La Horde Noire Webzine metal extrême depuis 2002

Interview d'Olivier Ledroit

REQUIEM1

Bandes dessinées

Interview d'Olivier Ledroit réalisée par ActuSF en mai 2005 à l'occasion de la sortie de L'univers Féerique d'Olivier Ledroit.

ActuSF: Vous nous avez bien surpris avec la sortie de cet Univers féerique le 5 mai dernier. Quand on connaît un peu votre parcours en bande dessinée, on se serait de votre part attendu à un "Univers démoniaque", à un négatif en quelque sorte de ce recueil édité chez Daniel Maghen. Qu'est-ce qui a motivé un tel recueil, qui a pu vous mener du côté lumineux en somme ?
Olivier Ledroit: En fait ce projet est assez ancien, comme la plupart des dessins qui le composent. Je l'ai commencé chez mes parents il y a... presque vingt ans, quinze ou seize ans en tout cas. Cela vient du fait que moi je voulais faire de l'illustration pour enfant. Je voulais faire des petits livres, des pop-ups, des trucs comme ça... J'ai jamais trouvé de boulot. Alors, je me suis rabattu sur l'heroic-fantasy et le jeu de rôle. Et puis là, ce projet a fini par se faire, longtemps après.

ActuSF: Justement on retrouve une certaine illustration qui avait été exploitée en tant que poster au temps de Casus Belli...
Olivier Ledroit: Ouais le troll [pisse-troll, NDLR] ! Ce recueil c'est un mélange de trucs récents avec des trucs plus anciens, qui font très "Alan Lee" au niveau du traitement, de la touche. Ce dessin de cité par exemple, qui est inspiré d'une photo de volcan. Ça aussi [en désignant l'épée d'Erone le forgeron, NDLR] c'est hyper-vieux... L'inspiration c'est Stormbringer...

ActuSF: Et pour Oberon? Avec son air androgyne, il ressemble un peu à la méchante reine dans La Belle au bois dormant...
Olivier Ledroit: En tout cas ce n'est pas du tout conscient! Moi je me suis plutôt inspiré du Oberon d'Hugo Pratt, particulièrement pour le chapeau. Après les visages plutôt allongés, je fais toujours ça.

ActuSF: On voit d'ailleurs dans l'épée d'Erone comme dans le personnage d'Oberon que les yeux sont un thème très récurrent dans votre dessin. Dans Sha, il y en a partout. A quoi tient ce goût pour le dessin des yeux ? Une symbolique particulière?
Olivier Ledroit: C'est vrai que j'en mets beaucoup. C'est comme les papillons, ou les trucs comme ça: c'est des trucs que j'aimais bien dessiner quand j'étais plus jeune, et puis ça m'est resté. Graphiquement, j'aime bien ça. Pour ce qui est de la symbolique, ça dépend des fois. Sur Sha il y avait une symbolique. Mais là c'est plutôt graphique qu'autre chose: sur les ailes de papillons il y a toujours des yeux aussi.

ActuSF: Justement, le dessin des fées sous la forme de papillons et leur attitude, cela fait fortement penser à un ouvrage naturaliste...
Olivier Ledroit: Etant plus jeune, naturaliste, c'est ce que j'avais envie de faire. Entomologiste par exemple. Le Muséum [muséum national d'histoire naturelle, NDLR] , j'y passais avec mon père, alors il y a des choses qui reviennent... Je détestais l'école, alors j'ai abandonné cette idée: j'imagine qu'il faut pas mal d'études et je me voyais mal continuer là-dedans.

ActuSF: la partition graphique entre les papillons de jour plutôt charnels, très féminins, et les papillons de nuit poupons ou aux airs de sorcières, cela tient à quoi ?
Olivier Ledroit: En fait il y a toujours trois thèmes: il y a les poupons, il y a les fées diaphanes, et puis il y a les grotesques. Toutes ces fées c'était pour faire une série, et puis pour faire le poster [Les fées de l'ancien monde, éditions Daniel Maghen, NDLR] : faire vraiment le cadre à papillons d'un collectionneur.

