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Nicolas Benard, docteur en hard rock

Nicolas_Bénard

Interviews culture

Une fois n'est pas coutume, nous avons décidé de faire un entretien non pas d'un groupe; certes, nous avions déjà ouvert nos pages à des boss de labels, mais cette fois, cil s'agit d'un écrivain un peu particulier : NICOLAS BENARD vient de sortir un petit livre sur "La culture hard rock" aux éditions DILECTA pour tordre le cou aux pseudo-études médiatisées qui critiquent bêtement notre musique préférée sans la connaitre.

1) Salut à toi, Nicolas. Décris-nous d'abord ton parcours musical... Quels groupes t'ont donné envie d'écouter du hard/métal, puis de l'étudier ? As-tu aussi appris à jouer d'un instrument ?
Salut à toi, et merci pour l'intérêt que tu portes à mes travaux.
Mon parcours musical est, je crois, assez typique du parcours « classique » du métalleux.
J'ai découvert ce style à la fin des années 1980 avec des groupes assez « light » comme Europe, Poison et Alice Cooper. Ensuite, grâce au bibliobus (sic) qui se garait à côté de chez mes parents, j'ai pu écouter des groupes un peu plus métal tels que Malmsteen, Exodus, Viva ou encore l'excellente compilation Thrash the Wall qui m'a permis d'entrer de plain pied dans le métal extrême. Arrivé au lycée, les choses se sont accélérées car j'étais dans un établissement « gangrené » par des fans d'Annihilator, Destruction, Sodom et Iced Earth. C'en était fait de moi : j'étais contaminé.
Ce qui m'a donné envie de m'intéresser à ce style à l'Université, c'est avant tout sa diversité de sons, d'images, de couleurs, etc. Poison et Mayhem proposent une musique tellement différente, et pourtant, on trouve les disques de ces groupes dans le même rayon !
Comme tout fan de métal, j'ai tenté d'apprendre à jouer de la guitare, mais je suis un piètre musicien. Ce qui ne m'empêche pas d'être un amoureux de la musique, prêt à disséquer chaque album, chaque titre, chaque plan de guitare ou partie de batterie.

2) Ta passion métallique doit toujours être intacte, mais les fans évoluent aussi dans leurs gouts. Quels groupes / styles écoutes-tu beaucoup maintenant ? Es-tu plus hard rock ou métal ?
J'écoute encore quelques vieilleries hard rock, comme Poison, Alice Cooper ou Europe, sans doute par nostalgie. Mais aujourd'hui, mes goûts sont plus « modernes ». J'écoute un peu de tout, dans chaque style, même si j'ai du mal avec tout ce qui finit par -core. Disons que je recherche avant tout, dans un groupe, puissance, émotion et mélodie. Les artistes que j'apprécie le plus, depuis une dizaine d'années, sont Emperor, Opeth, Nevermore, Kamelot, Moonspell, Orphaned Land, Persefone, Amorphis et Death. Sans oublier des classiques tels que Helloween, Slayer, Metallica (1983-1996) et Iron Maiden (1984-1988).

3) Explique-nous maintenant ton cheminement universitaire, et comment tu as tenté (et réussi) à faire coïncider le métal et les études, la passion et le boulot, rêve de nombreux hardos/métalleux...
J'ai travaillé, en maîtrise et en DEA, sur un sujet totalement différent : la presse de langue anglaise à Paris, entre 1815 et 1914. Je voulais en effet travailler ensuite dans la presse, ce que j'ai fait de 2000 à 2003, notamment à Canal +. J'ai cependant vécu cette expérience comme une énorme déception en raison de la réalité du travail des journalistes, peu rigoureux et conditionnés par des impératifs économiques et médiatiques douteux. Je suis retourné à l'Université après avoir croisé mon ancien directeur de DEA sur un plateau de télévision. Il m'a demandé ce que j'aimais dans la vie, et je lui ai répondu : le métal. Ouvert aux thématiques de l'histoire culturelle du monde contemporain, il m'a encouragé à entreprendre une thèse sur le métal dans ce domaine. J'ai donc commencé en 2002 et, après une pause d'un an en 2005 pour m'occuper de mon fils qui venait de naître, j'ai soutenu le 16 octobre 2007. Je précise que mes recherches, qui ont donc duré 4 ans et demi, n'ont pas été financées par l'Université, mais par une activité professionnelle extérieure. Je ne vis donc malheureusement pas de ma passion, mais avoir mené à bien ce projet se suffit à lui-même.

