Dossiers
« It was a terrible tragedy, what happened to these kids, but it had nothing to do with these records. I think there was a huge amount of sympathy for them and their parents as well, but there was just no reason to demonize the music for what was the result of a couple of very unfortunate lives » (Rob Halford)
Fin 1985, deux jeunes américains décident de se suicider : l'un meurt, l'autre est défiguré. Pour les parents, les deux adolescents étaient sous l'influence de Judas Priest au moment des faits et le groupe serait responsable des conséquences du drame. Ils traduisent le groupe en justice au motif qu'un album contient des messages subliminaux. En août 1990, la justice finit par donner raison à Judas Priest.
Aux Etats-Unis, le procès reçoit une certaine médiatisation et déclenche des débats. D'un côté, il y a ceux qui y voient une tentative désespérée des parents de rejeter la responsabilité de leur faillite sur quelqu'un d'autre, fut-il un simple groupe de musique. De l'autre côté, il y a des parents qui craignent l'influence grandissante d'une musique qu'ils ne comprennent pas.
Le but du texte ci-après est de faire un bref résumé des arguments développés durant le procès. Même si le cas révèle avant tout un drame humain, le procès a du répondre à des questions tant scientifiques que juridiques qui continuent à interpeller les spécialistes outre-atlantique.
I. LES FAITS
Le 23 décembre 1985, deux adolescents du Nevada, James Vance (18 ans) et Ray Belknap (20 ans) boivent, fument de la marijuana et écoutent « Stained Class » de Judas Priest en boucle pendant près de 5 heures dans la chambre de Ray Belknap. Ensuite, ils décident de se suicider : ils saccagent complètement la chambre (à l'exception du tourne-disque) et alors que la mère de l'un d'eux frappe à la porte, ils s'enfuient par la fenêtre vers une plaine de jeu voisine. Sur place, Belknap sort un fusil, le place sous son menton et tire. Il est tué sur le coup. Vance veut faire de même mais le coup ne le tue pas. Il est défiguré. Il décèdera trois ans plus tard des suites de complications médicales liées aux soins qu'il recevait.
Pour les parents, le suicide est dû à l'influence du Judas Priest sur les deux adolescents. Peu après sa tentative de suicide, Vance a écrit une lettre à la mère de Ray dans laquelle il dit : « Je crois que l'alcool et la musique metal, comme Judas Priest, nous a conduit ou même fasciné (mesmerised en anglais) au point de croire que la réponse à la vie était la mort ».
Les parents portent la lettre chez des avocats, Vivian Lynch et Ken McKenna et sur leurs conseils décident d'intenter des poursuites à l'encontre du groupe, de CBS et d'une autre société engagée dans la production de l'album. Un des avocats déclare : « Ce n'était pas un suicide. C'était un voyage vers un monde meilleur. Ce qu'ils avaient prévu était bon, parce que Judas Priest avait dit que c'était bon ». Les parents réclament des dommages et intérêts pour un montant de 6,2 millions de dollars.
Le procès a eu lieu durant l'été 1990 et a duré trois semaines.
II. L'ACTION DES PARENTS
D'un point de vue juridique, l'action est basée sur « product liability », c'est-à-dire la mise sur le marché de produits défectueux, causant des dommages aux utilisateurs. En l'espèce, le défaut est l'existence de messages subliminaux sur le disque.
En général, cette responsabilité est invoquée pour certains produits de consommation courante mais assez rarement pour un produit culturel. Mais pour les parents, il n'y pas d'autre alternative. En effet, tout ce que Judas Priest peut dire, chanter ou montrer est couvert par la liberté d'expression, elle-même garantie par la constitution américaine (Premier Amendement). Cela signifie que les parents ne peuvent pas attaquer le groupe sur un aspect visible de l'album ou de la pochette.
Cette protection souffre quelques exceptions (propos obscènes, diffamatoires ou incitant à l'illégalité) mais aucune ne s'applique à Judas Priest. Par conséquent, les parents ont choisi d'attaquer sur base de l'existence d'un message subliminal. Dans une procédure séparée, ils ont obtenu du juge qu'il admette qu'un message subliminal n'était pas couvert par le Premier Amendement parce qu'il ne constituait pas l'expression d'un discours. Reste à démontrer qu'il y avait un message subliminal intentionnel susceptible de provoquer les suicides.
A. Les experts
Etant donné l'angle d'attaque choisi par les parents, l'issue du procès va dépendre pour une large part des avis des experts. Chaque partie a avancé les siens : ils ont pour mission d'informer le tribunal mais chaque camp va évidemment choisir des experts qui sont favorables à la position qu'il soutient.
Les parents ont fait appel à deux experts importants. Le premier, Wilson Key, est l'homme qui a popularisé l'idée des messages subliminaux dans la publicité. Il a tendance à trouver des messages subliminaux partout. Par contre, il n'a aucune base scientifique à ce qu'il avance. Son apport dans les débats est très faible. Il semble qu'il ait lui-même sapé sa propre crédibilité en affirmant au tribunal qu'il avait trouvé des messages subliminaux dans des billets de banque, dans la Chapelle Sixtine et dans des catalogues de vente par correspondance.
