Romans, Nouvelles & Théâtre
Savinien Cyrano de Bergerac
1657
160 p.
Le livre rapporte les notes d'un homme qui, poussé par la conviction que la lune est un monde et qu'il est habité, s'y est rendu et l'a exploré. Après un premier échec qui l'amène tout de même au Canada, il est finalement expédié sur la lune, un peu malgré lui, à bord d'une machine propulsée par des fusées de feux d'artifice.
Première surprise : la lune est le siège du Paradis et notre voyageur est le sixième humain à l'avoir atteint. Guidé par le prophète Elie, il voit toute la connaissance du monde s'ouvrir devant lui. Mais notre homme est un libre penseur et ne peut s'empêcher de plaisanter. Or l'humour, surtout salé, n'est pas le fort des prophètes. Choqué par son impiété Elie expulse son visiteur sans ménagement.
L'explorateur est alors recueilli par les vrais habitants de la lune : des géants à figure vaguement humaine qui se déplacent à quatre pattes. Ils le prennent pour un animal de compagnie et essaient de l'accoupler avec un autre spécimen en leur possession : un savant espagnol. Les deux compères feront tout pour démontrer leur intelligence mais ils échoueront devant la fermeté entêtée des autorités religieuses locales.
Le voyageur sera pourtant finalement secouru et mis à l'abri par un noble de l'endroit. Ce personnage, originaire du soleil, connaît bien la Terre parce qu'il y a exercé plusieurs fonctions divines dans des temps reculés (oracles, nymphe, etc.). Accompagné de son guide solarien, l'explorateur va enfin pouvoir étudier les mœurs étranges des sélénites.
Savinien Cyrano de Bergerac (1619 – 1655) est le modèle qui a servi à la célèbre pièce portant son nom d'Edmond Rostand. Le vrai Cyrano était un écrivain et probablement athée du XVIIe Siècle. Ses voyages dans la lune sont évidemment une manière détournée de critiquer la société de son temps et la mainmise religieuse.
En décrivant d'autres sociétés, il veut montrer que d'autres modes de vie sont possibles et combien certaines de nos habitudes peuvent paraître ridicules quand on prend le temps de les analyser. Chez les habitants de la lune, on parle en musique, on paie ses dettes avec des vers, ce sont les vieux qui doivent le respect aux jeunes, etc. Tout cela est décrit avec beaucoup d'humour parce que Cyrano essaie le plus souvent de donner aux sélénites des mœurs exactement contraires aux mœurs terrestres. Mais au final, les habitants de la lune d'être plus sages que ceux de la terre. Par contre, ils souffrent du même fléau que nous : la religion.
Le livre est aussi prétexte pour exposer certaines théories de l'auteur. Evidemment, elles sont exposées par des personnages des autres mondes. On trouve des théories loufoques (comme le voyage aérien grâce à l'évaporation de la rosée), des théories qui reflètent l'état des connaissances de l'époque et puis quelques unes qui sentent le soufre (l'éliocentrisme).
Mais Cyrano va plus loin et attaque la religion. La charge est d'abord indirecte, en décrivant l'attitude fermée des autorités religieuses lunaires face à son arrivée puis directe en laissant des lunaires tenir des discours osés pour l'époque. Il y a notamment un professeur d'académie qui explique à propos de l'éternité du monde que « l'esprit des hommes n'étant pas assez fort pour la concevoir et ne pouvant pas non plus s'imaginer que ce grand univers si beau, si bien réglé, peut s'être fait de soi-même, ils ont eu recours à la Création. Mais semblables à celui qui s'enfonce dans la rivière de peut d'être mouillé de la pluie, ils se sauvent des bras d'un nain à la miséricorde d'un géant. (...) Cette absurdité donc, ou ce géant duquel j'ai parlé est la Création, car, dites-moi, en vérité a-t-on jamais conçu comment de rien il a pu se faire quelque chose ? »
L'attaque est complétée par un autre érudit : « Dieu, tout inébranlable, s'emportera-t-il contre nous pour ne l'avoir pas connu, puisque c'est lui-même qui nous a refusé les moyens de la connaître ? »
Cyrano a écrit une suite qui décrit les Empires et Etats du Soleil mais restée inachevée, suite à sa mort dans des circonstances mal expliquées (il a reçu une poutre sur la tête).
L'Autre Monde (autre nom de l'ouvrage) a été publié en 1657 par un ami de Cyrano dans une version expurgée (mais déjà du vivant de l'auteur, le livre faisait déjà l'objet d'une diffusion dans des cercles restreints). Deux manuscrits trouvés plus tard permettront de reconstituer la version d'origine, qui se trouve couramment dans le commerce. Le livre est évidemment dans le domaine public et est disponible chez plusieurs éditeurs (Folio ou Mille et une Nuits par exemple).
Pour ceux qui s'intéressent au vrai Cyrano, il y a le site www.levraicyrano.fr.