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L'Ensorcelée

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Romans, Nouvelles & Théâtre

Jules Barbey d'Aurevilly
1854
+/- 200 p.

En l'An VI de la République, dans la presqu'île du Cotentin, un commandant Chouan erre dans la lande. Il vient de perdre une bataille décisive et il sait que sa cause est perdue. Il se suicide. Il s'appelle Jehoël de la Croix-Jugan. Dernier enfant de sa famille, il était destiné à la prêtrise.

Dix ans plus tard, les villageois de Blanchelande qui assistent à la messe ont la surprise de voir leur curé assisté d'un étrange prêtre dont le capuchon toujours baissé masque une tête sans visage. Croix-Jugan n'est pas mort et il a même continué la prêtrise. Mais les villageois ne s'y trompent pas : même s'il paraît repentant, l'abbé n'a en fait qu'une idée en tête, la cause du Roi. Sous sa soutane, on voit, ou on devine, ses bottes, ses éperons et ses pistolets.

Pourtant les choses ont changé dans le pays. L'aristocratie locale a disparu pour laisser la place à Thomas Le Hardouey, un paysan qui s'est enrichi pendant la Révolution. Athée au dernier degré dans une région profondément catholique, il est haï de tout le monde. Il a épousé, autant par amour que par intérêt, Jeanne de Feuardent, dernière descendante des anciens maîtres qui, à l'inverse de son mari, est adorée par les villageois. D'une nature ferme et énergique, Jeanne regrette la grandeur perdue de son nom et vit son mariage, forcé par sa pauvreté, comme une mésalliance.

Pour compléter le tableau, il y a les bergers. Ce sont des pâtres itinérants, un peu bergers, un peu voleurs, un peu sorciers. Les villageois craignent leurs prétendus pouvoirs magiques. Un fils des Lumières comme Le Hardouey ne craint pas les vaines superstitions et les chasse sans ménagement. Mais le jour de la messe où apparaît le nouvel abbé, Jeanne est accostée par l'un d'eux qui lui prédit une vengeance terrible.

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« L'Ensorcelée » de Jules Barbey d'Aurevilly (1808 – 1889) dégage une étonnante de grandeur qui résulte autant des personnages que du décor, le tout est relevé d'un soupçon de fantastique.

Aux coté des personnages principaux, le mari, la femme et l'abbé, il faut y rajouter un quatrième représenté par les bergers qui apparaissent souvent dans les moments importants du récit pour distribuer les cartes entre les protagonistes. Mais il y en a même un cinquième : le diable qui, même s'il n'apparaît pas formellement, fait planer son ombre sur toute l'histoire. C'est l'un des mérites de Barbey, il a réhabilité le diable dans la littérature française alors dominée par le positivisme.

Chose étrange, Barbey d'Aurevilly est un écrivain catholique mais son catholicisme a été mis en cause par les catholiques eux-mêmes qui traitaient son œuvre d'immorale. Barbey répond que son but est simplement de montrer la passion, mystique en l'occurrence, telle qu'elle est sans prendre parti alors même que lui la condamne. Du coup chacun est libre de son interprétation.

Revenons donc au diable : celui de Barbey est moderne dans le sens où ce n'est pas celui du mythe de Faust qui achète les âmes mais celui qui corrompt et pervertit l'homme. Dans l'Ensorcelée, le diable est derrière la plupart des personnages à tour de rôle. Et le diable n'a que faire de la faiblesse chrétienne : tous les personnages semblent taillés dans l'airain. Barbey écrivait à ce propos : « Le pinceau qui a peint ces têtes étranges et ces mœurs accentuées et à caractère, s'étale sur la toile en peignant, comme la griffe du lion sur le sol. Je n'ai rien fait d'aussi mâle de pensée et d'exécution. Il n'y a pas la dedans une seule mignardise ».

Le décor également et surtout la lande joue un rôle majeur dans l'histoire. Barbey se plaît à la décrire, déserte la nuit, entre réalité et fantastique. Barbey était en fait profondément fasciné par la région normande et s'était documenté sur la région avant d'écrire son roman. En fait, l'Ensorcelée » devait au départ être le premier roman d'une gigantesque fresque sur la Normandie chouanne et qui devait s'appeler « L'Ouest ». Mais Barbey n'a jamais pu mener son projet à terme.

« L'Ensorcelée » est dans le domaine public et n'est donc pas difficile à trouver que ce soit en livre ou sur internet (www.gallica.fr). Si vous aimez Barbey d'Aurevilly, il est également l'auteur de plusieurs romans dont « Les Diaboliques ».

Tryphoninus