombelet & Nicolas Walzer, sociologues du métal

Interviews culture

Le satanisme. Quel danger pour la société ?, D. Bisson, A. Mombelet, N. Walzer, dir. Olivier Bobineau, Paris, Flammarion-Pygmali Le satanisme reste un thème malmené par les médias, qui se sont souvent livrés à de fâcheux amalgames et raccourcis. Et pour cause. Les ressources en la matière sont bien difficiles à réunir. L'aspect sensible, voire tabou du sujet, mêlé à la rareté de la littérature, ne font que brouiller les pistes. C'est en partie pour mettre fin à ce brouillard d'ignorance qu'Alexis Mombelet et Nicolas Walzer, tous deux doctorants en sociologie, se sont consacrés à l'étude universitaire du satanisme. Après avoir longtemps travaillé sur la musique metal (et sur le terrain !), ils publiaient début 2008 un ouvrage collectif intitulé Le satanisme. Quel danger pour la société ?, sous la direction d'Olivier Bobineau. Un livre très fouillé, qui renverse les mythes et fantasmes entourant les adeptes du Malin. Les auteurs nous en livrent ici quelques clefs.

Myrha: Quand et comment vous est venue l'idée de consacrer une étude universitaire au satanisme ?

Alexis Mombelet : En 2002-2003, quand j'étais en maîtrise, j'ai décidé de m'intéresser à la musique metal, et en particulier aux concerts de musique metal. Et il s'avère que dans mon travail annexe, j'ai rédigé une partie sur le satanisme, et tout ce que j'ai appelé les extrémismes. En 2003, on a constitué un groupe informel, on était tous les trois, Olivier Bobineau, Nicolas Walzer et moi.

Parlez-moi un peu de votre expérience à la Miviludes [Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les dérives sectaires, chargée « d'observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire »] .

A.M. : Fin 2005, on y a fait un stage. On a proposé des notes de travail sur la question du satanisme et de son rapport éventuel à la musique metal, à la musique gothic. Et, comme je te disais, il y a eu une divergence méthodologique avant tout, c'est-à-dire que de notre côté, on est animé par une seule obsession, la preuve et son administration. La Miviludes n'avait pas la même lecture, du tout, de la question du satanisme. Et donc il y a eu un clash, et on s'est séparés, au mois de janvier 2006.

Au cours de votre étude, avez-vous été confrontés à des réactions hostiles, qui vous auraient empêché de publier ?

A. M. : Le livre, si on a réussi à le publier, c'est grâce à un réseau, car Olivier Bobineau connaissait très bien des gens de Pygmalion [la maison d'édition] . Il a réussi à vendre le livre en rappelant qu'il y avait une actualité importante, en particulier qui touchait à l'ordre publique. Les reportages télé et presse écrite sont là pour le prouver. A travers cette actualité, on a pu publier le livre. On n'est pas dupes, si on a pu publier, c'est grâce à un réseau.

Quels obstacles épistémologiques avez-vous rencontrés lors de l'écriture de l'ouvrage? Vous baignez depuis longtemps dans le milieu metal, Comment alors avez-vous pu vous départir de votre subjectivité?

Nicolas Walzer : C'est une gymnastique intellectuelle...
A. M. : Ecoute, les personnes spécialisées en sociologie du sport pratiquent elles-mêmes du sport, elles font parties intégrantes de leur terrain d'enquête. Il en est de même en sociologie des religions. Ce que je veux dire, c'est qu'une telle démarche est banale en sociologie. Pour se prémunir de cette subjectivité, il faut la mettre à plat et sans cesse se remettre en question. Une sorte d'auto-analyse à renouveler en permanence. On pourrait dire qu'en sociologie, l'objectivité réside dans la subjectivité dévoilée...
N. W. : On n'est pas satanistes, hein...
A. M. : Au cours des entretiens, il faut éviter de projeter nos attentes chez l'interviewé et donc la réponse dans la question que l'on pose. Il faut éviter d'orienter le discours des personnes interviewées.

L'échantillonnage que vous avez choisi m'a paru hétéroclite. La limite d'âge y est de 36 ans. Pouvez-vous m'expliquer ce choix de panel?

