Livres Essais
Jonathan Pieslak
2009
220 pages
L'objet du livre est mieux expliqué par le sous-titre « American Soldiers and Music in the Iraq War ». Au fait, le bouquin est en anglais.
A l'ère du mp3, la musique a pris une place grandissante dans la vie quotidienne et par voie de conséquence dans la vie du soldat. Professeur au New York City College, Jonthan Pieslak s'intéresse à l'utilisation de la musique dans le conflit irakien. Pour cela, il a interviewé des soldats qui revenaient du front.
En fait, la recherche de Jonathan l'a amené à voir que la musique, surtout le metal et le rap, sont au cœur de l'armée américaine depuis les clips de recrutement pour l'armée jusqu'au cœur des combats. L'auteur se penche sur tous ces aspects mais deux retiennent plus particulièrement l'attention: la place du metal dans la vie du soldat et le metal utilisé comme arme de combat.
Sur le premier point, l'apparition du mp3 et de l'iPod ont changé la vie des soldats quand ils ne sont pas au combat. D'une manière générale, toute le musique de la base est mise en commun mais ce sont le rap et le metal qui se distinguent. Pour le plupart, le metal (Slayer, Metallica, Megadeth, etc.) est une bonne mise en condition pour le combat. Certaines équipes ont par exemple une espèce de chanson fétiche qu'elles écoutent avant de partir en mission. Le phénomène est tel que certains soldats qui ont découvert le metal pendant la guerre continuent à en écouter après le retour aux Etats-Unis. Pour d'autres, c'est l'inverse, le metal est tellement associé à la guerre dans leur esprit qu'entendre certains groupes les ramènent immédiatement sur le front.
Assez bizarrement, le metal n'est pas que dans le repos des soldats, il s'est également invité au combat. Dans les chars ou les Humwees en mission, il y a aussi du metal (ou du rap) à fond. Tout l'équipage écoute le même chose. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le metal aide à maintenir la concentration pendant les phases où il n'y a pas de combat et lorsque le combat est engagé, l'adrénaline prend le dessus et la musique passe au second plan.
Sur le second point, Jonathan Pieslak se penche sur l'utilisation du metal comme arme de combat. L'idée est que les insurgés irakiens ne sont pas habitués à la culture occidentale et certainement pas au metal et qu'ils peuvent être déstabilisés par du Slayer à hautes doses. Cette utilisation stratégique peut prendre deux formes.
Tout d'abord, il s'agit d'épuiser les défenseurs d'une position à attaquer. La première utilisation de cette technique remonte à 1989. L'armée américaine avait envahi le Panama et le dictateur Manuel Noriega s'était refugié dans l'ambassade du Vatican. Pour le déloger, l'armée avait eu l'idée d'installer des haut-parleurs et de diffuser un cocktail de Led Zeppelin, AC/DC et d'autres. En Irak, une technique similaire a été utilisée lors de la prise de la ville de Fallujah en 2004. Des hauts-parleurs montés sur des Humwees diffusaient en permanence de la musique, laissée à la discrétion des soldats. Sans surprise, ce sont du metal et du rap qui se sont déversés sur la ville pendant plusieurs jours. Au point que les soldats avaient rebaptisé la ville LaLaFalluja (en référence au festival de Lallapalooza). Les insurgés ont d'ailleurs essayé de répondre de la même manière en diffusant des prières.
La seconde utilisation du metal est moins héroïque et nettement plus controversée puisqu'il s'agit du traitement des prisonniers. Le metal et le rap font partie de l'arsenal des interrogateurs pour briser la volonté des prisonniers récalcitrants. Le sujet fait l'objet de controverses importantes aux Etats-Unis sur le point de savoir si l'usage de la musique peut-être considéré comme de la torture. Pour Pieslak, il est difficile de se faire une opinion parce que l'information sur l'utilisation réelle de la musique est secret défense. D'après les rares entretiens qu'il a mené, il semble que la musique ait pour seul rôle de déstabiliser les prisonniers.
Voilà pour le contenu du livre. Il y a aussi d'autres chapitres consacrés notamment à la création de musique dans les bases et au soutien musical des insurgés. Mais dans l'ensemble, il faut bien constater que cela fait beaucoup de sujets pour seulement 200 pages (sans les annexes) si bien qu'en fin de compte aucun sujet n'est traité à fond. Il s'agit dans la plupart des cas d'une mise en perspective.
C'est un peu dommage pour les deux sujets évoqués plus haut, notamment sur la torture. Le sujet est de plus en plus débattu et certains cas laissent place à pas mal d'interrogations, comme par exemple la diffusion d'un seul en titre en boucle pendant des heures. Certains artistes ont d'ailleurs publiquement manifesté leur désapprobation et exigé que leur musique soit retirée des playlists utilisés par les soldats.
Évidemment, ce manque de profondeur est dû au fait que le sujet est neuf et que Jonathan Pieslak fait figure de pionnier. C'est donc un bon livre, original, pour s'imprégner du sujet et qui devrait servir de base à des études plus approfondies.
Comme je disais plus haut, le livre n'est pour l'instant disponible qu'en anglais auprès de l'Indiana University Press. C'est pas le genre de bouquin qu'on trouve chez son libraire donc il faut le commander.