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Le Désert des Tartares

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Romans, Nouvelles & Théâtre

Dino Buzzati
1940
250 p.

Le lieutenant Giovanni Drogo, frais émoulu de l'école militaire, attend avec impatience sa première affectation. Il rêve autant d'exploits guerriers au service de son roi que de vie mondaine, de défilés, de jeunes filles. Mais il se trouve affecté pour deux ans au fort Bastiani, un fort isolé sur la frontière nord du pays.

Au-delà du fort, il y a un immense désert de cailloux puis une espèce de brume perpétuelle. Au-delà de la brume, il y a les Tartares, susceptibles d'attaquer le fort à tout moment. Enfin, en théorie, parce que personne n'a jamais vu les fameux Tartares. D'ailleurs personne ne sait exactement ce qu'il y a derrière la brume.

La vie du fort est organisée autour de la seule activité possible : surveiller le désert. Vu l'isolement du fort, il n'y a rien d'autre à faire. La première idée de Drogo est de partir à la première occasion. Pourtant, quand cette occasion se présentera, après quatre mois, il la déclinera parce que les quatre mois dans le fort auront suffi à lui imposer une routine douce et rassurante. Et puis, il a contracté l'étrange maladie qui a frappé une part importante de la garnison : le conviction qu'un jour, l'ennemi attaquera. Alors il attend, plein de confiance, le jour qui fera basculer son destin. Malgré la rigueur absurde du fort et l'ennui, il se fond peu à peu dans le fort au point de perdre tout intérêt pour la ville, pour ses amis, pour sa fiancée.

Mais l'ennemi ne vient pas. De tour de garde en tour de garde, de patrouille en patrouille passent les semaines, puis les mois, puis les années et toujours rien. Peut-être que le véritable ennemi n'est pas la Tartare mais tout simplement le temps qui passe.

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Il y a beaucoup de chose à dire sur le « Désert des Tartares ». Disons seulement que parmi tous les thèmes abordés (l'angoisse, la solitude, le vieillissement, le doute, l'absurde), le thème principal est l'attente. Plus précisément, il s'agit de l'attente de l'évènement exceptionnel qui va changer la vie de celui qui attend. Dino Buzzati (1906 – 1972) s'est d'ailleurs inspiré de sa propre expérience pour écrire le livre. En effet, jeune journaliste, il attendait, comme ses confrères, le scoop qui allait le rendre célèbre.

Le piège de cette attente est qu'elle se fige en un état perpétuel. Elle devient alors un but en soit et non plus un passage obligé. Au fil des années, les officiers croient de plus en plus à l'imminence de l'attaque parce qu'ouvrir les yeux les obligerait à comprendre que leur vie est absurde et irrémédiablement perdue.

Une telle situation n'est possible qu'à cause de la routine. Ce qui perd Drogo n'est pas tellement l'attente mais le fait qu'il s'englue (pour reprendre le terme du livre) dans la monotonie confortable et rassurante du fort. Toute sa jeunesse se perd non pas au fil des années mais quand il a renoncé à avancer et que l'illusion de l'attaque lui est plus importante que l'attaque elle-même. C'est au point que lorsqu'une sentinelle remarque un cheval dans le désert, la première réaction de Drogo est négative parce que ce fait étrange brise la routine.

De par son thème, le « Désert des Tartares » rappelle parfois Kafka (« Le Procès » ou « Le Château ») même si Buzzati a toujours nié une telle influence. On y retrouve la même notion d'absurde mais le monde de Kafka est nettement plus fermé et désenchanté.

« Le Désert des Tartares » est disponible en Livre de Poche (n° 973) et a fait l'objet de nombreuses rééditions. Pour les cinéphiles, le livre a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1973 par Valerio Zurlini avec Vittorio Gassman, Philippe Noiret Jacques Perrin et Jean-Louis Trintignant.

Tryphoninus