A. M. : On a adopté une démarche qualitative, qui malheureusement n'a pas bonne presse chez les gens qui ne connaissent pas du tout la sociologie. Le quantitatif est vu comme le travail du scientifique par excellence.
N. W. : . Dans mon bouquin personnel, on n'a pas compris non plus pourquoi j'avais fait ça.
A. M. : Aujourd'hui, l'un comme l'autre sont acceptés en sociologie. Ce qui me paraît important à dire, c'est que ce n'est pas un travail, seulement, par entretien. C'est un travail sociologique basé sur de l'observation participante. Ça n'est pas de l'entretien pur, où tu rencontres une personne durant un après-midi, et ensuite tu ne la revois plus. Ce qui était important, c'était de suivre sur le long terme les individus, de prendre conscience de leur trajectoire. Instaurer un rapport de confiance était primordial sur un sujet aussi polémique. Ce qu'une personne nous confie en quinze minutes chrono en main, si on prend l'exemple du questionnaire dans le cadre d'une enquête quantitatif, s'avère pauvre par rapport aux informations que l'on peut recueillir sur plusieurs mois, voire plusieurs années d'accompagnement. Le plus important reste de croiser les informations, de multiplier les sources d'analyse : entretiens en face-à-face, discussions informelles, participation à des concerts et autres soirées privées, ouvrages universitaires, Internet, presse écrite, reportages télévisés... sont autant de sources à prendre en compte.

Comment avez-vous abordé des satanistes?

A. M. : Le premier constat qu'on a pu dresser, c'est qu'il est extrêmement difficile de rencontrer des satanistes, physiquement parlant. Rencontrer des gens sur le net, qui se disent ou se réclament satanistes, c'est une chose. Mais après, essayer d'aller plus loin, de rencontrer la personne, pour voir quel est le fond de son discours, voir s'il s'agit simplement d'une rébellion adolescente par exemple...c'est plus difficile. La toile est un outil incontournable quand on fait une étude sociologique. Tous les sociologues passent du temps sur Internet. On en a donc passé nous aussi, et en particulier pour un sujet tel que le satanisme, très opaque. La toile reste une bonne porte d'entrée pour essayer de contacter des satanistes. Mais ce n'est pas suffisant. Une fois qu'on a pris contact, on a essayé de rencontrer les gens. On a essuyé beaucoup des refus, mais on a réussi à rencontrer des personnes qui avaient un discours intéressant, et ça nous a permis de dresser les contours du phénomène.

Pourquoi ces refus de se dévoiler?

A.M. : Il y a différentes motivations. D'une part, il y a le fait de rejeter le principe même de l'étude sociologique, en se disant que le satanisme doit rester dans l'ombre. C'est quelque chose d'assez frappant que l'on rencontre à propos de tous les sujets « à part ». Parfois, on avait à faire à des rigolos en face de nous, qui n'avaient sans doute pas envie d'être « démasqués ».
N. W. : D'où la difficulté dans le cadre d'une sociologie quantitative de traiter un sujet sulfureux comme le nôtre, qui appelle nécessairement je crois une rencontre et un récit de vie.
A. M. : Il faut faire naître un sentiment de confiance entre la personne, qui est en face de nous ou sur Internet, et nous-mêmes. C'est extrêmement difficile et coûteux en temps. Grâce à une personne, on en rencontre d'autres. Mais ce sont les premiers qui sont les plus durs à rencontrer.
L'image du diable fait vendre aujourd'hui. Elle attire plus qu'elle ne repousse. Ne pensez-vous pas qu'il s'agisse d'un héritage judéo-chrétien, qui consiste à sublimer l'image du Malin ?
A. M. : D'un point de vue historique, ce qui est intéressant à voir, c'est la mutation radicale qu'opère le diable. Au départ, Satan est l'incarnation du Mal, du mal absolu. La « pastorale de la peur » entretenue par le clergé tâche de faire rentrer les fidèles dans le droit chemin. Puis la figure du diable va être récupérée par les philosophes, elle va être récupérée par les écrivains, les romanciers, et progressivement, elle va sortir de la sphère strictement religieuse, et va passer dans la sphère séculière. Et là, précisément, on va la retrouver à la fois dans le champ politique, et enfin, économique. Ce que tu évoquais. Il est important de souligner l'importance de ce passage de la sphère religieuse à la sphère séculière. Oui, donc aujourd'hui, le diable fait vendre, que ce soit au travers des marques de bière, des vêtements...Ou chez Quick, où on va manger un « Demoniac bacon ». Le diable et toutes ses déclinaisons sont devenus des arguments de vente. Il incarne la tentation. Disons que ça a été totalement intégré par notre société. Mais il reste quand même un lourd héritage judéo-chrétien. On ne s'en détache pas non plus totalement, ça laisse des traces.