ActuSF: Dans la pléthore des livres féeriques produits ces dernières années, on sent pourtant que vous marquez votre différence, en proposant des fées comme on en avait jamais vu jusque là par exemple...
Olivier Ledroit: J'espère bien! Mais en réalité, ce n'est pas très compliqué. Le problème des bouquins sur les fées, c'est que untel repompe untel qui repompe untel, etc. Avec Mills, j'ai beaucoup appris ça: il suffit parfois d'ouvrir un bouquin sur les papillons, et tu auras une idée de fée plus originale que tout ce que tu pourrais faire en piochant dans les bouquins de fées.

ActuSF: D'un point de vue technique, cet ouvrage montre une très grande maîtrise des étapes de production. Cela fait-il longtemps que vous travaillez avec Daniel Maghen?
Olivier Ledroit: Ca fait presque dix ans que l'on travaille ensemble [au niveau de la vente d'originaux, NDLR] . Cela fait dix ans qu'il voit les dessins dans les cartons, et qu'il a envie d'être éditeur. Et ce projet, c'était dans la droite ligne de ce qu'on avait déjà fait ensemble: posters et portfolio. Mais au départ, ces dessins ont été faits de façon indépendante, à différentes époques. Pour la Farandole par exemple, c'est un dessin qui était inachevé. Elle est restée longtemps dans les cartons par ce que je voulais la finir complètement, mais Daniel l'aimait tel quel.

ActuSF : C'est d'ailleurs surprenant comme vos crayonnés paraissent parfois frustes. Comment faites-vous pour affiner autant votre dessin à la mise en couleurs?
Olivier Ledroit: Comme je travaille à l'encre, ou à l'aquarelle, si il y a trop de crayonnés en dessous, pour la transparence c'est pas bon. Mais si tu regardes les crayonnés de John Howe, ils sont assez sommaires. Et si tu ne sais pas que c'est lui qui va finir tel ou tel crayonné, tu peux craindre le pire! D'ailleurs on a une technique assez proche. Il travaille pas mal sur les transparences lui aussi.

ActuSF: Ce bouquin entretient aussi l'insaisissable, le nocturne...Et quand on parcourt ce recueil, on se dit que vous donnez un peu la même impression: discret insaisissable... Par exemple, vous n'êtes pas spécialement un larron de festival; le marketing actuel des auteurs de BD, ça n'a pas l'air d'être votre tasse de thé?
Olivier Ledroit: Non. Non, moi je suis plutôt influencé par le monde des illustrateurs. Même s'il y a plein d'auteurs de BD que j'adore ; à l'origine, mon domaine c'est l'illustration.

ActuSF: En parlant d'illustration, Guillaume Sorel avait eu un joli mot lors d'une précédente interview pour ActuSF, en vous présentant tous les deux comme des auteurs à la fois productifs et discrets, un trait hérité de votre "nature" d'illustrateurs avant tout...
Olivier Ledroit: Oui, c'est vrai. On a même pas mal de points communs. Quand on s'est rencontrés, on s'est rendu compte qu'on avait les mêmes lectures: toute la littérature fantastique du dix-neuvième, les livres de la collection Néo, avec les couvertures de Nicollet.

ActuSF: Donc votre source d'inspiration principale, c'est plutôt le fantastique romantique. Et graphiquement?
Olivier Ledroit: Graphiquement, j'avais plusieurs influences au départ. Je lisais du comics étant gamin, et puis Hara-Kiri, des trucs comme ça. Et puis après: Frazetta, Bernie Wrightson. Tout cela, il a fallu prendre le temps que cela se décante pour moi.

ActuSF: Et du côté des dessinateurs actuels, vos penchants?
Olivier Ledroit: Eh bien, ce n'est pas vraiment nouveau, mais Mignola par exemple. Mais en fait pas grand-chose. En ce moment, je suis plutôt à me regarder les films de Miyazaki. C'est plus ça que je veux faire aujourd'hui. Sinon, il y a des illustrateurs: Monge, Erlé...

