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Fête Nocturne

Poésie

Propriétaire d'une terre sur les confins de la Dordogne et de la Garonne, j'avais vingt-cinq ans que je ne la connaissais pas encore, et ce fut qu'à force d'importunités que je me décidai à quitter les salons de la capitale, pour y aller.

Je n'appris point sans surprise que je possédais une vigne où l'on voyait de temps à autres, et toujours à minuit, une foule d'esprits, qui prenaient diverses formes, telles que hommes, femmes, chevaux, boucs, etc. Un soir, assis tranquillement à faire de la musique, on frappe avec violence à la porte. Je donne ordre qu'on ouvre, un malheureux paysan se précipite dans la maison et tombe presque sans vie. Ses cheveux hérissés, son œil hagard, tout son être annonce l'effroi; je lui prodigue des secours, mais il bat la campagne, il ne répond à mes questions que par ces mots: ils sont là..., voyez-les..., ils approchent..., cette chèvre..., ce chat... Je me décidai à le laisser tranquille et à attendre que sa raison fût revenue pour l'interroger. Dès que je le crus en état de le répondre, je le questionnai sur la cause de sa frayeur. Ah! Monsieur, le dit-il, le récit que j'ai à vous faire est épouvantable, je tremble encore seulement d'y penser.

J'ai été voir un de mes parents, nous nous sommes amusés à boire, et tellement à boire, qu'il était onze heures lorsque nous nous sommes quittés. Il m'est venu à l'idée de faire le grand tour pour ne pas passer devant la vigne du diable, mais ayant une pointe de vin, je me suis dit: quand tout l'enfer serait là je n'aurais pas peur, et aussitôt me voilà passant hardiment mon chemin. Mais arrivé en face de la grande haie de la maudite vigne, j'ai entendu de grands éclats de rire, et j'ai aperçu une assemblée si nombreuse que j'ai été effrayé, cela a été bien pire lorsque j'ai vu que la haie disparaissait, qu'il n'y avait plus qu'une vaste plaine illuminée de cent mille cierges au moins et qui éclairaient un bal complet : plus loin une multitude de monde était à table et mangeait avec un appétit dévorant. Cependant je ne connaissais plus mon chemin, et je ne savais de quel côté tourner, lorsque plusieurs personnes ont quitté la table et la danse, et sont venues m'accoster. -- Que veux-tu l'ami ? Veux-tu être des nôtres ? Viens-tu signer ton pacte? Nous allons faire venir notre seigneur le diable. A ces mots, je me suis troublé; néanmoins j'ai répondu: non, monsieur, je suis bon chrétien et je ne veux point me donner à Satan. -- Tu as tort, nous sommes tous de bons enfants, tu ne te repentiras point d'être avec nous, oublie les sottises de ton curé, et renie ta religion. Oh! Mon Dieu, me suis-je écrié, en faisant le signe de la croix, venez à mon secours; à ces mots les bougies se sont éteintes, le tonnerre a grondé, tout a disparu, et je n'ai plus vu, au travers des éclairs, qu'une foule de chauves-souris et de chats-huants qui voltigeaient autour de moi, en poussant des cris épouvantables; à peine avais-je la force de respirer, lorsque j'ai entendu une voix qui me criait: Ne crains rien, chrétien, tout l'enfer ne peut prévaloir contre toi. Ces paroles m'ont rendu la force, et je me suis mis à courir jusqu'ici.

Ton aventure est extraordinaire, lui dis-je, et je verrai par moi-même.

En effet, quelques temps après, je partis un vendredi par un beau clair de lune, bien résolu de me rendre au sabat; mes vœux furent accomplis : et en arrivant à la vigne du diable, je trouvai une fête complète, des femmes magnifiques, des élégants, des feux d'artifices, des joutes, des danses, tout était réuni pour embellir ce spectacle.

Je restais stupéfait, lorsqu'une dame d'une beauté ravissante, parée comme Vénus, s'avança vers moi; soyez le bienvenu me dit-elle, nous vous attendions et vous manquiez à la fête; notre maître et seigneur vous prouve le cas particulier qu'il fait de votre personne, puisque, contre son ordinaire, il vient au devant de vous.

Un très bel homme alors m'adressa la parole: vous êtes, dit-il, après m'avoir salué très poliment, au milieu d'une assemblée de sorciers, mais, comme vous voyez, ils ne sont pas effrayants, entrez hardiment, aucun mal ne vous sera fait; et aussitôt je fus introduit dans une vaste enceinte où tout respirait la joie et la gaieté.

Des rafraichissements circulaient à la ronde, et j'étais surpris de voir qu'on ne m'en offrait point. Je devine votre pensée, me dit le seigneur et maître; mais avant de vous faire partager nos repas, il faut que nous ayons une petite explication.

Comme je vous l'ai dit, toutes les personnes assemblées ici sont des sorciers ou des sorcières, et par conséquent ont l'honneur de m'appartenir; si vous eussiez mangé ou bu la moindre des choses, vous auriez été à moi de plein droit, mais nous ne voulons surprendre personne; la bonne foi règle toutes nos actions; maintenant que vous êtes instruit, si vous voulez signer votre pacte, il ne tient qu'à vous; établissez vos conditions, je pense que nous serons bientôt d'accord. Vraiment monsieur le Diable, lui dis-je, vous n'êtes pas aussi diable comme on le croit parmi nous; mais je ne puis accepter vos offres, content de mon sort ici bas, je ne désire point changer de condition; faites vos réflexions, répondit-il d'une voix sévère, et vous nous trouverez ici tous les premiers vendredis de chaque mois.

Comme il achevait ces mots, une cloche fit entendre les sons de l'angélus; aussitôt toute la troupe poussa des hurlements affreux, le diable prit une forme horrible qui me glaça d'effroi, cette femme qui m'avait paru si belle, devint une vilaine chatte noire, tous les autres personnages furent changés en chauve-souris, chat huant, et autre animaux nocturnes. Ils m'effrayèrent véritablement, lorsque, transformés ainsi, ils m'entourèrent en menaçant de me dévorer; j'étais dans des ténèbres épaisses; je voyais autour de moi des abîmes prêts à m'engloutir, ce qui m'empêchait de faire un seul pas pour m'éloigner; la terre vomissait une quantité de soufre, de bitume et exhalait une odeur fétide et insupportable. J'étais oppressé, j'étouffais, la sueur découlait de tout mon corps et ma faiblesse était si grande que je me voyais près de succomber.

Cependant les sons argentins de la cloche annonçaient les premiers rayons de l'aurore; selon ma coutume, je récitai mon angélus. Aussitôt, les cris, les hurlements redoublèrent, le diable s'agita de mille façons, la foudre éclata de tous côtés et je me trouvai au milieu de torrents de flammes, entouré de reptiles malfaisants.

Ma prière finie, je fais le signe de croix; aussitôt, la terre s'entrouvre et engloutit tous les monstres qui m'avaient épouvanté.

Le jour me rendit des forces et le courage. Je me retirai et ne fus plus tenté d'aller voir les fêtes nocturnes.

Charles Nodier, Extrait de Infernaliana, 1822