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Le grand dérangement

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Livres Essais

Georges Balandier
PUF
120 p.

Avec le regard de l'anthropologue, Georges Balandier se penche, inquiet, sur notre société dépassée par sa boulimie de nouveauté : l'on doit prêter attention aux commentaires sur notre époque de Georges Balandier, inventeur il y a plus d'un demi-siècle avec Alfred Sauvy du terme "Tiers-monde". Sa carrière d'anthropologue, plutôt consacrée à l'étude des sociétés qui ne bougent pas, semble l'avoir doté d'une acuité particulière pour saisir la notre, qui bouge tout le temps. Né en 1920, il a assisté aux mutations anthropologiques de la "surmodernité". D'abord l'idolâtrie de la nouveauté : il ne faut plus seulement rompre avec la nature, mais avec l'héritage du passé, et désormais, avec la réalité. Sur le modèle des grandes migrations vers le Nouveau Monde, l'homme explore de "nouveaux nouveaux mondes", univers "sans matérialité" faits de pixels et ou s'efface la notion de limites géographiques, temporelles ou sexuelles. Bien qu'admiratif de la "surpuissance" du "pouvoir faire" actuel, Georges Balandier constate sa "faible capacité civilisatrice". Les dévots de la mondialisation lui rappellent ceux qui invoquaient la "mission civilisatrice" des "colonisations impériales". Les komsomols de la dictature de la nouveauté qui veulent faire table rase du passé ne savent pas où ils vont. Et leur arme – non plus les masses, mais "l'individualisme fortement concurrentiel" – produit de "l'indifférence, de l'impolitesse, de la salissure". Le bruit et la fadeur se répandent et malgré "l'exaltation de se soustraire à la pesanteur des choses" que procurent les mirages de la puissance individuelle – portables, jeux vidéo, télé-réalité – les "gens se découvrent en partie étrangers au monde qu'ils font pourtant". L'addition des progrès ne fait plus le progrès, l'intérêt pour les "projets différés" se perd, d'où le déclin de la capacité politique : l'avenir ne subsiste que sous le spectre envahissant du "risque". L'homme surmoderne "apparaît démuni et désorienté : ses conquêtes finissent par le dépasser, elles lui pèsent et le fatiguent, il ne sait plus où sont les limites séparant ses victoires de l'impuissance, puis d'une possible catastrophe ultime".

Eric Conan, l'Express 29/09/2005