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Erasmus Montanus

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Romans, Nouvelles & Théâtre

Ludvig Holberg
1722
60 p.

Jeppe et Nille Berg, un couple de paysans danois, se sont saignés aux quatre veines pour envoyer leur fils aîné, Rasmus, à l'université. Quand son retour est annoncé, tout le village, y compris sa famille et sa future belle famille, l'attend avec un mélange de fierté, de curiosité, voire dans le cas du bedeau de jalousie.

A l'université, Rasmus Berg a latinisé son nom en Erasmus Montanus et est devenu un savant pompeux qui méprise les villageois aux cerveaux encrassés de religion et de traditions. Il les impressionne en émaillant son discours de mots latins. Mais en réalité, tout ce qu'il a retenu de l'université est l'art d'argumenter sur tout et n'importe quoi et même plutôt sur n'importe quoi. Ainsi, il sème la confusion en démontrant à sa mère qu'elle est une pierre.

Pourtant, quand Montanus annonce que la Terre est ronde, c'est l'indignation générale et Montanus, malgré tous ses syllogismes, échoue à le faire admettre aux villageois. Parmi eux, son futur beau-père lui intime l'ordre de renoncer à cette hérésie s'il veut épouser sa fille. Et voici notre philosophe coincé entre sa promise et sa philosophie.

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Malgré ses presque 300 ans, Erasmus Montanus est une pièce qui fait toujours rire et aussi un peu réfléchir. C'est sans doute parce que son auteur, le Danois d'origine norvégienne, Ludvig Holberg (1684 – 1754) avait des bonnes influences dont Molière (qu'il a introduit en Scandinavie).

Dans la pièce, Holberg attaque les faux érudits de son temps et notamment l'université imbue d'elle-même mais qui n'arrive pas à former des gens « avec la tête bien faite » pour reprendre l'expression de Montaigne. La satire garde une certaine actualité mais l'intérêt me semble ailleurs parce que le sujet renvoie à une thématique plus large : celle de la connaissance. Holberg décrit les deux extrêmes : ceux qui croient savoir (Montanus) et ceux qui ne veulent pas savoir (les villageois).

A travers le personnage de Montanus, Holberg rappelle qu'il ne faut pas seulement étudier mais comprendre ce qu'on étudie. Montanus a certes un certain savoir mais il n'a pas vraiment assimilé ce qui lui a été enseigné. S'il prône la rotondité de la Terre, c'est moins par conviction que par peur du ridicule dans les milieux érudits. En plus, son savoir lui a ôté tout esprit pratique.

A l'autre bout du spectre, il y a les paysans qui ne veulent surtout pas être ébranlés dans leurs croyances. Tout ce qui est nouveau est suspect parce qu'il n'est pas confirmé par la tradition ou la religion. Pourtant, ils sont victimes du même mirage que Montanus puisqu'un peu de latin (y compris le latin de cuisine du bedeau) suffit à les impressionner.

Au final, le pièce, sous ses dehors comiques, invite à une vraie réflexion et suffit à démontrer, si besoin était, qu'un public crédule aux pieds de gens creux et sans intérêt n'est pas un phénomène propre au XXIe Siècle.

Le livre n'est pas simple à trouver en français. Il existe une édition de 1932 sous le titre « Holberg » aux éditions « La Renaissance du Livre » et qui comprend trois pièces de l'auteur et, plus récemment, une édition de 2003 aux Editions Théâtrales. Il est possible de trouver des versions en anglais (et en danois évidemment) sur internet.

Tryphoninus