Qui a peur du Diable finalement? Il a l'air d'être davantage accepté à notre époque.

A.M. : Je ne partage pas ton point de vue. Ça dépend dans quelle société on se place...

Disons qu'au XVIIIe siècle, c'était subversif de jouer avec le Diable, ou à la limite, au début du XXe siècle...

A. M. : J'entends bien. Aujourd'hui, on a tendance à oublier qu'il existe encore et toujours des bien-pensants, que notre société est truffée d'« entrepreneurs de morale », pour reprendre Howard Becker [un sociologue] . Il existe toujours des gens pour dire : « Non, vous ne pouvez pas reprendre la figure de Satan, car il est l'incarnation du Mal absolu ». Si on se place en particulier aux Etats-Unis, avec l'importance du fondamentalisme chrétien, on comprend beaucoup mieux l'impact du discours de Marilyn Manson, qui va s'élever face à ce type de discours extrémistes. Mais ce type de discours fait beaucoup moins sens en France, pays laïc. Or, qui dit laïcité, dit moment anti-clérical. Lorsque la loi sur la laïcité est votée, elle s'accompagne, entre autres, d'un rejet de la religion. Nous en sommes les héritiers. Toutefois, en France, il existe toujours des « bien-pensants », des moralisateurs qui s'insurgent face à la récupération de la figure de Satan. Que se soient chez des cathos conservateurs, ou que ce soit au sein des pouvoirs publics... Une certaine presse aussi s'en émeut. On a un certain nombre de reportages qui l'illustre. Donc oui, ça fait toujours peur à certains.

Aujourd'hui, en quoi le satanisme est contestataire, et s'impose comme un défi à la société?

N. W. : Le défi de se déifier. C'est quelque chose qui est né notamment avec Crowley, qui a été la principale influence du satanisme, même s'il n'était pas sataniste, et il s'en est défendu. Il se moquait volontiers des satanistes. C'est le premier qui a érigé ce défi de se déifier, de faire de l'homme un dieu. Le défi finalement du sataniste, ce serait de cet ordre-là. De maximiser la puissance de l'homme.
A. M. : Je crois que ce qui fait véritablement peur à la société dans le satanisme, c'est ce culte de l'ego, un hyper-individualisme, que toute société craint précisément. C'est la rupture du lien social. Après l'hyper-individualisme, qu'est-ce qu'il y a ? On encense l'homme, et le lien social et le rapport à l'autre deviennent secondaire. Ça, ça fait peur à la société. Ça va même à l'encontre de son fondement. Ça hérisse le poil à beaucoup de moralisateurs. Et c'est pareil, ça renvoie pour certains à l'incarnation du Mal. Quoi qu'on en dise, c'est le mot qui est fort. Ça fait peur à bon nombre de personnes, qu'elles soient catholiques ou athées. Car c'est associer dans les médias à des exactions diverses, soit à des profanations de tombes, soit à des incendies d'églises. A partir du moment où on associe le satanisme à ces exactions, le satanisme fait peur. Et c'est légitime. Qui dit satanisme dit exactions en tous genres. A partir de là, de fil en aiguille, le satanisme fait peur. Il est vécu comme un problème social qu'il faut combattre.

J'aimerais que vous reveniez sur une citation de l'ouvrage, qui traite de « l'obsolescence des croyances et des pratiques sataniques ». En quoi le satanisme est voué à se disloquer, du moins à devenir de plus en plus diffus? Parlez-vous de l'Eglise de Satan ou du satanisme en général?

