Death metal, Suède
mai 2004
Interviewer le grand Dan Swanö, par téléphone qui plus est, est un grand moment, je vous l'assure. Cette légende du Metal scandinave, avant d'être un musicien et un producteur d'exception, se révèle être en effet un type très sympathique, et il est plus qu'intéressant de l'entendre parler si humblement à la fois de ses projets futurs, et de ce glorieux passé pas si éloigné que cela, où l'homme se trouvait au centre du cyclone qui voyait naître (ou renaître) avec grand bruit toute cette scène nordique dont certains des membres les plus illustres sont à présent devenus de véritables stars. Mais quel bavard ! La seule idée de traduire et de taper intégralement cet entretient à longtemps suscité en moi d'intenses langueurs neurasthéniques? J'ai aujourd'hui décidé de m'y coller ; bonne lecture donc, et savourez !
1 - Tout d'abord, j'aimerais te demander pour quelles raisons tu as souhaité ressusciter EDGE OF SANITY et décidé d'enregistrer "Crimson II". Cette idée te trottait-elle dans la tête depuis longtemps, ou t'a-t-elle été inspirée de l'extérieur (un fan, des proches, un label?) ?
Tout d'abord il me faut parler un peu de la fin du groupe. Une grande partie du " feeling " originel, celui que nous ressentions à jouer ensemble au début des années 90, s'est rapidement évanoui, et le groupe a commencé à ressembler davantage à un " projet ", dont les autres membres me laissaient, apparemment sans trop de frustrations, le " commandement ". J'étais un peu le capitaine du bateau : je dealais avec les maisons de disque, je m'occupais des contrats, je produisais les albums, etc. Les autres membres s'impliquaient de moins en moins. Quelquefois, le bassiste, pendant les sessions d'enregistrement, ne voulait pas se rendre en studio parce qu'il avait prévu d'aller à la pêche? EDGE OF SANITY devenait chaque jour un peu plus une garderie, et je devais surveiller les enfants (rires). Au bout d'un certain temps, je me suis vraiment demandé pourquoi je supportais tout ça. Je m'occupais de tout, d'ailleurs le groupe n'en était plus un : c'était en fait une réunion d'ancien membres d'EDGE OF SANITY qui se revoyaient toutes les 2 semaines pour jouer. Ca devenait absurde. Du coup, en 1996 ou 1997, je ne me rappelle plus très bien, lorsque je leur ai demandé de prendre du recul, de rester en dehors de ce projet auquel ils n'appartenaient plus, je ne pensais pas qu'ils le prendraient si mal. Alors que je souhaitais prendre le contrôle du navire, ils m'ont débarqué sur une île (rires) ; ils se sont mutinés, et j'ai du quitter le groupe. Ca n'a pas très bien marché pour eux?
Depuis ce jour là j'ai souhaité enregistrer un disque sous le nom d'EDGE OF SANITY, un album qui serait vraiment issu de mon cerveau, et sur lequel je pourrais interpréter tous les instruments. Je l'avais déjà fait sur " Infernal ", à part la batterie ; je savais donc que j'en étais capable. Je souhaitais surtout faire un disque exactement comme je l'entendais, sans qu'aucun être ne vienne interférer avec ma vision. C'était déjà mon idée juste après " Infernal " ; mais il ne s'est rien passé sur le coup puisque j'ai été fichu dehors, et que les autres membres du groupe ont continué à exploiter le filon sans moi? Cette situation m'a profondément abattu et j'ai donc décidé de faire autre chose, c'est à dire d'enregistrer un album solo dans un registre très différent, " Moontower ". Ce qui était devenu mon ancien groupe, pendant ce temps, enregistra un album de death brutal et passéiste, qui sonne un peu comme nos premières démos. Personne n'y a d'ailleurs reconnu EDGE OF SANITY. Ca ne tenait pas la route.
