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Kreator est l'une des légendes vivantes du thrash métal. Déferlant dans les années 1980, parallèlement aux groupes US de l'Area Bay, Kreator a une approche très personnelle du thrash, style dont les standard sont en train de se poser à l'époque, en se différenciant progressivement du heavy metal triomphant. Kreator incarne, aux cotés de Destruction, Sodom et Tankard, un thrash métal typiquement germanique, peut être plus brut et excessif que la 1ère vague US...Jeans cradingues décorés de multiples patchs multicolores, baskettes et guitares stylées genre « flying V », tel est le look qui préside !
LES DEBUTS : DE L'AGRESSIVITE BRUTE AVANT TOUT !
Evoluant initialement sous la forme d'un trio (Mille Petrozza, guitare/chant/frontman, Ventor, batterie et Rob à la basse) Kreator s'est formé en 1982 sous le nom de "Tormentor". Leur premier méfait au format album sort en 1985: intitulé « Endless Pain », il est signé chez Noise records, et laisse vite présager du meilleur : d'accord, le son est négligé (production Harris Johns !), l'artwork dessiné un peu simple et enfantin, mais cela confère un charme et un environnement qui colle parfaitement au contenu : 10 titres de thrash très cru, voire très brut, dont les riffs directs savent toujours accrocher l'auditeur ; et les photos du groupe montrent immédiatement que Kreator est un groupe de scène. Des classiques se révèlent immédiatement avec « Flag of Hate » (quasiment l'hymne du groupe), « Endless Pain » (le titre éponyme), Tormentor (repris par Enthroned sur scène !)... Et justement : que vient faire Enthroned, groupe de true black métal créé en 1998 ? Tout simplement, il a su reconnaître, comme d'autres groupes et fans, un précurseur du black en Kreator : en effet, la voix criarde et incompréhensible de Miles augure déjà de rivages musicaux plus extrême, alors que Venom, Celtic Frost et Bathory sont en train de créer les bases de cet autre style nouveau. Décidément, le début des années 80 est très fertile en métal ; mais c'est toujours le heavy qui se taille la part du lion, en terme de pub, vente et public en concert.
Après ce premier coup de pied au cul du public allemand, demandant toujours plus de rage musicale, Kreator enchaîne dès 1986 avec « Pleasure to kill » : peu de changement dans la ligne musicale et c'est tant mieux : même ambiance crue, avec une production minimaliste, et des titres qui se révèlent être des classiques : « Under the guillotine », « Riot of violence », « Pleasure to kill »... Le groupe évolue maintenant à quatre, avec l'ajout (très provisoire) d'une guitare en la personne de Tritze, qui n'a pas de rôle dans la composition. Cet album est même réedité plus tard avec 3 titre bonus (Flag of hate, Take their lives et Awakening of the gods), initialement sorti sur un Ep sorti en 1988, semble-t-il...
En 1987, nouvel album, même formule : « Terrible certainty » n'invente rien, mais offre une pièce de thrash du même acabit aux fans, avec son lot de morceaux entraînants : « Terrible certainty », « Toxic trace »... Kreator tire tous ces titres de la même veine, composés souvent sur un plan classique mais toujours efficace : intro, dans laquelle la 2ème guitare arrive, puis une alternance de couplets / refrains toujours très nerveux, laissant ensuite place à un pont mid tempo, toujours très bien trouvé, qui aère le morceaux, et parfois un petit solo ou chorus relève le pont. Puis retour sur le couplet/refrain... Les textes ont de plus en plus une thématique très socio-politique, à l'instar d'un Sepultura, par exemple : on y dénonce la religion, mais aussi les humains, leur violence (« Bringer of torture »), leur bêtise, leur pollution (« Toxic trace »)... Des titres souvent très concrets, "peace and love", qui flirtent avec le gauchisme, diront certains... Mais Kreator saura-t il se renouveler ou proposer indéfiniment la même sauce éprouvée ?
