Romans, Nouvelles & Théâtre
Ces deux livres de guerre cultes, chacun dans leur style, ont la particularité de se dérouler pendant la 1ère mondiale, mais dans le camp allemand. Pourtant, on peut dire que tout les oppose :
- Le milieu social des auteurs :
Remarque se retranche modestement derrière un héros désabusé, issu d'un milieu modeste : Paul Baumer. Sa mère meurt, faute de soins dans un bon hôpital. Sa famille vit dans un petit appartement en ville. Son livre « A l'Ouest, rien de nouveau » est un roman peu épais (de ce fait, il est parfois étudié en classe), mais ses évocations des combats sont directes, alors qu'en réalité, l'auteur n'a jamais vu le front ; il fait mouche avec peu de mots ; l'ensemble est surtout emprunt d'une pesante mélancolie.
Ernst Jünger, lui, est une personnalité bien différente : c'est le plus pur produit de l'aristocratie prussienne, guerrière et patriotique. Son récit est à la première personne du singulier : il assume totalement son engagement et sait se mettre en valeur. Il a bénéficié d'une éducation soignée, et ses talents d'écrivains sont réels : dans « Orages d'acier », sa plume est rythmée et colorée : on lit ce pavé en haletant, tellement son récit est épique et bien ficelé. Une sorte de « Guerre et paix » du XX°S. !
- L'intensité de leur engagement militaire :
Ernst Jünger, lui, comprend que le métier des armes est fait pour lui, il fait rapidement une école d'élève-officier, de laquelle il sort avec succès. Il deviendra Adjudant, Leutnant (sous-lieutenant) puis Oberleutnant (Lieutenant) pendant la Grande guerre. Il fera partie des soldats les plus décorés du conflit, avec son insigne doré pour ses nombreuses blessures, et surtout, sa prestigieuse et rarissime étoile « pour le mérite » décernée par le Kaiser lui-même...
Le héros de Erich Maria Remarque fait partie des engagés volontaires de 1914 (« Krieg Freiwilligen ») devançant l'appel, certes, mais il le regrette vite ; il n'a fait que suivre tous ses camarades, eux-mêmes endoctrinés par leur instituteur. Cela donne lieu ensuite à une rencontre gênée entre son ex-instituteur et lui pendant sa permission... Paul Baumer reste curieusement membre de la troupe, des sans-grade du début à la fin... Pendant une cérémonie, il ne reçoit pas de décorations par l'Empereur, réservées aux les soldats les plus valeureux....
- Leur vision de la guerre :
Pour Ernst Jünger, la guerre est une expérience initiatique individuelle ; il sait qu'il est doté de qualité pour commander, d'une santé très robuste... et il a aussi beaucoup de chance ! Il comptabilise une vingtaine de blessures, mais sans subir aucune amputation ! La guerre, au même titre que le sport et la culture, sont des activité naturelles pour les hommes : c'est avant tout une occasion de montrer sa réelle valeur : la force est dans le sang et elle ne peut se maîtriser. Jünger est et restera un homme de droite, un conservateur non nazi.
Le héros de E.M.Remarque pense tout autrement : la guerre est une absurdité totale provoquée par des gouvernements hautains et irresponsables, au service de leur propre gloire. La personne de l'Empereur Guillaume II est l'objet de nombreuses interrogations de sa part, et il comprend progressivement qu'il ne s'agit que d'un homme qui est son égal en humanité ! La guerre n'est qu'un fléau, et son roman en décrit minutieusement tous les travers : hôpitaux-boucherie, tranchées-mouroirs, assauts désespérés, bombardements infernaux, gaz asphyxiants... Mais cela est dit sans haine, à la manière d'un « candide » voltairien qui découvre petit à petit les laideurs du monde... A chacun de se faire son opinion : son récit ets en fait un pur roman d'obédience pacifiste.
- Vie et fin des héros :
Le récit de Jünger est purement autobiographique, voire même apologétique. Sa glorieuse histoire ne s'arrête par le 11 novembre 1918 ; versé dans la réserve, il deviendra Hauptman (Capitaine) au cours de la seconde guerre mondiale. Il passera l'Occupation en France, à vivre en dandy parisien. Il rejoint Remarque, en quelque sorte, mais seulement en 1944 : il fait partie des comploteurs du 20 juillet 1944 contre Hitler : au cours d'une féroce répression, 5000 officiers sont éliminés, mais Jünger y échappe en raison de sa popularité et de son passé de patriote... Reconnu pour ses Ĺ“uvres littéraires (« Jeux africains », « Héliopolis »...), ce vaillant vieillard arpentera l'Europe avant de décéder récemment, quasiment centenaire !
Chez Remarque, la boucle est bouclée quand le héros Paul Baumer meurt à la fin, bêtement, deux jours avant l'armistice du 11 novembre ! En fait, Remarque le pacifiste fuit pour s'installer aux USA à l'arrivée des nazis au pouvoir. Son livre sera même brulé dans un "auto-da-fé" nazi. Il n'écrira plus rien, comme si « A l'Ouest, rien de nouveau » avait finalement suffit à exorciser ses souffrances... Mais un film en sera une fidèle adaptation (voir chronique). A noter que c'est son point de vue est repris par l'historiographie, jusque dans la B.D., avec le fameux Tardi, qui est aussi très engagé...
Ces deux destins croisés ne méritent pas de jugement à posteriori : les deux auteurs sont renommés et ont chacun une personnalité emblématique : le guerrier et le pacifiste. Surtout, ils furent malgré eux des produits et des témoins de leur temps ; et leur temps, le « 1er XX°S. », fut bien plus troublé que le notre....