Livres Essais
Pierre Manent
Gallimard
2006
180 p.
Membre de la prestigieuse EHESS parisienne, Pierre Manent réédite son commentaire de la pensée de Tocqueville ; rappelons que Tocqueville fut un magistrat, écrivain et homme politique français du XIX°S. : des révolutions politiques dont il fut témoin, il en retire des idées libérales qui ont eu grand écho, surtout avec la parution de son ouvrage majeur "De la démocratie en Amérique" (1830-35). Moins médiatisé que le navet racoleur et idéologique de B.H.L. qui prétendait marcher sur les traces de Tocqueville en rencontrant des stars US, ce petit livre s'adresse avant tout à des amateurs de science politique. Aujourd'hui, alors que la démocratie est devenu dogme asséné par des élites sclérosées dans leur langue de bois, qu'est-ce que vraiment que la "démocratie" ? L'auteur nous la décrit à travers la pensée de Tocqueville, en partant de l'exemple US du XIX° S. Pour se faire, Tocqueville la définit comme un "état social" (un état d'esprit, dirons-nous) qu'il oppose systématiquement à l'aristocratie (la monarchie n'étant elle-même qu'un stade vers la démocratie, car dépouillant la noblesse). La souveraineté du peuple et l'égalité en sont évidemment les fondements majeurs. Conscient des bouleversements profonds provoqués par la démocratie, il passe en revue avec une précision chirurgicale ses effets politiques, psychologiques, sociaux, économiques et religieux dans le Nouveau monde. La connexion entre démocratie US et religion nous éclaire d'ailleurs un peu la laïcité "made in USA", ramenant la religion à son "utilité sociale", décrivant une "religion naturelle" dégagée des dogmes. Il oppose aussi la France révolutionnaire et brutale avec les USA paisibles et consensuels.
Ce livre est évidemment très théorique mais l'auteur n'en fait pas une tribune idéologique : il s'efface discrètement derrière la vigoureuse et rigoureuse pensée tocquevillienne, la citant largement, en détaillant certains concepts, pointant même parfois des contradictions. Il nous livre des réflexions qui sont parfois d'une actualité stupéfiante (sur le ramollissement de l'esprit civique dû à la mondialisation, par exemple) et n'hésite pas à pointer les travers et limites de la démocratie, expliquant par exemple que la "démocratie extrême" n'est qu'une dictature (songe-t-il à Robespierre?), ou regrettant que la démocratie tue les valeurs comme la gloire. Tocqueville allie parfaitement enthousiasme et pragmatisme : c'est un personnage de son temps, dont les idées libérales, au côté des idées nationales, ont été un moteur essentiel de son siècle.