L'album « Extreme Aggressions », 1989, permet au groupe de franchir un nouveau palier. La vague thrash arrive en effet à maturité, parfaitement identifiée des autres styles, les budgets alloués par les labels sont plus larges, les ventes augmentent et le troupeau des fans grossit. « Extreme Aggressions » est l'album de la maturité, à de nombreux égard : production bien meilleure, morceaux plus finement ciselés, plus « finis » mais restant dans le même esprit que les précédents : que de classiques, là encore, accouchés par le groupe qui les joue sur scène, en particulier lors de son premier concert à Berlin Est avec la chute toute récente du Mur : « Love us or hate us », un nouvel hymne pour Kreator, ou encore le mélancolique « Some pain will last ». Une vidéo superbe sort pour immortaliser ce moment magique, ou Mille est visiblement ému ! Artwork toujours dessiné mais un peu plus « pro », représentant le groupe et non plus les monstres ou des cadavres habituels. Forcément, cette subtile évolution fait jaser : les articles de la presse métallique les encense autant qu'elle les démontent ; Kreator aurait la grosse tête, trahirait ses fans, ne saurait pas bien jouer ( !), deviendrait commercial... Autant de critiques déjà entendues pour tous les autres groupes qui « percent » (tout est relatif) un tant soit peu à cette époque...
Au fait de sa gloire, Kreator ne chôme pas et « Coma of Souls » sort en 1990 ; le creux de la vague selon moi : à cette date, les ventes du métal s'effondrent, victime d'autres trends, et de surcroît, Kreator manque cruellement d'inspiration : toujours la même recette, mais manque cette fois le grain de folie pour enflammer les titres ; tout cela reste bon, mais semble mainte fois vu et entendu depuis 1985... D'ailleurs, les problèmes de seconde guitares continuent : C'est le timide Franck Godszik, dit « Blackfire » qui a rejoint le groupe depuis la tournée de 1989 .
LE TEMPS DU RECUL ET DES EXPERIMENTATIONS...
Découragement ? La cadence de travail ralentie, car rien ne sort en 1991 ; un produit étrange, « Out of the Dark...Into the light » sort en 1992 avec 8 titres : 2 inédits, « Impossible to cure » et « Lambs to the slaughter », 2 déjà vus et 4 live extraits de la vidéo déjà en vente. Probablement une sombre histoire de contrat...
D'autant plus que le nouveau cru, « Renewal », sort la même année, toujours chez Noise : et là, on devine Kreator, à l'image des autres groupes du mouvement thrash, et surtout Mille Petrozza, se cherchent, mis K.O. par la chute du Mur et l'officialisation des crimes marxistes, remettant ainsi en cause les idées que le groupe clamait fièrement avant ! « Renouvellement » est un titre très bien choisi pour cet album qui déroutera et détournera de nombreux fans, par son côté dépressif et électronique. Tout Kreator y est repensé, et seuls quelques titres comme « Renewal » retinrent mon attention. Un clip en est d'ailleurs conçu. Sur cet opus, seule la production reste sale, donc typique. L'album est donc un flop !
Des rumeurs persistantes parlent maintenant de split...Il est vrai que Rob, le bassiste originel, n'est plus là. Il faut attendre 1995 pour faire taire les mauvaises langues et voir Kreator accoucher d'un monstre unique, « Cause for conflict » : encore un album qui détone totalement avec le reste de la discographie, mais qui est tout de même excellent : nouveau label (GUN), production énorme, artwork énigmatique et somptueux, nouveaux look gothique, pour une nouvelle direction musicale : le thrash indus ! Et pourquoi pas, d'ailleurs, puisque cet album permet de se découvrir à de nouveaux fans plus jeunes et de réveiller les anciens thrasheurs en mal de violence sonore...L'emblématique « Lost », titre fou, fera même l'objet d'un vidéo clip réussi. A noter l'excellente reprise punk en bonus track de « State oppression » de Raw Power dans la version digipack. Ce titre et celui de l'album montrent que le groupe n'aurait pas abandonné pour autant ses convictions de gauche.