ActuSF: Quelle est votre vision de l'édition de la BD en France? Son orientation commerciale?
Olivier Ledroit: Je n'ai aucun problème avec le côté "commercial". Le problème n'est pas là. Mais regardez par exemple LanfeustMag: il n'y a pas un seul scénario. On ne sait pas ce qu'ils veulent dire... Des dessinateurs de talent, il y en a, mais de réels projets? Je ne trouve pas qu'il y ait grand-chose. Récemment, qu'est-ce que j'ai acheté? Le Hellboy, le Kurt Cobain, Sandman, et puis voilà quoi.

ActuSF : Est-ce que vous avez galéré beaucoup avant de vous lancer sur les Chroniques de la lune noire?
Olivier Ledroit: Ca a marché du premier coup en fait. J'étais allé chercher du boulot au salon des jeux de réflexion, et là j'ai croisé [François Marcela] Froideval et [Guy] Delcourt, et puis tous les deux m'ont fait une proposition. Et finalement j'ai travaillé pour Froideval avec les éditions Zenda. C'était les premiers albums Zenda.

ActuSF : Et ça se passait comment à l'époque l'ambiance de création et de production pour une maison comme Zenda?
Olivier Ledroit: C'était particulier. A l'époque ils étaient quasiment les seuls à aller aux Etats-Unis. Presque personne ne connaissait Kirby. Et puis même aux Etats-Unis, Kirby, tout le monde savait qu'il allait mourir, alors sa côte n'a pas monté pendant des années à cause de ça. Alors des types comme Kirby, quand ils voyaient que des français s'intéressaient à eux, ils les emmenaient directement chez eux boire le thé. Zenda, eux de leur côté, ils n'étaient pas du tout dans le circuit de la BD française: ils n'y connaissaient rien. La plupart d'entre eux n'en avaient juste jamais lu, mais par contre ils s'extasiaient devant les planches de comics.

ActuSF : Dans quel domaine pensez vous avoir le plus progressé depuis vos débuts en bande dessinée?
Olivier Ledroit: C'est-à-dire que quand je travaille beaucoup dans une direction, l'autre baisse un petit peu réciproquement. Pendant longtemps, je me suis vraiment beaucoup concentré sur les expressions du visage. Sur Sha, par exemple, c'est surtout tout ce qui était décor, voitures, vaisseaux... Donc, c'est vrai que pour le visage de Sha, il y a plein de visages ratés, avec pas mal de décalages.

ActuSF : Quels relations entretenez vous avec vos anciens éditeurs? Plus spécifiquement avec Soleil [qui a édité Sha et La Porte écarlate, NDLR] ?
Olivier Ledroit: Avec Soleil, ça n'a pas marché tellement. Commercialement d'abord. Soleil croyait se faire des couilles en or avec nous. Mais comme Sha n'a pas marché comme ils voulaient, ils ont commencé à vouloir dégager Mills... Sha devait d'ailleurs être en quatre tomes au départ, mais on a dû raccourcir, et puis on s'est barrés.

ActuSF : Du coup, vous avez décidé de rester "seuls sur votre branche"?
Olivier Ledroit: Moi cela me convient bien de rester comme ça. C'est pour ça que j'ai voulu monter ma boîte d'ailleurs: j'avais envie d'être libre quoi. Parce que, à chaque fois que je travaille avec une maison d'édition, cela se termine toujours pareil: on commence à me dire "ce que tu fais c'est bien, mais c'est pas bon pour ta carrière". Là, on m'explique ce qui est bien pour ma carrière. Et à ce moment là, en général, je me barre. Mais je n'ai aucune amertume: je fais ce que je veux aujourd'hui alors tout va bien.

