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Le Général de l'Armée Morte

Le Général de l'Armée Morte, Ismaïl Kadare, 1963

Romans, Nouvelles & Théâtre

Ismaïl Kadaré
1963
285 pages

Un général italien sillonne l'Albanie avec un prêtre italien, un expert albanais et des ouvriers albanais. Leur mission: retrouver, exhumer et rapatrier les corps des soldats italiens tombés en Albanie vingt ans plus tôt au cours de la seconde guerre mondiale. Il doit retrouver 3000 hommes et une femme. La mission n'est pas simple parce que les Albanais ont mené une guerre de résistance. Du coup, il y a eu des tués un peu partout dans le pays.

Et le pays justement n'est pas spécialement joyeux à parcourir, avec ses montagnes oppressantes et ses hivers pluvieux. Ensuite, il y a les habitants, des paysans ou des montagnards, qui regardent la mission d'un oeil plus ou moins hostile. Le général les prend pour des arriérés mais ce sont eux ou leurs parents qui ont tué les soldats qu'il revient chercher. Et puis il y a les morts eux-mêmes. Le général s'attend à trouver des héros ou des martyrs, il trouvera de tout dont des soldats passés à l'ennemi, des déserteurs, une prostituée et des criminels de guerre.

Tous les incidents qui émaillent la mission finiront par lui donner un caractère de plus en plus dérisoire. Et comme si la situation n'était pas assez ridicule, voici que notre général tombe sur son alter ego: un général allemand qui sillonne le pays pour retrouver les corps des soldats allemands.

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«  Le Général de l'Armée Morte » est le premier roman de l'écrivain albanais Ismaïl Kadaré et celui qui l'a fait connaître hors de ses frontières. C'est un roman de guerre mais qui présente une vision originale de la guerre. Pas d'héroïsme ou de grands sentiments patriotiques, on y voit la guerre du point de vue de ceux qui n'en sont pas revenus. Dans chaque cas, les morts qui sont exhumés ont leur propre histoire.

Le fait de revenir vingt ans après donne un côté irréel à la mission du général puisqu'en plus des cadavres il doit déterrer le passé. Kadaré en profite pour rappeler les rêves de grandeur de l'Italie fasciste, notamment en rappelant le noms des divisions envoyées en Albanie (Régiment de Fer, Division Gloire, etc.) et la terrible désillusion de la défaite. Il en profite également pour rappeler les exactions commises par les Italiens notamment en suivant les massacres commis par le Régiment Bleu.

C'est en cela que la progression psychologique du général est intéressante. Au début du livre, il est fier de sa mission et la voit sous un angle patriotique. Mais chaque nouvelle exhumation est une atteinte à son patriotisme. Il se prend à détester les généraux italiens de l'époque, incapables selon lui, autant que les Albanais. En plus, le général est également chargé de trouver le corps d'un colonel, considéré comme un héros en Italie. Mais la recherche du héros révèle une longue liste de massacres de civils au point que le général en finit par conclure qu'il vaut mieux ne pas le retrouver.

Le deuxième grand thème du livre est l'Albanie décrite d'abord par son climat puis par ses habitants. A l'époque, l'Albanie est communiste mais en froid avec Moscou ce qui fait qu'elle est complètement isolée sur le plan international. Les Albanais sont décrits comme de farouches montagnards hostiles à tout ce qui vient de la mer. Les Albanais adorent la guerre mais sont hospitaliers envers les étrangers. Les sentiments des Albanais vis-à-vis des Italiens sont présentés de manières diverses. Il y a certes des provocations à l'égard des émissaires italiens mais on voit que des Albanais ont recueilli des déserteurs et qu'ils veillent sur les tombes des soldats Italiens qui sont passés dans leur camp.

Le livre a été adapté au cinéma en 1982 par Luciano Tovoli. On peut y voir Marcello Mastroianni et Michel Piccoli. Le livre existe au Livre de Poche.

Tryphoninus