Je ne suis pas du genre à m'épuiser en vaines bagarres ; j'ai donc patiemment attendu l'inéluctable conclusion. Le groupe splitta rapidement. Toutefois, j'ai réalisé très vite que vivre dans le passé n'étais pas une bonne chose. J'ai renoncé à ramener EDGE OF SANITY à la vie jusqu'à ce que BLACK MARK (NDLR : la maison de disque de Dan) me fassent comprendre qu'ils étaient prêts à s'engager pour un nouvel album. J'y ai réfléchi, et j'ai décidé de m'y impliquer. De mon point de vue, c'était le bon moment. Tu sais, j'ai 30 ans à présent ; si j'avais continué à attendre, il m'aurait été chaque jour un peu plus difficile de capturer à nouveau cette " énergie " particulière, propre à EDGE OF SANITY. Dans toute ma carrière de musicien, EDGE OF SANITY a été mon plus grand accomplissement, que ce soit en terme de nombre d'albums réalisés, de ventes? De plus, je trouve plutôt intéressant le fait de proposer MON album d'EDGE OF SANITY, après que les autres aient réalisé le leur (" Cryptic "). En faisant cet album, j'ai en quelque sorte écrit la marche funèbre d'un groupe dont je me suis occupé comme une infirmière de son patient pendant de longues années (rires).
2 - Je suppose que " Crimson " (le premier épisode) doit tenir une place particulière au sein de ta discographie. Quelle importance lui assignes-tu ?
Pendant cette période, après " Purgatory Afterglow ", nous commencions à vendre des albums ; la presse parlait de nous, nous pouvions lire des chroniques de nos disques dans des magazines distribués en kiosque, on nous offrait des interviews partout dans le monde. Tout le monde nous attendait au tournant. Nous aurions pu enregistrer l'album qui nous aurait fait exploser sur la scène internationale ; mais au contraire nous avons choisi de sortir cette longue pièce épique et progressive, ce qui constitue un véritable suicide commercial.
Mais c'était la meilleure chose à faire. Il fallait que nous diminuions. Par exemple, nous n'aurions jamais pu jouer live, puisque le groupe existait à peine, nous n'aurions jamais pu assumer un éventuel succès.
Artistiquement de plus, il me semblait que le meilleur moyen de succéder à " Purgatory Afterglow " était de partir dans une direction radicalement différente : un " opéra death metal " constitué d'un morceau de plus de 45 minutes, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. " Crimson " m'a également permis de montrer au public d'où je venais, de leur dévoiler mes racines musicales, qui sont plus à chercher du côté du rock progressif que du metal pur et dur, puisqu'au death brutal qu'affectionnaient les membres du groupe viennent se mêler des influences plus inhabituelles. Nous avions réussi à trouver un bon compromis.
3 - C'est Clive Nolan, du groupe de rock progressif ARENA, qui s'est occupé des lyrics de "Crimson II". Comment l'as-tu convaincu d'écrire pour un groupe de Death Metal ?
(Rires) Je sais que ça va paraître étrange vu de l'extérieur, mais Clive Nolan est probablement le meilleur ami, enfin, après moi j'espère (rires), de mon épouse. C'est un peu un frangin pour elle. Il appelle quasiment 10 fois par jours à la maison ; c'est un proche. Au cours d'une conversation tout ce qu'il y a de plus banale, ils en sont venus à parler des lyrics de " Crimson II " ; Clive à ce moment là tournait un peu en rond, car il venait de finir l'album d'ARENA, et il n'avait plus grand chose à faire - mon épouse lui proposa alors d'écrire une sorte de nouvelle, totalement libre dans sa structure. Il n'y avait pas à proprement parler de lignes vocales, ni de rythmes prédéfinis à ce moment là ; il avait toute latitude pour créer cette histoire épique et gothique, qu'il a pris beaucoup de plaisir à réaliser. Ca ne lui a pris que quelques semaines. Le plus étonnant, c'est que dans sa métrique, le texte de Clive Nolan colle parfaitement avec le " groove " de EDGE OF SANITY. Lorsque je l'ai lu la première fois, je me suis dit : " ça va vraiment sonner comme du EDGE OF SANITY ". Clive est un excellent parolier, et je suis heureux qu'il ait participé au projet, d'autant plus que la création lyrics est vraiment la partie la plus ennuyeuse de la composition d'une chanson. Il est très agréable de s'asseoir sur une chaise, de prendre sa guitare ou de pianoter sur un synthé pour écrire des riffs, mais lorsqu'il s'agit de passer aux paroles, je préfère encore faire le ménage (rires) ! En général, j'écris les paroles le jour où je dois les enregistrer (rires) !
4 - Ta collaboration avec Clive Nolan démontre aussi les liens très forts qui unissent ton univers musical au rock prog, ce qui est particulièrement sensible à l'écoute de " Crimson II ". Comment qualifierais-tu l'évolution de ton écriture depuis les premières démos d'EDGE OF SANITY ?