ActuSF : Et cette volonté de rester libre, vous l'exercer aussi vis-à-vis des médias, en restant le plus détaché possible des interviews et de la presse?
Olivier Ledroit: C'est pas tellement vrai. Ce qui se passe, c'est que cela fait cinq ans que l'on n'a pas de services de presse. Bon, et puis après, parmi les journalistes, il y a un peu de tout. Quand j'en vois un qui se pointe et qui dit "j'ai pas lu votre livre, je ne sais pas ce que vous faites, mais vous allez m'en parler", je ne fais pas trop d'effort. Sinon, je n'ai pas de problème avec les journalistes qui font leur boulot, qui essaient de s'intéresser à ce qu'ils font. Récemment, pour une radio, on a voulu me faire faire le "Pierre Dubois jeune", le type qui voit des elfes et des fées partout Bon ben ça n'a pas marché.

ActuSF: Il y a un truc qui nous taraude chez ActuSF: ces éditions Nickel, c'est qui exactement?
Olivier Ledroit: Eh bien Nickel, c'est le produit de notre association à trois avec Jacques Collin, qui avait créé les éditions Zenda, Patts Mills et moi.

ActuSF : Une maison d'édition, sans site internet, un peu cryptique, de quoi se demander si vous ne faisiez pas exprès d'entretenir la nébuleuse Nickel ?
Olivier Ledroit: Le site internet, c'est en train de se faire. Ca devrait être bon pour septembre prochain. Et puis jusque là on n'avait qu'une série et on était trop fauchés pour autre chose. On n'a pas d'employé, pas de service de presse, alors on assure le strict minimum. En interne, c'est moi qui fais les maquettes avec ma femme, et Collin s'occupe de toute la production et la gestion éditoriale. Bon, l'an prochain on devrait avoir des locaux et tout ça quoi...

ActuSF: Et cette structure, elle vous permet d'assurer quels tirages? Vous avez dû prendre un sacré risque pour vous lancer?
Olivier Ledroit: Pour Requiem, on en est à peu près à 150 000. On fait une moyenne de 30 000 par tome. Et puis pour les tirages, on s'est un peu plantés au départ. C'était le premier bouquin que je maquettais tout seul; je m'étais acheté un ordinateur exprès, mais mon écran était mal réglé: j'avais réglé tous les contrastes à fond... On avait eu beaucoup de commandes et quand l'album est arrivé dans les bacs, il ne ressemblait pas à ce que les gens avaient commandé. Et puis moi cela m'a rendu malade pendant pas mal de temps.

ActuSF : Et comment fait-on pour se faire un nom (en tant qu'éditeur) avec une démarche si marginale?
Olivier Ledroit: C'est resté longtemps souterrain. Ca marchait avec le bouche à oreille. La couverture très tranchée entre le fond blanc et le personnage, c'était un peu fait exprès pour nous repérer par exemple. Comme on fait la maquette à deux, pour toute la ligne éditoriale, on a décidé de garder un peu la même démarche. Par exemple, pour le Claudia [Claudia chevalier vampire de Mills et Tacito, NDLR] , on n'est pas très contents de la couverture: il a fait un personnage noir sur un fond noir, alors on la remarque pas du tout.

ActuSF: Alors cela fait presque dix ans déjà que vous bossez avec Patt Mills. Comment vous êtes vous rencontrés?
Olivier Ledroit: On s'était croisés une fois, il y a très longtemps, à l'époque où Bisley arrêtait Slaine. Mills cherchait un repreneur pour le dessin de la suite de Slaine. Je ne sais plus exactement: je devais en être au deuxième tome des Chroniques, je ne me sentais pas les épaules d'aller reprendre derrière Bisley. Alors je ne l'ai pas revu pendant des années. Ensuite, il a travaillé avec Eric Larnoy sur une série qui s'appelait Shadowslayer, et moi j'étais copain avec Eric, alors il est venu me voir pour qu'on bosse ensemble. Et donc on était partis à bosser sur Batman, et cela ne s'est pas fait. A l'époque, Batman avait vraiment atteint le sommet, et on est arrivés un peu à la fin de la mode Batman. Et Mills passe assez mal de toute façon aux Etats-Unis; il a déjà fait des épisodes de Batman, mais il n'est pas trop dans son élément. Donc on voulait faire un truc gothique... C'était juste après Xoco. Mais comme on n'a pas trouvé ça, il m'a sorti un scénario d'un tiroir: Sha, qui était assez improbable. Il n'y avait notamment pas d'élément futuriste dedans au départ, il y avait uniquement la structure de la sorcière qui revient pour se venger à travers les siècles. Lui à l'époque, il était dans un trip spirit, etc, et cette histoire c'était d'après des visions qu'il avait eues quand il était en vacances en France, où il se souvenait qu'il avait été une sorcière...

