La Horde Noire Webzine metal extrême depuis 2002

Le Général du Diable

Des Teufels General (Le Général du Diable), Carl Zuckmayer, 1946

Romans, Nouvelles & Théâtre

Carl Zuckmayer
1946
Pièce en trois actes - 150 pages

Décembre 1941, Harras, général de la Luftwaffe, donne une fête privée. Sont conviés ses amis dont le colonel Eilers mais aussi des responsables locaux. Il y a aussi un préposé du ministère du la culture, autrement dit un espion de la Gestapo. Malgré cela, Harras égaie l'assistance en se moquant ouvertement du régime.

Le préposé de la culture fulmine mais ne peut pas faire grand chose: les compétences de Harras en aviation sont reconnues tant en Allemagne qu'à l'étranger, sans parler de sa popularité auprès des pilotes. L'attaquer de front, alors que les Etats-Unis sont encore neutres, serait une erreur politique.

Mais Harras sait que sa stature internationale ne le rend pas invulnérable. Il est d'ailleurs dans une position assez inconfortable: il est responsable des essais des nouveaux appareils et des actes de sabotage ont été constatés dans la chaîne de production. Et si le préposé de la Gestapo s'est justement invité à la petite fête de Harras, c'est justement pour lui signifier qu'il a dix jours pour trouver le coupable. Sinon, ...

*
* *

Ecrit en 1946 par un écrivain allemand en exil, Le Général du Diable est un livre sur la résistance et la collaboration à l'intérieur du régime nazi, et ce à travers une galerie de portraits. D'une certaine façon, il constitue l'espèce d'envers de Nuits Noires de John Steinbeck, qui lui se place au niveau des peuples occupés.

Revenons à Zuckmayer. Du côté de la résistance, il y a Harras et son équipe. Harras est le personnage le plus intéressant. Il est très lucide sur le régime et ne se fait aucune illusion sur son sort. Il sait aussi qu'il n'a aucune chance de convaincre ses concitoyens fanatisés. Alors il essaie avec humour de les faire douter. Mais Harras est pris dans un piège qui en a perdu beaucoup d'autres: comment combattre le régime sans combattre l'Allemagne. Harras ne trouve pas de solutions et tergiverse: il aide des Juifs à s'enfuir mais ne comprend pas les motivations de celui qui sabote ses avions.

Le saboteur justement, contrairement à Harras, a pris une décision: sauver l'Allemagne, c'est simplement perdre la guerre. Et tant pis si de braves soldats qui n'ont rien à voir avec le régime doivent mourir. Le dialogue entre Harras et le saboteur est d'ailleurs un des moments forts de la pièce.

Du côté des collaborateurs, Zuckmayer a montré toute la gamme des collaborations possibles, présentant des degrés d'implication plus ou moins graves. Quelque soit le niveau de collaboration, tous sont responsables.

Parmi les légers, il y a Mohrungen, représentant de l'industrie de l'acier, qui charge Harras pour détourner les soupçons de sa propre personne. Il y a aussi Detlev, le restaurateur qui espionne ses clients. Dans les cas un peu plus graves, il y a le major Pfundtmayer, un simple imbécile.

Dans les cas lourds, on trouve beaucoup de jeunes, parce qu'ils ont été élevés selon l'idéologie du régime. Parmi eux, le lieutenant Hartman qui rêve de mort glorieuse au champ d'honneur. Harras essaie de lui montrer qu'il ne fait que répéter des slogans. En vain, jusqu'à ce qu'une balle dans le coude lui ouvre les yeux sur la réalité de la guerre. Sa fiancée, Putzchen, est encore plus atteinte. A fond dans le régime, elle rompt avec Hartman parce que la grand-mère de celui-ci n'est pas aryenne.

Au dernier rang, il y a bien sûr le représentant de la Gestapo. C'est un homme qui fonctionne sur une logique simple: tous les problèmes viennent des Juifs et des Bolchéviques. Il voue une haine presqu'instinctive à Harras, trop fin pour lui. Il ne comprend même pas que Harras se moque ouvertement de son inculture. Mais c'est un homme qui ne se pose aucune question (il n'est vraisemblablement pas équipé pour). Et c'est cela qui le rend invincible pour des gens comme Harras.

Pour la petite histoire, l'histoire de Harras est inspirée de celle de Ernst Udet, un as de l'aviation allemande qui s'est fourvoyé dans le nazisme avant de se suicider en 1941.

Alors que la pièce est un classique en Allemagne, elle est très difficile à trouver en français. Il semble qu'elle ait été publiée par les Editions de la Table Ronde en son temps. Heureusement pour les non germanophones, elle a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1955 par Helmut Käutner avec Curd Jürgens dans le rôle de Harras.

Tryphoninus