" Crimson II " est sans doute plus équilibré. Il est à la fois plus habile dans les moments prog, et plus agressif que le premier épisode. Lorsque tu dois te battre pour insérer des moments plus progressifs dans une chanson, ce qui était le cas dans le premier " Crimson ", et que les autres membres de ton groupe te font la gueule parce qu'ils n'aiment pas ça, tu détestes encore plus ce qu'ils aiment, eux. Tu écris du metal parce qu'il le faut. Pour ce nouvel album, j'étais mon propre patron, et je pouvais décider des proportions. Etrangement, alors que je pouvais mettre autant de parties progressives que je le voulais, le résultat, à mesure que la composition avançait, devenait de plus en plus brutal. En fait, je crois maintenant être capable de créer de meilleurs contrastes entre les parties ambiantes et les moments agressifs. Quand tu n'as personne avec qui te battre pour imposer des idées, la création devient du coup beaucoup plus naturelle et fluide. C'est ce qui s'est passé pour " Crimson II ".
Cela dit, je pense encore que c'est à seize ans que j'ai écrit quelques unes de mes meilleures chansons. Pour être vraiment honnête, je ne crois pas avoir tant mûri que ça musicalement parlant ; ayant quasiment passé ces dix dernières années dans un studio à enregistrer des groupes, on ne peut pas dire que j'ai vraiment eu le temps de progresser en tant que compositeur. Pour cela, je crois qu'une pratique quotidienne aurait été nécessaire.
J'ai néanmoins appris une chose : une chanson doit durer le temps qu'elle mérite. Certaines ont besoin de trois minutes, d'autres de 45. J'ai souvent pensé qu'un morceau devait être aussi long que possible, ce qui est souvent le meilleur moyen de le rendre ennuyeux (rires).
La composition est avant tout un art du dialogue, un dialogue qu'entretient le créateur avec sa chanson. Quand tu en as écrit la plus grande partie, c'est elle qui te dit dans quelle direction elle souhaite aller ; quelquefois même il est bon de la ranger au fond d'un tiroir. Elle ressortira toute seule. Un chanson vit par elle-même, indépendamment du compositeur, si elle est réussie. Quelquefois d'ailleurs, tu écris des riffs que tu n'utilises que quelques années plus tard.
En fait, je suis devenu un meilleur compositeur dans le sens où je comprend mieux ce genre de choses, et dans le sens où je suis mieux organisé lorsque je compose.
5 - Combien de temps l'écriture de "Crimson II" a-t-elle nécessité ? Comment as-tu procédé ?
J'avais déjà écris quelques riffs avant d'entamer l'écriture proprement dite. Notamment pendant la courte période où j'avais décidé de virer les autres membres du groupe pour réaliser un album que je ne devrais qu'à moi-même. Le riff d'ouverture de " Crimson II ", par exemple, est issu de cette période, et je le considère comme une des meilleures choses que j'ai écrite. Ce jour là, en 1996, je me suis assis, et je me suis dit : " si tu veux faire cet album tout seul, tu ferais bien de composer les meilleurs riffs de toute ton existence, car c'est le seul moyen de frapper un grand coup ". Il y a aussi des riffs que j'avais composé pendant les sessions de BLOODBATH (NDLR : un des nombreux projets de Dan) et de MOONTOWER. Je les avais mis de côté, en attendant que l'occasion se présente à nouveau pour moi d'écrire un album de Metal. En tous cas, c'était un bon départ.
Du coup, composer, ou plutôt compléter " Crimson II " a du me prendre en tout et pour tout 2 semaines.
6 - As-tu songé un jour à jouer Live la "saga" formée par les deux épisodes de "Crimson" ?
Si quelqu'un vient me voir avec un budget suffisant, pourquoi pas ? Car cela me permettrait d'engager des musiciens pour jouer les morceaux ; à la limite je ne chanterais que les parties en voix claire. J'aimerais rester assis sur une chaise et " diriger l'orchestre ". Mais je ne pense pas que quelqu'un ait envie de payer pour monter ce genre de show. De toutes façons, j'ai toujours trouvé plus intéressant de composer la musique et de l'enregistrer de la manière la plus parfaite possible, pas de la jouer sur scène. Ce que tu peux entendre sur un enregistrement studio est un peu comme une " super version " de moi en train de jouer (rires). Je peux tout jouer sur mes albums, mais pas en une prise (rires), et quelquefois, c'est juste une question de condition physique (importante quand on joue une musique aussi rapide que le death metal), d'entraînement, qui ne me permettrait pas d'arriver au même degré de propreté dans le jeu si je devais interpréter mes morceaux sur scène. De plus, il me serait techniquement impossible de jouer en même temps de la guitare, de grogner, de jouer des claviers (en plus, je n'ai quasiment aucune mémoire, au point que j'en oublie parfois mon propre nom, alors, des accords de clavier ?). Je préfèrerais donc occuper le rôle du metteur en scène (rires).