ActuSF: Ce qui veut dire que c'est vous qui avez imposé la partie S-F de Sha?
Olivier Ledroit: Oui, justement. J'avais envie de faire une S-F avec des couleurs un peu à la Walt Disney, ou carte postale californienne: hyper-coloré, mais assez malsain. Avec beaucoup de orange, de vert. Et même la fin est hyper-kitsch avec tous les ballons, la roue de la fortune, etc. Et à l'époque, je me matais toutes les émissions les plus pourries pour bien voir les couleurs. Mais même là avec toutes les couleurs que je balançais, c'était en-dessous de la réalité.

ActuSF : Et Sha c'était aussi quelque chose de très graphiquement différent de ce que vous aviez déjà fait...
Olivier Ledroit: C'est vrai que je voulais faire quelque chose de différent de Xoco. Avec Xoco, je sortais de trois ans à faire que du bleu, et j'avais envie de couleurs!

ActuSF : Et toujours ce le côté baroque, excessif de votre dessin... C'est votre façon de vous exprimer dans le dessin par le toujours plus?
Olivier Ledroit: Oui, tout à fait. Encore plus dans Requiem où on réfléchit beaucoup à comment travailler la surenchère, sans que ce soit lassant. On fait de la surenchère, mais on a encore des cartouches. A chaque nouvel album, il y avait de nouveaux gros morceaux, mais on les a amenés pour que cela ne tombe pas à plat. On a essayé d'éviter ce qui se passe par exemple dans le film Hellboy: il y a une montée comme cela dans la surenchère, mais d'une façon telle que la scène finale tombe complètement à plat. Ca ne prend pas quoi. Tu peux très bien monter comme cela dans la surenchère, mais à la limite, avec une scène beaucoup plus simple à la fin, tu auras beaucoup plus d'efficacité. On veut éviter de tomber dans ce travers là avec Requiem en faisant comme si à chaque fois on en remettait juste une couche.

ActuSF : Et pour ce qui est de vos idées de scénario? Avec cette longue collaboration avec Mills, une sorte d'équilibre a dû s'instaurer entre vous?
Olivier Ledroit: Disons que moi, je ne suis pas scénariste. Pat sait comment manipuler le lecteur, faire monter la tension... Il est bon dialoguiste, ce que je ne suis pas. Moi, pour tout ce qui est "écrit", je suis assez laborieux. C'est vrai qu'avant je voulais travailler tout le temps tout seul, mais il y a des choses que je ne saurai jamais faire. Même si, moi je parle pas Anglais, et si Mills parle pas Français, on retombe toujours sur nos pattes à peu près en même temps. On "binôme".

ActuSF: Et de façon générale, quelle est votre participation au scénario dans vos travaux avec Mills ?
Olivier Ledroit: Quand on a voulu monter Nickel, on avait deux projets en tête. Il y avait un projet qui s'appelait Le Résurrectionniste qui était un peu plus à la Dark City, et qui était l'embryon de Requiem en quelque sorte. Et on voulait financer celui-là avec un autre projet, un truc d'heroic fantasy un peu écologiste, plus commercial quoi. Et puis de fil en aiguille, c'est moi qui ai transformé le scénario. J'étais en train de lire un roman sur les vampires, et c'est comme ça que j'ai eu l'idée que que Le Résurrectionniste se passerait au purgatoire, avec une nation vampire et ses intrigues politiques. La partie de Pat c'est plutôt l'histoire du nazi qui essaie de se racheter.

