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Le Maître et Marguerite

Le Maître et Marguerite - Mihkail Boulgakov

Romans, Nouvelles & Théâtre

Mikhail Boulgakov
1940 (publié en 1966)
530 p.

Le Diable est à Moscou. Il se fait appeler Woland et a pris les apparences d'un professeur étranger, spécialiste en magie noire. Assisté de trois acolytes, il sème la pagaille dans le Moscou communiste des années 30. Et ce n'est pas une mince affaire, parce qu'entre les espions étrangers et la police politique de Staline, les Moscovites sont largement habitués aux évènements inexpliqués.

Le Diable s'en prend d'abord à la vie culturelle. Il commence par décapiter (au propre comme au figuré) le « Massolit », célèbre association d'écrivains d'Etat avant d'envoyer en une nuit le directeur du Théâtre des Variétés à l'autre bout du pays. Ses adjoints ne sont guère mieux lotis, entre chat géant et vampire. C'est justement au Théâtre des Variétés que l'activité démoniaque va prendre sa vraie mesure : un grand magasin et un restaurant détruits par les flammes, une recrudescence d'internements dans les asiles, etc. pour atteindre son paroxysme dans un grand bal ou le ban et l'arrière-ban de l'enfer sont conviés.

Au milieu du chaos général, il y a le Maître, un écrivain qui n'appartient pas à l'Etat. Il a voulu écrire un livre sur Ponce Pilate mais la critique l'a taillé en pièce avant même que le livre ne soit terminé. De dépit, il a déchiré son manuscrit et vit dans un asile d'aliénés. Il n'a laissé aucune nouvelle à Marguerite, sa maîtresse. Elle est mariée à un homme riche mais elle aime le Maître et est prête à tout pour le retrouver. Cela tombe bien parce que Satan cherche une reine pour son bal.

Et Ponce Pilate dans tout ça ?

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« Le Maître et Marguerite » est l'œuvre de toute une vie. Mikhail Boulgakov l'a écrite et modifiée plusieurs fois (il en a même détruit une partie) et ce n'est qu'à sa mort en 1940 que le livre prendra sa forme définitive. Le livre est composé de plusieurs histoires à la fois superposées et imbriquées. Comme les histoires sont dans des registres différents, le livre s'apparente tantôt à un roman burlesque, tantôt à un roman d'amour, tantôt à une satire politique.

Les personnages sont assez attachants à commencer par les deux amants : le Maître, défenseur d'un art indépendant dans un régime totalitaire, et Marguerite, qui voudrait sortir du conformisme où son mariage l'a enfermée. Il y a aussi le personnage de Ponce Pilate, empoisonné par ses doutes. Dans un registre plus comique, les facéties du duo Béhémoth – Koroviev valent également le détour.

L'enchevêtrement des histoires et des styles rend l'interprétation du livre compliquée, voire impossible en raison du nombre d'aspects différents. Il me semble cependant, qu'outre l'histoire d'amour, le livre constitue une défense de l'artiste contre la médiocrité de ses contemporains, notamment dans une société (soviétique) qui a uniformisé les comportements.

Il y a d'abord les autres artistes, les ratés qui vivent aux crochets de la culture étatique. Des poètes et des écrivains sans talent créent une culture incolore chargée de défendre les idées du régime, et notamment dans ce cas-ci un athéisme morne devenu aussi dogmatique qu'une religion traditionnelle. Cette pléthore d'artistes « subventionnés » étouffe les vrais artistes. En cela, la figure du Maître prend une large mesure autobiographique : en 1936, las de l'ostracisme dont il est victime, Boulgakov écrit à Staline pour lui demander de lui laisser quitter le pays.

Mais il n'y a pas que la culture. Au travers de suppôts de Satan, Boulgakov traite avec une certaine morgue la médiocrité au quotidien de la population. Partout ce ne sont que petits trafics et combines minables pour améliorer un quotidien lisse et sans grandeur. D'ailleurs, Satan ne condescend pas à accabler les Moscovites lui-même, il observe ses acolytes. Plus on avance dans le récit, plus Satan et sa bande prennent une tournure sympathique puisqu'ils mettent une touche de fantaisie dans une société terne et froide à perte de vue.

Le livre est assez facile à trouver chez Pocket (n° 4229).

Tryphoninus