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La voix de Peter

Romans, Nouvelles & Théâtre

Peter tira avec épuisement et lassitude les rideaux bleus de son salon, la vue donnait sur une ruelle appauvrie de passage. Quelquefois il y avait bien cet inepte poissonnier, qui sortait ses poubelles de son arrière boutique. L'odeur saumâtre de la marée empestait ses matinées inlassablement sombres. Peter enfila un pull-over, l'hiver n'était pas seulement dehors, les pièces de son appartement étaient si grandes, qu'il avait du mal à toutes les chauffées. Il croisa les bras et s'épancha
un peu sur sa vue quotidienne, son voisin Mr Royer revenait de la boulangerie, son pain de campagne en main et son journal sous le bras. Ce vieux bougre passait son temps à épier la vie des autres, mais Peter le plaignait plus, qu'il ne le détestait. Il avait assez de haine pour les autres, il pouvait bien en épargner quelques uns. Derrière lui une jeune femme se rapprocha, lovant son corps contre le sien à moitié nu, il sentit sa peau humide et chaude. Il se retourna le sourire accroché à sa belle denture blanche, son visage rayonnait de bonheur, il la serra fort contre lui. Un sentiment de solitude des plus intense vint soudainement l'affecter, il se savait condamné, il ne pouvait aimer. Il devait se résigner et laisser cette femme partir, incapable de trouver les mots, il ne fit que la tenir contre lui. Quelques heures plus tard, la chambre était plongée entièrement dans la pénombre, Peter était assis au bord du lit, les draps blancs froissés entremêlés, les mains sur sa tête, les yeux dans le néant, fixant quelque chose sur le sol.