7 - Peut-on considérer "Crimson II" comme le "chant du cygne" d'EDGE OF SANITY ? Ou aura-t-on la chance d'entendre un autre album sous ce même nom ?
Oui. "Crimson II" est la marche funèbre qui accompagne la mort du groupe. En quelque sorte, j'ai exhumé le groupe de son tombeau pour le faire râler une dernière fois. Un peu comme un fantôme qui reviendrait hanter les vivants, les forçant à rétablir les choses comme elles auraient du l'être, avant de pouvoir mourir en paix. A moins donc qu'on me menace de mort, EDGE OF SANITY ne produira plus une note (rires) ! J'ai senti à un moment qu'on me donnait une dernière chance, celle de conclure la carrière de ce groupe comme elle aurait du l'être, avec un bon album qui me représente totalement : grandiloquent, long, épique, démesuré. J'aime la démesure. Je mange toujours trop, je bois trop, je dors trop, etc. : tout ce que je fais doit être " trop " ; c'est ma devise (rire) ! Je ne voulais pas terminer la carrière d'EDGE OF SANITY avec un banal album contenant dix chansons : il fallait quelque chose de beaucoup plus fort que ça ! Je voulais faire un gros " fuck " à tous ces groupes devenus " mainstream ", et qui pondent tous les ans les mêmes albums formatés, avec des morceaux de 5 minutes, des solos de guitare au milieu, etc.
8 - Où en es-tu par rapport à tes autres projets ?
Le premier sur la liste est le nouvel album de NIGHTINGALE, "Invisible", qui sortira en septembre normalement. Nous avons presque terminé l'écriture du disque, et, cette fois-ci, nous répèterons avant l'enregistrement (rires), et je pense que les répétitions changeront bien des choses par rapport à nos anciennes réalisations. Le fait d'avoir fait beaucoup de scène avec NIGHTINGALE, et d'avoir beaucoup répété, a changé un peu la perception que j'avais de nos morceaux. En fait, je pensais que certains avaient atteint leur stade ultime, mais je me suis aperçu que je me trompais, et qu'ils sonnaient mieux live qu'après un long travail de studio. En écoutant le live à ? (NDR : je n'ai pas réussi à traduire le nom du patelin), qui a été filmé par la télévision, je trouve que les morceaux tuent ; certes, techniquement c'est bien moins bon que sur album, mais le tout sonne tellement plus vivant ! Pour le nouvel album, donc, nous procéderons d'une manière plus traditionnelle et plus organique : en ce moment nous répétons beaucoup, et nous n'entrerons au studio qu'une fois que les nouveaux morceaux tourneront comme nous le désirons. Je n'ai pas fait cela depuis " Unorthodox " de EDGE OF SANITY, c'est à dire depuis 12 ans? Et nous enregistrerons Live, à l'exception du chant. De toutes façons, nous n'avons que deux semaines pour tout rentrer. Et cela fera vivre un peu plus notre musique, de manière à ce que chaque instrument puisse réellement apporter son émotion propre.
Ensuite, je vais enregistrer (en tant qu'ingé son) la batterie pour ce qui sera probablement l'album le plus important de toute ma carrière. C'est pour un groupe appelé SECOND SKY, que j'ai fondé avec l'ancien claviériste de UNICORN (NDLR : le premier groupe dans lequel joua Dan, avant EDGE OF SANITY), qui est devenu entre temps un excellent bassiste. Nous avons engagé un super batteur de cession, probablement un des tous meilleurs pour le style en Suède ; il se trouve qu'il bosse avec moi dans un magasin de musique(rires). Nous commençons les prises en mai, pour 10 jours. Ca va être? aussi difficile que de bâtir un putain de château? Ca prendra peut-être un an? Je n'ai que quelques heures après le boulot où je peux travailler au studio, et tout cela sera très long. D'autant plus que je ne veux travailler sur ce disque qu'aux moments où je me sens inspiré. C'est peut-être le premier album dans lequel j'investis autant de ma personne ; je ne me cache plus derrière un " style " ou un " genre " : ce n'est pas un album de " Death Metal " ou quoi que ce soit d'autre, c'est un disque de MUSIQUE.
