Livres Essais
Eric Deroo – Antoine Champeaux
Tallandier 2006
223 p.
Ces spécialistes de l'histoire militaire coloniale (un journaliste et un militaire) brossent une intéressante chronologie des tirailleurs dits "sénégalais" (en fait d'Afrique noire) depuis leur création officielle par Napoléon III en 1857 jusqu'aux accord d'Evian en 1962, en passant par les deux guerres mondiales. C'est l'évolution de la société française et même du monde qui est lisible à travers les braves "tirailleurs" : ce livre dépeint une armée française qui infantilise les Noirs, certes, mais qui est aussi pleine de compassion pour ces hommes venus de loin, en quête d'aventure, de gloire et d'ascension sociale, réputés pour leur bonhomie. Leur rôle et leurs pertes sont ramenés à de justes proportions (composant au maximum 1% de l'armée française, en 14-18). Mais la force noire, c'est aussi un phénomène de société, car la population civile est très curieuse de cette troupe d'élite au service de la France : la production iconographique (pub, livre, cartes postales) relative aux troupes noires a été recensée par les auteurs et intelligemment montée pour illustrer abondamment ce livre. A noter que le récit dépasse largement le trop réducteur "Y'a Bon Banania" (qui n'avait d'ailleurs rien de péjoratif à l'époque) et plus généralement, les fantasmes victimaires actuels animés par les lobbies communautaristes : non, les tirailleurs n'ont jamais servis de "chair à canon" (cliché né après 1917 et l'échec du Chemin des Dames) ni été exclus ensuite des cérémonies militaires. Pourtant, les promesses républicaines de promotion civique n'ont pas été souvent tenues, puis la décolonisation est passée par là, empêchant de solder certaines questions. "La force noire" décrit simplement des pages de gloire (et de souffrances) partagées entre Noirs et Français