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La Grimace

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Romans, Nouvelles & Théâtre

Heinrich Böll
1963
280 pages

Hans Schnier est le descendant d'une famille d'industriels allemands protestants. A 10 ans (en 1945), sa sœur est tuée au combat. A 19 ans, il s'enfuie de chez lui avec sa copine, Marie, pour devenir clown. A 27 ans, suite au départ de sa femme, il est sur le déclin et sombre lentement dans l'alcool. Seul dans son appartement de Bonn, il livre ses opinions (« Ansichten » en allemand) avec lucidité et cynisme sur certains faits de sa vie parfois entrecoupé par quelques conversations téléphoniques.

Le clown est marginal parce qu'il est incapable d'accepter l'hypocrisie générale qui entoure le redressement de l'Allemagne d'après-guerre dans les années soixante. Il refuse d'oublier que sa mère, aujourd'hui dame patronnesse, a poussé sa sœur à s'engager, que son instituteur, aujourd'hui notable estimé, prédisait la victoire finale du nazisme et que le dernier récipiendaire de la Croix du Mérite Fédéral lui apprenait le maniement des grenades anti-char pour combattre les Russes.

L'essentiel des mauvaises pensées du clown sont tournées contre le nouveau courant : les chrétiens progressistes. Et il a des raisons de leur en vouloir, ils ont poussé Marie, catholique elle-même, à le quitter pour épouser un des leurs. Et puis il y a son frère, qui est même entré au séminaire. Il revit l'époque où, invité malgré lui à leurs réunions, il assistait à toute l'hypocrisie contenue, notamment dans la distance entre la tolérance affichée des sermons et l'implacable rigueur à l'égard de ceux qui ne croient pas comme eux.

Alors, parce qu'il sait que sa présence leur est insupportable, il les appelle, un par un, pour retrouver Marie. Il ne trouvera que fausse pitié et condescendance.

« La Grimace » (« Ansichten eines Clown ») est construit au gré des impressions et des souvenirs du clown sans véritable ordre chronologique et un même souvenir peut revenir plusieurs fois, éclairé à chaque fois d'un regard nouveau. C'est l'ensemble des pièces du puzzle qui permet de comprendre toute l'histoire et d'apprécier la décision du clown à la fin du livre.

L'histoire de ce clown est celle de l'indépendance et de la solitude qu'elle entraîne inévitablement. Il est piégé dans une société qui passe passivement d'un régime totalitaire à une économie de marché et où chacun oublie le passé des autres pour ne pas avoir à affronter le sien. Le drame de ce clown, coincé entre cynisme et amertume, est qu'il refuse ce consensualisme et veut poser les questions qui dérangent.

Il attaque d'abord la pensée chrétienne progressiste des années 60 en Allemagne. Il faut rappeler qu'à l'époque, l'Allemagne est dirigée par la démocratie chrétienne (la CDU de Konrad Adenauer). Il montre des chrétiens qui au-delà des grands discours sont plus intéressés par le pouvoir et que par le salut du prochain, surtout si celui-ci n'est pas de la même confession. Mais cette critique en cache une autre, plus diffuse : celle de la capitulation quasi complète de l'Eglise et de la démocratie chrétienne allemande face au nazisme dans les années trente.

Il ne faut toutefois pas limiter le livre à une simple attaque des chrétiens progressistes : c'est tout un modèle social qui est visé. Ainsi, au-delà des chrétiens, le clown rejette les protestants (pénible avec leur éternel problème de conscience), les athées (ennuyeux à ne parler que de Dieu) et le modèle communiste (plus prompt à se moquer des autres que de lui-même).

Un mot sur l'auteur, l'écrivain allemand Heinrich Böll (1917 – 1985). Engagé malgré lui dans la seconde guerre mondiale, il a beaucoup écrit sur la guerre et sur la reconstruction de l'Allemagne. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1972.

« La Grimace » n'est disponible en français qu'aux Editions du Seuil, en particulier dans la collection Point. Il est assez facile à trouver dans toute bonne librairie. Evidemment, le livre est disponible en allemand.

Tryphoninus