A. M. : Du satanisme en général, et c'est toujours cette idée d'aporie si tu veux. Comment conjuguer d'un côté le culte de l'ego, l'égotisme et de l'autre la volonté, pour certains, de faire communauté. Tout le monde ne souhaite pas faire communauté, la plupart d'ailleurs le vivent de manière solitaire ou en couple. A un moment donné, on n'arrive pas à conjuguer les deux, ça ne fait plus sens, alors on passe à autre chose. C'est ça l'obsolescence. Certains satanistes laissent tomber, et passent complètement à autre chose, et parfois jettent un regard amusé sur le passé.
Les satanistes français sont-ils plus solitaires et indépendants que les adeptes américains ?
A.M. : En tous cas c'est ce qu'on a constaté. En grande majorité, les satanistes français sont indépendants. Les satanistes affiliés à des organisations américaines, que ce soit le Temple de Seth, l'Eglise de Satan, la Première Eglise Satanique, ou d'autres organisations internationales, sont très minoritaires. Mais aux Etats-Unis aussi, et malgré le nombre d'organisations qui y sont implantées, la majorité des satanistes reste indépendante.

C'est une question de distance géographique ?

N.W. : Il faut souligner que la majorité des écrits est en Anglais. Il n'y a pas de « théoriciens » satanique français. Même si les traductions existent. Pour les jeunes satanistes, écouter du metal fait partie de leur « monde sataniste », ou du cérémonial ?
A. M. : Ce qui est important au niveau du metal et de ses liens supposés avec le satanisme, c'est de faire un distinguo entre l'imaginaire satanique d'une part, et le satanisme de l'autre. L'imaginaire satanique constitue une référence symbolique à la figure de Satan. C'est le pentagramme, le 666, la croix chrétienne inversée, tous ces symboles qu'on retrouve sur les tee-shirts, sur les pochettes d'album. Ça c'est l'imaginaire satanique. Et de l'autre côté, on a le satanisme comme fait religieux. Pourquoi avoir recours finalement à l'imaginaire satanique ? C'est la question qu'on a posé aux satanistes et aux métalleux que l'on a rencontrés. Donc l'idée, c'est que Satan, ce n'est pas le symbole du mal absolu, c'est avant tout le symbole du Non. C'est s'opposer à toute forme d'institution, d'autorité, qu'elle soit religieuse, politique, voire familiale. Pour les jeunes métalleux qui arborent ces symboles, c'est s'opposer au monde des adultes qui « surveille et punit ». C'est également un signe de reconnaissance tribale. Finalement on arbore une croix chrétienne renversée ou un pentagramme simplement parce que c'est un signe de reconnaissance tribale, pour faire communauté. Je l'arbore pour faire communauté, davantage que pour dire « merde » à la société. Autre motif, c'est l'argument commercial. Certains groupes font référence à la figure de Satan pour vendre. Satan fait scandale, et le scandale fait recette. C'est aussi perçu comme ça par de nombreux métalleux. Il ne faut pas oublier que l'imaginaire satanique n'est qu'un imaginaire parmi d'autres dans le metal. Réduire l'Imaginaire qui existe dans le metal au seul imaginaire satanique, c'est commettre une réduction manifeste. Pensons à l'imaginaire vampirique, au triptyque dionysiaque « sex, drugs and rock n'roll », à la mythologie nordique, à l'heroic fantasy...

Au niveau du black metal, pensez-vous qu'il y ait un fond de sincérité de la part des groupes ? Ou alors, la symbolique démoniaque relève-t-elle simplement d'une mascarade, visant à faire vendre ?