Après tout cela, un nouvel album de BLOODBATH.
9 - Au détour de certaines interviews, on peut lire quelques phrases surprenantes. Il y a des années maintenant, avant que tu ne disparaisses du devant de la scène, tu expliquais à qui voulait bien l'entendre que tu étais fatigué, que tu souhaitais te reposer, et ne plus faire que vendre des instruments de musique. Alors que tu devenais un producteur renommé, tu as décidé de fermer ton studio d'enregistrement (Unisound Studio), où sont passés de nombreux artistes de renom, comme OPETH, DIABOLICAL MASQUERADE, KATATONIA, DISSECTION, MARDUK, DARK FUNERAL et j'en passe. Regrettes-tu cette décision ?
(Soupirs?) C'est bizarre ; quelquefois je ne me rappelle que des bons moments, d'autres fois que des mauvais. Il y en eu beaucoup, de bons et de mauvais d'ailleurs. Ce qui a fini par me convaincre de fermer le Studio Unisound, c'est que je n'avais plus aucune liberté, même pas celle de tomber malade. Etre ton propre patron, ton propre réceptionniste, ton propre manager, ton propre comptable, ta propre secrétaire, ta propre femme de ménage, ça fait beaucoup, et ça commençait à déteindre sur ma tâche principale, qui était quand même d'enregistrer des groupes, et de donner un son à leurs albums. Il y a des jours où il m'était pénible de quitter le lit pour aller travailler. Tu sais, mettre en danger l'avenir d'un groupe qui joue sa carrière chez toi parce qu'un matin tu t'es levé du mauvais pied, c'est pas terrible. J'ai alors décidé d'arrêter, tout comme devrait le faire un chirurgien devenu dangereux pour ses patients. En fait je n'ai jamais eu l'intention de devenir ingénieur du son. C'est arrivé comme ça, un peu comme ceux qui deviennent du jour au lendemain de " rock stars "- ou des stars du X (rires) ! C'est surtout les gens autour de moi qui me disaient, " tu devrais le faire ; tu es tellement bon, pourquoi n'en fais-tu pas ton métier " ? Mais je n'ai jamais ressenti, moi, que je devais impérativement vivre de cette activité. En fait, je n'avais jamais prévu de monter mon propre studio ; les musiciens autour de moi s'arrangeaient simplement pour que ce soit moi qui enregistre leurs travaux, au point que j'ai rapidement été obligé de quitter mon emploi pour pouvoir assurer les sessions. Unisound est devenu mon unique activité en 1993 ; ensuite mon fils est né et les choses ont commencé à se corser, car le travail de studio est très très prenant. Lorsqu'il tombait malade, qui devait prendre de son temps pour s'en occuper ? La situation a commencé à devenir très problématique, d'autant plus qu'après avoir travaillé avec les pointures que tu énonçais plus haut, ne venaient plus à moi que des groupes de black metal tous plus ennuyeux les uns que les autres, de mauvaises copies de MARDUK ou de DISSECTION, qui voulaient le son de MARDUK et DISSECTION, mais qui n'en avaient pas le talent. Les groupes intéressants commençaient à avoir des budgets plus élevés, et naturellement, ils allaient enregistrer dans de plus gros studios que le mien, qui n'était rien d'autre qu'un studio pour démos si on le compare au Abyss Studios ou au Fredman (NDLR : deux grosses structures suédoises). Je me suis dit à un moment : plus jamais je n'aurai la chance de travailler avec un groupe du calibre de DISSECTION. Et je ne voulais pas non plus rentrer dans la compétition, dépenser des millions de dollars dans des consoles et des préamps, etc. Bon, c'est sûr, je savais que mon boulot était plus intéressant que de pointer à l'usine, de vendre des hot-dogs. Mine de rien, j'étais assez fier d'être mon propre patron, de m'être fait tout seul sans dépendre de quoi que ce soit d'autre que mes propres talents, je peux nourrir ma famille en faisant ce boulot si " cool ". Mais au bout d'un certain temps, tu commences à te dire : peut-être n'est-ce pas une si mauvaise idée que de repartir à zéro, reprendre un emploi salarié, passer plus de temps chez moi avec ma famille, écrire de bonnes chansons, et revenir à une vie plus normale, car j'ai vécu deux existences pendant les années 90. J'ai vécu plus de choses pendant dix ans que de nombreux hommes en une vie.