ActuSF: Et vous avez prévu encore combien de tomes à cette histoire?
Olivier Ledroit: Au final il y en aura douze! On en est donc presque à la moitié, et j'aurai déjà plus de quarante balais quand j'aurai fini cette série! Je suis un vrai métronome, avec un album par an, pile. Ca fera donc douze ans de travail pour cette série. Et douze ans c'est long.

ActuSF : Du point de vue du scénario, vous avez déjà déterminé tout ce qui est encore à venir?
Olivier Ledroit: Non, on a juste les grandes lignes. De toute façon, ce qui se passe à chaque album c'est qu'on a un script de départ sur lequel je brode, et autour de la moitié de l'album, on réécrit la fin. Et puis souvent il y a deux ou trois scènes qui dégagent sur l'album suivant, donc ça nous bouscule pas mal l'album suivant, etc. Alors au départ on devait le faire en trois tomes, et puis on est passés à six, et là on va se fixer à douze.

ActuSF : Il faut vous avouer qu'on avait justement un peu craint une telle fuite en avant jusqu'au tome 3 de Requiem, Dracula. Depuis, vous semblez avoir opérer un sacré rattrapé, de sorte que le tome 5, Dragon Blitz est sans doute le meilleur opus de la série à ce jour.
Olivier Ledroit: Jusque Dracula, mine de rien, on plaçait nos pions, et en même temps, on allait dans le grandiose. Mais tous les éléments étaient déjà posés. C'était une stratégie par rapport au lecteur d'imposer une image extrémiste comme celle là. Ce qui fait qu'après on a pu développer sur les personnages. On voit qui est Otto... Dans le dernier tome, on a un peu temporisé sur Dracula pour mettre vraiment Rebecca en valeur.

ActuSF: On voit souvent Requiem taxé de bande dessinée gothique. Est-ce que ce n'est pas un peu pénible à force? Parce qu'aujourd'hui, Requiem semble bien avoir largement dépassé le cercle gothisant auquel on voudrait parfois le cantonner.
Olivier Ledroit: Au début on nous l'a beaucoup répété. Il y avait eu également plusieurs BD sur les vampires à cette période. Alors on donnait l'impression d'exploiter plusieurs gros filons à la fois: l'heroic fantasy, le gothique... Mais bon, moi ce que je fais, c'est sincère. Et bon, à l'arrivée, on s'en sort pas trop mal.

ActuSF : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les prochaines orientations du scénario de Requiem?
Olivier Ledroit: Il y a encore plein de choses à venir. Pour plusieurs séquences, on va s'inspirer des films de cape et d'épée: on a envie de développer le côté bretteur de Requiem. C'est ce qui est bien avec cette série: notre terrain de jeu est immense. Mills, s'y connaît beaucoup en histoire, il a même été consultant historique pour le cinéma, notamment pour Arthur où t'as le roi Arthur qui parle comme un californien! Bref, lui il est passionné d'histoire. Il me ramène des trucs géniaux: des bouquins d'arts martiaux incroyables qui t'enseignent toutes les bottes masculines et féminines du meurtre conjugal... Dès que tu commences à t'inspirer de choses comme ça, tu es sûr de faire quelque chose qui n'a jamais été fait.

ActuSF : Comment travaillez vous vos planches en pratique? On a l'impression que votre façon de composer a évolué au cours des tomes de Requiem?
Olivier Ledroit: Sur Requiem, jusqu'au tome 4, je dessinais les cases séparément, et je les recollais ensuite. Depuis le tome 5, je suis revenu à un découpage plus classique: c'est mieux parce que des fois, c'était impossible de prévoir ce que ça allait donner au niveau de l'agencement des cases séparées, et de l'association des couleurs. On m'a beaucoup dit sur les premiers tomes de Requiem que certaines planches étaient parfois alambiquées. C'est vrai que j'avais un peu poussé, en me disant, à la première lecture, le lecteur va ramer un peu, mais ça ira mieux après. Je voulais essayer, mais bon, ça arrive de se planter... Aujourd'hui, je soigne beaucoup plus le sens de lecture.