A. M. : Si on se place du point de vue des amateurs de black metal, les deux attitudes se retrouvent. Pour certains, c'est véritablement une manière de dire non à la religion, c'est un cri de liberté, une volonté de s'émanciper et de revendiquer un libre-arbitre. C'est clairement ça quand ils portent un tee-shirt ou lorsqu'ils écoutent tel groupe de black metal. Mais pour d'autres, la majorité, c'est simplement un argument commercial, un code esthétique, un signe de reconnaissance : "J'écoute tel groupe qui fait référence à Satan, mais pour moi ça n'a guère d'intérêt, j'écoute ce groupe avant tout parce que j'aime sa musique, et son discours est secondaire". C'est aussi la question de l'importance accordée aux paroles dans le metal que tu poses là. Or, il s'avère que l'intérêt accordé aux paroles est plus que relatif. Très peu d'auditeurs traduisent entièrement un album de musique metal, en particulier quand les paroles sont en Finnois, en Norvégien, langues très peu connues en France. Ce peu d'intérêt accordé aux paroles pour un observateur non avisé, extérieur, ne fait absolument pas sens, car en France ce qui prime c'est le verbe, c'est le mot. Pensons à la variété française, au rap, les paroles sont très importantes et portent la musique bien plus que la musique ne porte les paroles.
N. W. : Les musiciens aussi sont dans cette optique-là. J'avais interviewé Ihsahn [fondateur, chanteur et guitariste du défunt Emperor] , et il m'a expliqué qu'In the Nighside Eclipse, c'était, pour caricaturer, des mots chouettes trouvés dans le dictionnaire. Il était jeune à l'époque, son parcours a évolué depuis. Ça va même plus loin aujourd'hui, les musiciens se sentent obligés d'aller dans le gore. J'avais récemment des trucs à chroniquer, type « Masturbate Jesus Christ », des trucs comme ça. Ils se sentent obligés d'aller dans ce gore pour faire métalleux... C'est l'idée du conformisme dans l'anti-conformisme. Ce que je veux dire, c'est qu'à un moment donné, on peut utiliser des codes satanistes parce que dans le black metal cela fait parti des « règles », sans être soi-même sataniste. Ça me rappelle une interview du chanteur (Erik) de Watain, qui critiquait des groupes de black metal, en expliquant qu'ils ont recours à la symbolique, à l'imaginaire satanique, sans vivre au jour le jour leurs soi-disant idéaux.

Dans l'ouvrage, vous parlez de Seigneur Voland [un des plus célèbres groupes français de NSBM] . Quel est le rapport de ce groupe au satanisme, et suscite-il autant d'admiration qu'on pourrait le penser ?

A. M. : Je pense que l'intérêt est avant tout musical. L'aura subversif des musiciens contribue aussi à cet intérêt. Ce qu'on observe, et qui peut paraître surprenant de prime abord, c'est que nombre de personnes qui écoutent des groupes tels que Burzum, qui écoutent des groupes clairement NSBM, apprécient la musique, mais rejettent totalement le discours des protagonistes.
N. W. : On a développé plusieurs cas de figure...
A. M. : On peut écouter la musique d'un individu dont on ne partage pas du tout l'idéologie. Après, certains apprécient ces groupes parce qu'ils sont effectivement NS. On constate qu'il y a un certain nombre de groupes d'extrême-droite qui vont récupérer la figure de Satan, tout comme certains récupèrent la mythologie nordique, pour alimenter leurs idéaux ultra-contestataires. Ils récupèrent l'image d'Odin pour alimenter des idéaux NS. Or, en soi, la mythologie nordique n'est pas du tout NS. Ce processus de récupération est courant dans les groupes d'extrême droite. Ils l'ont fait avec la musique metal, ils l'avaient fait avant avec le rock, avec la musique folk... Et puis, il reste plus facile de s'afficher sataniste que de s'afficher néo-nazi. Un certain nombre d'entre eux avancent masqués. Il ne faut pas être dupe, ce ne sont pas des satanistes, ce sont des nazillons qui récupèrent la figure de Satan.
N. W. : Le NSBM est d'une certaine manière censurée par les métalleux eux-mêmes, qui n'acceptent pas qu'on récupère la musique metal pour faire passer de tels messages... Aujourd'hui, l'une des subversions ultimes consisterait sans doute à s'attaquer à l'islam radical. Or, d'après ce que je sais, il y a très peu de groupes de black metal « anti-islam ». En voyant l'affaire des caricatures de Mahomet, on se rend bien compte de l'impact que cela pourrait avoir.
A. M. : Ça ne fait pas sens pour les métalleux. La plupart d'entre eux ont reçu une éducation chrétienne ou athée. De fait, certains s'opposent à la figure tutélaire correspondante, celle du Christ. Si une majorité de métalleux avait été éduquée selon des préceptes musulmans, je pense qu'une plus grande partie s'y opposerait. Pour l'instant, ils restent très minoritaires. Ça arrivera peut-être par l'intermédiaire de certains groupes d'Afrique du Nord.
N.W. : Il y a des groupes qui émergent au Maroc. Je pense notamment à un groupe de quatre filles qui font du metal extrême. Elles sont assez aguicheuses sur scène d'ailleurs.
A. M. : En outrepassant des codes qui touchent au sexe, elles sont subversives.
N. W. : Elles cristallisent tous les dossiers « chauds » du moment : libération de la femme, religion...

