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La Bataille du Silence

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Livres Essais

Vercors
1967
300 p.

Dans « La Bataille du Silence », publiée en 1967, l'écrivain Vercors revient sur les évènements qui ont présidé à la naissance des Editions de Minuit. Elles ont été créées en 1942 par Vercors et quelques motivés dans la clandestinité. Le but des Editions de Minuit était de donner la parole aux écrivains qui refusaient d'écrire pour les nazis. Outre Vercors, la liste des écrivains publiés sous le manteau est prestigieuse : Louis Aragon, Elsa Triolet, Paul Eluard, François Mauriac, Charles Morgan, John Steinbeck, etc.

« La Bataille du Silence » est divisée en trois parties qui sont les grandes phases de l'évolution de la pensée de Vercors : l'avant-guerre, la période 1940-42 et enfin la création des Editions de Minuit. Les deux premières parties sont parfois un peu longues mais elles sont essentielles pour comprendre comment un dessinateur (de son vrai nom Jean Bruller) a pu au fil des évènements refuser la domination nazie, écrire un livre, le publier clandestinement et même publier les textes d'autres résistants. Tout cela est raconté avec beaucoup de modestie et Vercors n'hésite pas à rapporter ses propres erreurs.

Cependant, au-delà de l'aspect historique et de l'aspect témoignage, le livre présente un intérêt particulier dans le cadre du metal parce qu'il prend parti dans un débat qui nous est cher, à savoir celui de la compromission. Bien sûr, les positions de Vercors ne sont pas transposables ipso facto dans le milieu metal, essentiellement parce qu'il se trouvait dans une situation extrême (éditeur clandestin dans un état totalitaire) mais elles n'en constituent pas moins un bon point de départ pour la réflexion.

Vercors pose la problématique dès la première phrase du livre : « Quand après la défaite de 1940, les Nazis occupèrent la France, les écrivains français se trouvèrent aussitôt réduits, soit à collaborer, soit à se taire ». La réponse de Vercors est un refus total et sans exception de produire quoique ce soit à grande échelle.

Le problème est le suivant : les nazis qui débarquent ne sont pas les brutes sanguinaires qu'on attendait et les civils voient des jeunes officiers affables épris de culture française et ravis d'en parler avec les civils. Les intellectuels français font la même découverte et pensent qu'après tout, ils pourront s'entendre avec ces gens-là.

Vercors fait partie de la minorité qui pense que tout cela n'est qu'un masque (même si les officiers en question pouvaient être de bonne foi) et que lorsque le régime montrera son vrai visage, les écrivains qui y auront eu le malheur d'avoir cru à cette entente seront trop englués dans la collaboration pour pouvoir faire machine arrière. Et c'est avec dépit que Vercors et ses amis voient de semaines en semaines de nouveaux noms célèbres apparaîtrent sur les sommaires des revues sous contrôle allemand (Abel Bonnard, Drieu la Rochelle, etc.).

Interrogés, ces écrivains ont tous la même réponse : il faut bien vivre, on leur a promis qu'ils pourraient écrire ce qu'ils veulent et que de toute façon ils seront bien assez malins pour contourner la censure. Vercors réplique : « Et en effet, pendant quelques temps, il avait pu en paraître ainsi. On avait même une fois, dans l'un de ces journaux vu plaider en faveur des Juifs. Aussi de nombreux lecteurs se jetaient-ils sur ces feuilles apparemment indépendantes. Là résidait le piège : on leur donnait d'abord la pâture qu'ils désiraient puis, peu à peu, quand ils seraient accrochés et fidèles, on leur glisserait insidieusement une autre nourriture, contre laquelle ils auraient perdu une part de leur défense. »

En plus, début 1941, les grandes maisons d'édition française (sauf une) prennent la décision commune de purger leurs catalogues des livres écrits par des Juifs ou des réfugiés politiques.

De son côté, Vercors prend la décision radicale d'arrêter de dessiner jusqu'à la fin de la guerre : il vit de ses économies et travaille un temps comme menuisier. Il participe à des revues clandestines et il décide d'écrire un court roman pour expliquer comment il voit le combat du civil contre le nazisme. Dans son livre (« Le Silence de la Mer »), un officier allemand qui loge de force chez deux Français multiplie les amabilités et les prévenances pour s'attirer la sympathie de ses hôtes involontaires. Mais les deux civils répondent par un silence froid et déterminé.

Un autre thème intéressant du livre est la place de la culture dans la lutte contre le totalitarisme. Les Allemands réussiront à démanteler la revue qui devait publier le roman et Vercors prendra la décision de l'éditer lui-même. Après bien des péripéties, le roman sort et gagne un succès immédiat dans la résistance. Peu à peu, les textes affluent et les presses clandestines des Editions de Minuit tournent à plein régime. La performance est d'autant plus impressionnante que l'édition requiert beaucoup de gens (auteur, imprimeur, brocheur, livreur, etc.). De son côté, « Le Silence de la Mer » arrive à Londres où il est publié en livres de petits formats largués sur la France par la RAF.

« La Bataille du Silence » a été publiée initialement aux Presses de la Cité en 1967 et rééditée aux Editions de Minuit en 1992.

Tryphoninus