Sur le plancher en bois, une coulée sanguinolente se répandait lentement vers les pieds de la commode, le liquide rougeâtre indifférait Peter, comme s'il avait l'habitude de ces choses là !
Il tira sur les draps, une tâche rouge centrait le lit, un poignard traînait sur cette texture spongieuse, Peter ramassa l'arme, se souciant plus de nettoyer celle-ci, que du corps mort baignant dans la mare sanglante. Peter se rinça d'abord les mains, puis le poignard, qu'il rangea aussitôt dans la commode sous ses pulls en laine. Il destina un regard presque humain vers sa victime, éventrée jusqu'au gosier, il s'agenouilla près d'elle, caressa sa chevelure blonde qui tombait en cascade sur ses épaules albescentes. Une émotion vive remonta chez cet homme, et des larmes vinrent humidifier ses yeux azurés, ses dents claquaient, prit d'un sanglot Peter s'écroula près de la jeune femme.
- JE VENAIS DE LUI FAIRE L'AMOUR...Hurla-t-il, POURQUOIIII...!! POURQUOIIIII... ses plaintes et ses sanglots s'enterrèrent dans ses culpabilités, laissant échapper sa rage par des cris répétés.
Au seuil de la porte une ombre noire fit son apparition.
- Tu sais bien que tu n'as pas le choix, Peter se retourna, gémissant sur ses tourments pléonastiques, arrête de geindre, lui répondit l'étrange individu avec une voix identique à la sienne. Charges-toi plutôt de te débarrasser de ce corps. Il ne faut pas amener les soupçons vers nous. Nous en avons assez avec Mr Royer qui a tendance à te surveiller, alors si tu ne veux pas finir comme tous les autres, mets-toi au travail.
La voix glaciale disparue, aussi vite que sa venue.
Peter renifla fortement, essuyant avec brutalité ses larmes qui mouillaient ses joues.
Tout en regardant le visage de la jeune femme ses traits se durcissaient, son regard jusqu'alors attristé, désespéré, se changeait en un mélanisme monstrueusement noir, froid et dédaigneux.
Il se releva, toujours nu comme un vers, ouvrit le placard, prit une trousse beige, sortit une aiguille et un fils chirurgical d'une petite boîte métallique. Les mains gantées, il planta la tige d'acier dans la chair encore tempérée. Chaque geste qu'il entreprit pour recoudre l'éventration était automatiques et précis. Mais soudain il heurta le sternum, essaya en vain de l'enfoncer avec ses deux mains, il s'épuisa et s'essouffla. Il revint de la cuisine avec un tout autre matériel : un marteau de couvreur et écrasa après avoir assené plusieurs coups, l'os.
Une giclée d'hémoglobine aspergea son visage. Peter put alors tirer la peau encore tiède jusqu'à l'autre extrémité, de son point de croix. Sauvagement il recousu la poitrine, malgré les os brisés de la cage thoracique, qui le gênaient dans sa couture barbare. Le corps de la jeune femme était enroulé comme une momie dans un drap blanc, Peter avait caché la chevelure de blé sous un bonnet de chirurgien, qu'il s'était procuré grâce à son travail d'aide-soignant. Il fut plus soigneux dans les dernières tâches. Il nettoya son visage, avant de fermer les beaux yeux clairs de sa victime, noyés de sang, une voix intérieure lui dit : «elle était belle.» Mais son regard rempli de terreur l'indisposa tellement, qu'il se leva brusquement et partit à son tour faire sa toilette.
Vers minuit, Peter traîna sur le plancher miel le corps de Brenda Cox.
Il l'enferma dans une vieille malle, qu'il tira avec peine jusqu'à la porte d'entrée, à bout de souffle au moment de fermer à clef, il entendit une voix usée sortir du silence nocturne.
- Vous déménagez encore ! Monsieur Greger ?
- Mr Royer !! !
- Tu vois, intervint la voix acerbe, j'avais raison, ce vieux te surveille. Je crois qu'il est temps, que tu trouves une solution à son sujet.
- Monsieur Greger... ? Monsieur Greger...Interpella le vieux en s'avançant avec difficulté vers son voisin qui semblait être ailleurs, son regard plongé dans un vide absolu. Le gerôn approcha lentement sa main tremblante vers l'épaule de Peter, qu'il tapota.
- Mr Greger ?
Peter retourna son regard noir vers son macrobite voisin, il desserra un sourire courtois et enleva délicatement la main du vieux, qu'il gardait dans la sienne, il fixa intensément son voisin qui ne comprenait pas son attitude. Peter serra avec rage sa mâchoire et brutalement fit de même avec le poignet de Mr Royer, jusqu'à lui briser les os.
La douleur vive fit hurler et fléchir les jambes maigres et frêles
du décrépit corps. Le regard terrifié, Monsieur Royer balbutiait sans cesse le nom de son voisin. Soudain les deux hommes se retrouvèrent dans le noir, la minuterie s'était arrêtée. Un boucan dégringola l'escalier, un cri horrifique brisa le silence obscur du couloir. La lumière revint, Peter enleva son doigt de l'interrupteur,
un sourire satisfait s'affichait sur un visage dénaturé de haine. Il s'avança vers l'escalier, sur la dernière marche un corps inanimé était plié en deux, il descendit et constatait que le vieux s'était bien brisé la nuque. Peter remonta vers la malle, rouvrit son appartement et l'enferma dedans. De la sueur perlait sur son front, épuisé, il l'essuya avec la manche de son blouson, une lourde solitude revint subitement le hanter, le visage de Brenda se redessinait dans ses pensées. Peter s'était appuyé contre le mur glacé et gris du couloir, dans son champ de vision apparut la dépouille de monsieur Royer. Il serra ses mains.
Il tenait dans l'une d'elles une housse de canapé, qui devait être utilisée à envelopper le cadavre de Mr Royer, mais il la lâcha aussitôt, elle glissa à ses pieds. Immobile, Peter était comme apathie, il n'avait plus de réaction ni sensorielle ni corporelle, même la silhouette de son ombre qui était réapparue devant lui, n'arrivait pas à le ramener à la réalité. Ses yeux fixèrent pendant un long moment, même quand la lumière fut éteinte, le cadavre du bibard*.
Depuis de bonnes heures l'aube s'était levée. Comme une main qui l'aurait secoué avec vigueur, Peter se réveilla abruptement de cette absence hypnotisante, par la vive intensité des rayons qui transperçaient le cadre vitré de la porte d'entrée. Il entendit l'arrière boutique s'ouvrir, avec toujours ce bruit de frottement de poubelle, sur le béton, tout comme cette odeur nauséabonde du poisson, qui lui montait rapidement dans ses narines. Seulement aujourd'hui, Mr Royer, n'ira pas chercher son pain, ni son journal, à présent seul Peter Greger serait le locataire de ces lieux lugubres et vétustes. Cette idée le ramena encore plus profondément à sa solitude, Peter ramassa la housse, descendit l'escalier et enjamba le corps du vieux, fermant avec soin ses yeux, il vit la même terreur qui habitait ceux de Brenda, cela lui fit le même effet d'ignominie. Redressant son corps, Peter se tourna une dernière fois vers le hall, il rajusta son blouson et ferma la porte de l'immeuble 48.
Dans les couloirs de la mort, Peter entend toujours sa propre voix qui le condamne pour ses erreurs et l'incite à étriper le gardien. Mais quoi qu'il ait pu se passer cette nuit là dans sa tête, distinctement Peter avait réussit à se libérer de ses propres démons, et pouvait désormais affichait un sourire serein.
- Tu vois, je te l'avais dit, lui répéta la voix glacée, à cause de toi, on a terminé comme les autres.
Peter ne bronche pas, au contraire, à travers le hublot de sa porte blindée, il regarde avec passivité cet oblong couloir sombre, où parfois des cris d'aliénés viennent briser cette sadique voix.


*bibard (n.m) : (argot). Vieillard

c.lafont3@wanadoo.fr

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Christelle Lafont