ActuSF : Quand on voit la précision et votre technique de peinture, on se demande souvent combien de temps vous est nécessaire pour vous peindre une grande fresque comme par exemple celle dans laquelle la flotte vampire se fait prendre dans l'assaut des dragons, ou celle de l'orage magnétique au début de la série?
Olivier Ledroit: Pour cette dernière, c'était le début de Nickel, et il fallait que l'on sorte un album tous les huit mois pour que la boîte ne coule pas. C'est pour cela que je travaillais beaucoup, beaucoup... Je n'étais pas loin de tomber malade. On travaillait vraiment tous les trois comme des chiens, en faisant des journées de quatorze, quinze heures, sept jours sur sept. Je commençais à devenir un peu... paranoïaque et tout cela. C'est vrai qu'après le tome 3 cela a commencé à marcher, et je me suis un peu calmé. Aujourd'hui, je sais que l'album peut sortir à n'importe quelle période de l'année et qu'il va fonctionner quand même. A partir du prochain, je vais même pouvoir commencer à envisager de faire autre chose entre deux.

ActuSF: Vous dites commencer à avoir un peu plus de temps. Est-ce que cela ne vous donne pas envie de revenir à d'autres projets personnels, pourquoi pas dans le même registre que L'Univers féerique?
Olivier Ledroit: Si bien sûr. On va voir comment fonctionne ce livre, et il est probable qu'on en fasse un deuxième. Par contre je serais incapable de faire exclusivement de l'illustration aujourd'hui. J'aime bien le faire, ponctuellement. C'est beaucoup plus facile que la BD. Mais c'est aussi moins excitant. Requiem c'est vraiment le gros casse-tête tout le temps, parce que Mills m'envoie des pages surchargées, avec trop de texte, trop de cases... Toutes les pages c'est le casse-tête, mais en même temps c'est ce qui me plaît. Par contre j'aimerais bien faire d'autres projets. J'ai une idée de scénario, que je ferai peut-être avec Mills aussi, mais je ne sais pas encore si je vais le faire en BD, ou en animation 3D par exemple. J'aimerais bien en faire alors j'ai commencé à me brancher sur les boîtes de jeu vidéo.

ActuSF : Envie de faire un jeu par exemple?
Olivier Ledroit: Non, pas vraiment. Pour l'instant je participe à des jeux d'heroic fantasy. On m'a appelé pour deux jeux qui partaient un peu à vau-l'eau pour remettre tout ça dans des rails corrects au niveau du design. Il s'agit de Heroes IV, et d'un jeu qui s'appelle Prophecy. Alors Heroes c'est fait par une équipe russe qui repompe Warhammer, mais en le faisant comics un peu: trop de couleurs, ils ont tous des pieds gros comme ça... Et l'équipe de Prophecy au contraire manque de couleurs et d'imagination. Le type qui chapote tout ça est scénariste et il est en train de concevoir un univers qui va être développé sur plusieurs jeux. Et il a l'intention de faire de l'heroic fantasy un peu plus sombre. Alors là on m'a redemandé de faire des démons, des morts-vivants, des chevaliers, etc. Pour moi c'est l'occasion de voir comment fonctionne ce genre de boîte. C'est difficile d'être fédérateur: faut satisfaire les créa', les équipes de développeurs, les services marketing français, les services marketing américains... J'essaie de voir comment tout cela fonctionne, pour apprendre aussi. Mais en même temps je m'aperçois que l'informatique cela va pas être trop mon truc. Je me sers de quelques outils, mais finalement, je vais beaucoup plus vite au pinceau. Pour les boîtes comme Ubisoft, je travaille beaucoup au stylo bille sur papier quadrillé, et cela leur convient très bien. Ce qui reste indispensable, de toute façon, c'est l'idée.

ActuSF : Tant que nous sommes dans l'informatique, on a pu noter que celle-ci avait pris une part un peu plus importante dans votre travail, même si elle reste discrète. Où en êtes-vous de l'intégration de ces outils ?
Olivier Ledroit: A l'époque de Sha je faisais vraiment tout à la main. Il y avait des faux hologrammes... A l'époque je faisais ça au tire ligne, à l'acrylique. Je prenais des lettres en décalcomanies que je collais et que je retrafiquais à l'aérographe, c'était pas évident... C'est vrai que tout cela, maintenant, c'est beaucoup plus facile.