En 1996 sort chez Noise un CD au contenu hétéroclite et de qualité très inégale, qui fleure bon le besoin de fric du label délaissé depuis 1995, avec son artwork minable : « Scenario of violence », composé de 16 titres live, ou remixés, enregistrés de 1987 à 92, et piochés dans tous les albums. Pièce rare mais dispensable, pour les fans seulement !!!
Mais Kreator est toujours en quête de son identité ; en 1997 arrive un nouvel album, désopilant mais pas inintéressant du tout: « Outcast ». Mêlant le coté indus du précédent, le côté thrash violent des débuts, avec une touche gothique, cet album est tantôt agressif (« Phobia ») tantôt dépressif (« A better tomorow »), reflétant sans doute les sautes d'humeurs et les doutes du leader Mille Petrozza...Un titre fait l'objet d'un clip, « Leave this world behind ». La grosse prod bien ronde et chaude, comme celle de « Cause for conflict » est à noter. Ici, le line up change à 50%, avec un nouveau bassiste et un nouveau guitariste, Vertelli de Coroner, groupe suisse de techno-thrash. Ce dernier va insuffler un souffle nouveau à Kreator, avec son jeu très différent, plus technique et plus fin que ce à quoi Kreator avait l'habitude de faire. Blackfire va dépanner le frère thrash siamois Sodom quelques temps...
N'ayant plus rien à prouver, Kreator s'ouvre de nouvelles portes avec son « Endorama » de 1999 ; Ventor, le batteur, n'est plus dans Kreator non plus. Cette fois, on a le droit à un album de rock gothique, dont le visage pointait déjà dans la précédente réalisation ! Un nouveau public est touché, et ce qu'il restait du noyau dur s'enfuit ou entre en hibernation. La tournée de promotion passe par la France mais ne fait pas le plein ! Pourtant, la mise en scène concilie ingénieusement un public forcément hétéroclite, avec des transitions symboliques aménagées entre les vieux titres remuants et les nouveaux morceaux chiants (extinction des lumières, départ des musiciens). Appelons cet ultime revirement musical la créativité ou la trahison, voire le suicide... mais Kreator survit !
Deux ans d'attente ; il se passerait quelque chose chez Kreator, nous assure-t on... Le split ? Non, le retour de Ventor, l'arrivée d'un nouveau guitariste, le finnois Sammi (encore ! Ils nous les usent !) et un nouveau label, Steamhammer... pour un retour aux sources... Impossible !!! Et pourtant c'est la stricte vérité... « Violent revolution » débarque en 2001 et les thrasheurs des années 80 croient avoir voyagé malgré eux dans la machine à remonter le temps !!! A part la production qui sonne avec son siècle, la musique est du bon thrash pur sucre !!! Arghhh !!! Une édition digipack tirée à 10 000 exemplaires renferme un bonus track (sans intérêt) du titre éponyme, à peine remixé. Mais avec 12 titres « old school », qui se plaindrait ? Et les allusions à « Coma of soul », le dernier pur sucre avant la débandade, sont légions, dont la plus frappante est le cover avec la même illustration, un crane mutilé!
Et à quoi de neuf pour 2005? Au mieux de sa forme, avec le line-up originel augmenté de Sammi, Kreator nous pond une pure bombe: "Ennemy of God": le titre est inspiré par la catastrophe du 11 septembre ; et les morceaux en sont fantastiques: rien n'est à jeter parmi ces 12 brûlots de thrash 100% old school et survitaminés : la voix de Miles est encore plus haineuse, et ses riffs entrainants. Une version digipack limitée offre aussi un bonus DVD de 3 clips dont seulement un du dernier album (« Impossible brutality »), auquel a été ajouté « Phobia » et « Violent Revolution » ; et deux « making of » en anglais. Une tournée passe par la France et Kreator attire des foules. Le retour aux sources est décidément une réussite !
Chroniques :
• Ennemy of God
• Violent Revolution
• Live Kreation
• Tribute to Kreator
Live Reports :
• KREATOR / DARK TRANQUILLITY / EKTOMORF / HATESPHERE : Transbordeur, Lyon, 14/02/2005