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Dehors, Devant la Porte

Dehors, Devant la Porte, Wolfgang Borchert, 1947

Romans, Nouvelles & Théâtre

Wolfgang Borchert
1947
Pièce de Théâtre - 80 pages

Le sous-officier Beckman a 25 ans et voit le monde à travers le haut d'un masque à gaz. Il a perdu ses lunettes et seules les lunettes de son masque à gaz, adaptées à sa vue, lui permettent de voir. Le sous-officier Beckman n'a pas perdu que ses lunettes, il a aussi perdu une rotule, son prénom et onze hommes qui étaient sous ses ordres. Il avait aussi perdu sa liberté mais il vient de la retrouver, après trois ans dans un camp soviétique. Il revient dans l'Allemagne de 1947, dévastée où Dieu est un vieux monsieur et la Mort «  rôte d'avoir trop bouffé ».

Beckman n'est pas au bout de ses pertes. Il a perdu sa femme, qui ne l'a pas attendu, ainsi que sa maison. En faisant le compte, c'est toute sa vie qui est perdue et il se jette dans le fleuve. Mais le fleuve n'a rien à faire d'un gamin de 25 ans et le renvoie sur la berge. Il est alors recueilli par l'Autre, son double positif (ou négatif, c'est selon) censé l'aider à trouver sa place dans la nouvelle société.

Mais la nouvelle société n'a pas de place pour lui, ni pour son sentiment de culpabilité, ni pour ses questions métaphysiques. Il erre donc, pas encore mort, plus vraiment vivant.

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«  Dehors, devant la Porte », c'est l'histoire de «  ceux-là, qui rentrent à la maison et qui en fait ne rentrent pas à la maison, parce qu'il n'y a pour eux plus de maison. Leur maison à eux est dehors derrière la porte ». Plus largement, c'est la génération de ceux qui ont toujours porté l'uniforme, des jeunesses hitlériennes jusqu'aux camps soviétiques et qui a été sacrifiée. Leur vie ayant été construite sur un mirage, ils ont tout perdu alors que pour les plus vieux, ce n'est qu'une parenthèse. Ils sont perdus dans cette Allemagne qui essaie de se reconstruire et d'oublier.

Tout au long de la pièce, Beckman s'interroge sur le sens de sa vie et vient demander des comptes aux enthousiastes d'avant guerre. Aidé par l'Autre, il va rencontrer les représentants de la nouvelle Allemagne: la jeune fille qui va lui redonner espoir, mais elle a déjà quelqu'un, son colonel qui lui dit de ne pas s'inquiéter pour les cadavres laissés derrière lui, le fantôme de ses parents, nazis jusqu'au bout, le directeur de cabaret qui voudrait bien être courageux, Madame Kramer, qui n'est que Madame Kramer, et enfin, Dieu lui-même complètement dépassé par les évènements.

L'histoire de Beckman, c'est aussi celle de Wolfgang Borchert. A 20 ans, il part sur le front russe dès 1942. Il se blesse (peut-être volontairement) et se trouve incarcéré comme déserteur. Il échappe de peu à la peine de mort. Après sa libération, il tient des propos anti-nazis et retourne faire un tour en prison avant d'être renvoyé sur le front de l'Est, pour faire ses preuves. Il en reviendra en 1945, affaibli moralement et physiquement. Il sait qu'il n'a plus que deux ans à vivre et se jette dans l'écriture, d'une pièce de théâtre et de nouvelles. Il meurt en 1947, à la veille de la première représentation de « Dehors, devant la Porte ».

Borchert fait partie de la Trümmerlitteratur qui naît au lendemain de la seconde guerre mondiale et qui veut comprendre et regarder la réalité bien en face. On y retrouve aussi Heinrich Böll (La Grimace). La pièce est donc écrite dans un langage direct, simple et court qui permet de bien décrire le ressentiment et le désespoir de Beckman, face à lui et face aux autres. Mais il y aussi un humour, noir évidemment.

Mais la réflexion va bien au delà de la période d'après guerre et prend une dimension métaphysique : comment et pourquoi vivre dans ce monde? Les derniers mots de Beckmann dans la pièce sont de demander pourquoi et comment cette société peut exister ? Et de hurler qu'on lui réponde. Mais tous, et en premier lieu la Mort, Dieu et l'Autre, ont disparu.

C'est peut-être une des raison du succès immédiat que la pièce a connu dès sa création en 1947 et qu'elle fasse partie encore aujourd'hui des grandes pièces du répertoire allemand. Assez bizarrement, elle n'a été traduite en français qu'en 1962 et est d'ailleurs assez difficile à trouver en français. Elle existe aux éditions Jacqueline Chambon. Pour ceux qui lisent la langue de Goethe, elle est assez facile à trouver.

Tryphoninus