ActuSF: Et quelles sont vos relations avec le monde du cinéma ?
Olivier Ledroit: Sha, on a failli en faire une film. Mais c'aurait été trop bizarre. On avait quand même eu des contacts, un agent de la Miramax notamment. Parce que Collin va tous les ans à la convention de bande dessinée de San Diego, et depuis qu'il y a eu un tas d'adaptations comics... Mais cela ne s'est pas fait. Et pour Requiem, pareil : je pense qu'il n'y a aucun espoir.

ActuSF: En parlant d'adaptations de Requiem, avez-vous des projets de traduction de cette série?
Olivier Ledroit: Requiem est déjà traduit en américain, chez Heavy Metal. Mais là on travaille à être édité vraiment. Le problème c'est que les Américains, ils sont pas trop ouverts pour publier des trucs qui sont pas de chez eux, et que les Anglais attendent que les Américains le publient pour le faire aussi... Du coup, on met au point une stratégie. Là, on est en train d'éditer un bouquin qui va sortir le mois prochain [juin 2005, NDLR] , avec un scénario de Pat Mills et Adrian Smith au dessin, un illustrateur de Warhammer, qui est un type très talentueux et qui est très connu en Angleterre. Et par le biais d'Adrian Smith, je pense que l'on devrait parvenir à faire publier de la BD un peu "plus française" outre-manche. On a la même stratégie avec les Etats-Unis: on a un projet avec Michael Kaluta, un type qui a fait pas mal de BD du Shadow, mais qui a arrêté la bande dessinée depuis une dizaine d'années. Maintenant il se consacre à des posters, des couvertures de comics, des trucs comme ça. Et puis dans l'autre sens, on va attendre que Patt Mills ait plus de notoriété en France pour éditer ici les choses qu'il avait faites avant.

ActuSF : Et quel format adopteriez-vous pour Requiem à l'étranger?
Olivier Ledroit: On passerait en souple. Mais le format resterait le même: c'est déjà écrit trop petit, et avec notre moyenne de neuf cases par planche, on ne peut pas se permettre de réduire la taille des pages.

ActuSF : Et des collaborations BD avec d'autres scénaristes, ça vous tenterait ?
Olivier Ledroit: Oui, j'avais envie de travailler avec Alan Moore. Mais je crois qu'il va prendre sa retraite ; il continue un peu sur les Gentlemen [La Ligue des Gentlemen extraordinaires] et puis... En fin cela fait déjà plusieurs fois qu'il dit qu'il va arrêter, alors... Je vais voir, il y aurait peut-être Alan Moore ou Neil Gaiman, mais les deux sont bien surbookés. Par Jacques Collin, j'ai des contacts avec eux deux ; il les connaît depuis l'époque où ils travaillaient tous les deux en Angleterre pour des magazines où ils étaient payés dix livres la page... Et encore pas tout le temps. Je pense que Gaiman cela risque d'être difficile parce que lui, il vit à Los Angeles maintenant. Et puis sinon, j'aimerais bien travailler avec Jodorowsky par exemple. Même si je n'aime pas tout ce qu'il a fait en BD, ce qu'il a fait en film j'aime beaucoup.

ActuSF : Et la sortie du prochain Requiem, c'est comme tous les ans, aux alentours de novembre prochain?
Olivier Ledroit: Malheureusement oui. Je voulais le sortir plus tôt dans l'année, mais je suis un peu en retard. Et puis peut-être que je trouverai le temps pour un one-shot après le tome 7, mais je réfléchis encore au scénario, mais j'aimerais bien un truc à la fois un peu univers féerique et un peu steampunk, avec un ton, un peu comme Le Bal des vampires de Polanski... Voilà, je travaille là-dessus quoi.

requiemchevaliervamp.free.fr