4) Tu avais déjà probablement la « matière première » en stock, à savoir, les mag' de métal et les albums des groupes. Combien de temps as-tu bossé sur la thèse proprement dite ? Et comment as-tu procédé? Quels aspects du métal qui t'étaient inconnus as-tu développé?
Je collectionne les magazines de métal depuis des années, j'avais donc la matière à domicile. En outre, j'ai co-animé, pendant plusieurs années, une émission de métal dans une radio associative des Yvelines. Cela m'a permis de côtoyer des artistes, des responsables de maisons de disques, des graphistes, etc. Comme je l'ai indiqué plus haut, j'ai travaillé pendant 4 et demi sur mon sujet, à partir de sources aussi diverses que la presse spécialisée et généraliste, les paroles et les pochettes de disques, des enregistrements vidéos, des entretiens réalisés avec des pratiquants, etc. J'ai d'abord élaboré un corpus de sources, pour ne pas trop m'éparpiller, en sélectionnant des productions représentatives de chaque style, de chaque pays, de chaque période de l'histoire du hard rock et du métal. Evidemment, le fait d'être un fan m'a grandement facilité les choses car je savais dès le départ que Satan Jokers était un groupe français jouant du hard rock, ou que Dimmu Borgir était un groupe norvégien jouant du black metal. J'ai donc étudié ce corpus de sources, en utilisant une méthode d'analyse qualitative et quantitative. Je connaissais très bien, a priori, l'univers du métal, mais j'ai beaucoup appris au sujet des sources d'inspiration des groupes de métal. Par exemple, l'utilisation de la guerre, de la mort ou du diable comme sources d'inspiration n'est pas nouvelle dans l'Art. L'Art fantastique cher, par exemple, à Hans Baldung, véhiculait déjà, au 16ème siècle, des images de mort. Quant aux groupes scandinaves qui diffusent des images de fjords et de forêts, ils agissent comme les peintres nordiques du 19ème.

5) Quel était ton objectif en faisant cette thèse ? plaisir personnel ? prosélytisme musical ?
Le plaisir intervient le jour de l'aboutissement du projet, c'est-à-dire le jour de la soutenance ! Parce que pendant près de 5 ans, j'ai surtout ressenti le stress et la tension au quotidien. Je voulais avant tout travailler avec sérieux et méthodologie, en respectant les règles académiques propres à la recherche universitaire. Il n'était pas question de faire de prosélytisme, mais d'étudier un phénomène culturel. Après, il est évident que certaines de mes conclusions vont à l'encontre des idées fréquemment véhiculées par les médias généralistes, et c'est tant mieux. Non, les artistes de métal ne sont pas tous des satanistes. Et d'abord, qu'est ce que le satanisme ? J'essaye de répondre à la question, en tout cas pour ce qui concerne le métal. Car en France, on entend n'importe quoi sur le sujet, notamment au travers des « travaux » (contestés) de la Miviludes. Pour revenir à ma thèse, j'espère qu'elle me permettra de m'inscrire dans une carrière d'enseignant - chercheur à l'université, car les deux sont pour moi aussi importants.

6) Le choix des illustrations a dû être dur, vu leur diversité....
Pas vraiment, non, dans la mesure où je voulais proposer des images caractéristiques des principaux thèmes récurrents. Le plus dur a été de contacter les détenteurs des droits. Heureusement, tout le monde, artistes, graphistes, responsables de labels, s'est montré enthousiaste et a soutenu mon projet.