Pour finir, j'aimerais que vous me parliez de la notion de « braconnage satanique ». S'agit-il d'un patchwork de codes, de références ?

A. M. : C'est une notion empruntée à Michel de Certeau [jésuite auteur d'études d'histoire religieuse] . Il est question de récupérer certains symboles, certains principes doctrinaux, mais sans en conserver l'essence-même. Il s'agit par exemple d'arborer une croix chrétienne inversée mais sans adhérer finalement au satanisme. On récupère le 666 mais sans l'associer à la figure de Satan. Plus que d'accorder une importance au fond, à l'essence, il s'agit de s'attacher à la forme, à la surface des choses en l'occurrence. Certains amateurs de metal opèrent ce type de braconnage satanique, certains néo-nazis également.
N. W. : Il en est question à propos des profanations de tombes.
A. M. : Les incendies d'églises, les profanations, ce type d'exactions, selon nous, relève du braconnage satanique. On n'a pas à faire à des satanistes mais à des néo-nazis, qui vont récupérer l'image de Satan, instrumentaliser le satanisme, pour alimenter leurs idéaux ultra-contestataires. En fouillant un petit peu, lors des procès, on voit bien que ce qui les anime, ce sont des discours fascisants. Mais il n'y a pas que des néo-nazis derrière ces exactions. On a identifié trois types de personnes passant à l'acte. Il y a des cas pathologiques. Au moment du passage à l'acte, la personne est atteinte d'un trouble psychique du type schizophrénie. Sinon, il y a les cas sociaux qui correspondent aux individus présentant une trajectoire précarisée. Ils ont connu une rupture familiale, ils prennent de la drogue, sont désocialisés et mobilisent un imaginaire satanique. Mais s'ils passent à l'acte, ce n'est parce qu'ils mobilisent un imaginaire satanique ou parce qu'ils écoutent du metal. Il faut garder à l'esprit que les métalleux sont des centaines de milliers à mobiliser cet imaginaire. Or, ils ne passent pas tous à l'acte ! C'est un faisceau de facteurs qu'il faut considérer. Autre aspect à prendre en compte dans ces exactions : l'émulation provoquée par le groupe. Un groupe de jeunes personnes en règle générale. À travers ces passages à l'acte, il est aussi question de défier le monde des adultes et la société pour ces jeunes, de lui dire merde. Le mimétisme aussi : "Parce qu'on a vu ça à la télé, on trouve ça bien alors on fait la même chose".

C'est rare !

A. M. : Pas tant que ça. En recoupant les articles de presse, plusieurs personnes ont évoqué cette question de la médiatisation et du mimétisme. Je dis bien « ça a contribué ». Et enfin, bien évidemment, il y a le facteur drogue. Les profanateurs sont souvent alcoolisés...Quand on additionne tous ces facteurs, on se rend compte que le satanisme comme doctrine n'a pas grand-chose à voir dans tout ça. On a davantage à faire à des braconniers. Et ces personnes font l'objet d'une condamnation de la part des métalleux, mais aussi de la part des satanistes rencontrés... Les grandes organisations américaines condamnent de leurs côtés ces exactions.

Un mot à ajouter ? Des projets ?

A. M. : Terminer ma thèse sur le metal, le plus vite possible ! Et sinon, cette formule d'Antoine Durafour, auteur d'un ouvrage sur la musique gothique : « Il ne faut pas confondre culture marginale, et marginalité sociale ». C'est une très belle formule, je trouve.
N. W. : J'ai un projet en suspend sur le satanisme, je continue sur cette même voie...

Myrha