7) Y-a-t-il un gros écart entre le texte original de ta thèse et le résultat grand public de ce livre, que j'imagine épuré ?
L'écart est énorme ! Ma thèse a une structure universitaire classique, en trois parties, en multiples sous-parties, paragraphes, etc. Mon éditeur a souhaité un livre découpé en quelques chapitres seulement. Il m'a surtout demandé de tout réécrire pour proposer un contenu moins indigeste. En gros, j'ai conservé les résultats de mes analyses, et expurgé les démonstrations qui peuvent, dans certains cas, prendre plusieurs pages. Je crois que le résultat est satisfaisant, même si certains lecteurs auraient aimé disposer du texte entier. Je les comprends, c'est pourquoi j'accepte d'envoyer, à chaque personne qui me le demande, l'intégralité de ma thèse.

8) Quels retours as-tu eu des lecteurs/de l'éditeur ? les clichés que tu essaies de démonter (satanisme, suicide, nazisme) te sont-ils revenus en face à un moment donné ?
L'éditeur croit évidemment au potentiel de mon livre, même s'il se doute bien que je ne vais pas en vendre des milliers ! Pour l'instant, à l'exception d'une chronique négative sur Papercuts, les personne qui ont lu le livre semblent l'avoir apprécié, qu'elles soient fans de métal ou pas. Certaines ont été un peu frustrées, d'autres totalement emballées. Mais tous les fans me remercient de présenter leur univers sous son vrai jour, comme un véritable phénomène musical, une culture à part entière, vivante et harmonieuse, contrairement à ce que prétendent certains journalistes, religieux et hommes politiques. Mais attention, je n'émets aucun jugement de valeur sur tel ou tel style, sur tel ou tel comportement. Ce que j'essaye de comprendre, c'est pourquoi le métal, en France du moins, n'a pas bénéficié de l'engouement médiatique comme les autres musiques dites jeunes. D'autres phénomènes de masse comme le rap ou le foot ont été à l'origine de scandales bien plus importants, sans pour autant que les médias jettent l'opprobre sur tous leurs pratiquants. Quant au suicide, une étude canadienne a prouvé que la musique métal n'avait aucune incidence sur ce comportement, bien au contraire puisque de nombreux fans indiquent que le métal leur permet de mieux vivre leur quotidien. Enfin, contrairement à ce qu'indiquait un article de l'Humanité il y a quelques années, les fans de métal ne cousent pas de croix gammées sur leur veste !

9) D'ailleurs, présente-nous les Editions Dilecta : quelle est leur « créneau » ? Comment l'idée est venue de publier ta thèse ?
Les éditions Dilecta s'intéressent à l'histoire culturelle d'une manière très large. C'est une petite structure, mais leur travail est très professionnel. J'ai rencontré le directeur un an avant ma soutenance, ce qui est assez rare. Il avait trouvé mon sujet sur le site internet de mon université et voulait absolument me publier une fois la thèse soutenue. De mon côté, je suis heureux d'avoir trouvé un éditeur qui ne soit pas Camion blanc ! Je n'ai rien contre cette structure, mais je trouve dommage que tous les ouvrages sur le métal soient publiés par le même éditeur. C'est une manière d'enfermer le style, ce qui lui est, d'après moi, largement préjudiciable.

10) Pour finir, te sens-tu plus dans la peau de l'historien ou du métalleux depuis la publication de « La culture hard rock » ?
Je suis un métalleux avant d'être un historien. L'histoire est un centre d'intérêt et un exercice de réflexion, tandis que le métal fait partie de moi de manière beaucoup plus intime. C'est un art à part entière qui, comme chaque expression artistique, peut-être étudié et analysé par n'importe qui, mais ressenti avec force uniquement par ceux qui le méritent ! Et j'ai la chance de faire partie de ceux-là.

Bonne continuation à toi !

Lire aussi la chronique du livre dans notre rubrique "Littérature".

Autocratôr, dec. 2008