Le second expert des parents, Howard Shevrin, est plus lourd. Il peut mettre sur la table une vingtaine d'années de recherches sur les messages subliminaux. C'est un fervent défenseur de l'idée qu'un message subliminal peut induire un certain comportement.
Du coté de Judas Priest, les trois experts sont trois professeurs d'université américains ou canadiens. L'essentiel de leur apport a été de convaincre le tribunal qu'un message subliminal ne peut pas induire un suicide. Ils citent des expériences où aucun comportement induit n'a été constaté. L'un de ces experts, Timothy Moore, un professeur de psychologie canadien a écrit en 1996 un article sur le procès.
B. Les points à démontrer
La tâche des avocats des parents est assez difficile. Pour simplifier la présentation, disons que les points qu'ils ont a démontrer sont les suivants (je reprends l'ordre de Timothy Moore) :
1. Qu'un message caché existe ;
2. Qu'il a été intentionnellement placé là ;
3. Qu'il est subliminal ; et
4. Qu'il est la cause des suicides.
Si un seul de ces points est négatif, les poursuites contre Judas Priest devront s'arrêter.
L'existence d'un message
Aidés de leurs experts, les avocats ont écouté l'album dans tous les sens et à toutes les vitesses. Ils ont aussi retourné la pochette dans tous les sens. Ils ont trouvé plusieurs message cachés tels que " Sing my evil spirit " ou " Fuck the Lord " mais selon eux, c'est dans le titre « Better By You, better than me » (une reprise des Spooky Tooth) qu'il faut chercher la cause de la mort des deux adolescents. Le morceau est censé contenir les messages : " Let's Be Dead ", " Do It ," et " Try Suicide ".
Il semble que seule l'expression « Do It » soit réellement audible. C'est en tout cas sur ce terme que les avocats des parents ont choisi de porter leur action. Encore faut-il savoir ce que l'on entend par « it ». Ici encore, toute référence à un texte de Judas Priest (comme par exemple, les paroles, très explicites, de " Beyond the Realm of Death ") parce qu'il est protégé par le Premier Amendement. Cela place d'ailleurs les avocats dans une situation délicate : insister sur le fait que la phrase contient une incitation au suicide sans pour autant reconnaître que les adolescents avaient des tendances suicidaires.
Selon les avocats de Judas Priest, le « Do It » n'est qu'un son dû à la respiration de Rob Halford. Afin de prouver leur dire, les avocats ont fait chanter Rob Halford un passage de « Better by You, Better than Me » a capella. Dans le reportage Dream Deceiver, réalisé par la télévision américaine sur le procès, on peut voir la prestation de Rob Halford (visible aussi sur Youtube).
L'élément intentionnel
Les avocats des parents rapportèrent que les albums de Judas Priest traitaient de violence, destruction et de comportement antisocial. Même s'ils concèdent que le groupe ne défend pas réellement cette violence comme un mode de vie, ils affirment que des messages ont été cachés intentionnellement par jeu, pour augmenter l'excitation de l'auditeur « dans le but de faire de l'argent ». Selon eux, le groupe a fait preuve d'une légèreté irresponsable et qu'en plus le groupe jouait avec le feu en s'aventurant ainsi dans les arcanes de l'esprit humain. Ils concluent en affirmant que les deux adolescents faisaient partie d'une culture qui prenait les textes du groupe pour parole d'évangile et que les messages les ont poussé de l'autre côté de la limite.
A l'appui de leur requête, les avocats des parents ont également ont rapporté que, des textes inversés avaient été utilisés en 1984 sur le titre « Love Bites » (album « Defender of the Faith »). Judas Priest l'a admis mais en insistant que cela avait été fait pour des raisons purement artistiques.
Les avocats de Judas Priest ont évidemment contesté que le groupe ait pu avoir la moindre connaissance de l'existence de messages. D'une manière générale, le groupe a contesté avoir eu recours à de quelconques manoeuvres ou tromperies qui aurait pu mener à l'existence de messages sur l'album. Comme le rapporte le manager du groupe dans la presse de l'époque, il n'y aucun intérêt commercial à provoquer le suicide du public. Si le groupe avait intérêt à placer un message, il aurait été du style : « achetez plus d'albums ».
Afin de montrer l'absence d'élément intentionnel, les membres du groupe ont écouté l'album à l'envers et ont décelé plusieurs messages dont la plupart sont farfelus, preuve qu'ils sont dus au hasard. Dans « Dream Deceivers », on voit Rob Halford face au juge démontrer, cassette à l'appui, que sur le titre « Exciter » à l'envers, on peut entendre la phrase : « I-I-I asked her for a peppermint/I-I-I asked for her to get one ».
Le message est subliminal
Ce point ne fait pas partie du jugement final et a été évoqué par Timothy Moore dans son article. En fait, il semble ici que le juge mais également les avocats se soient embrouillés. En effet, dans l'esprit de tout le monde, à partir du moment où un message est caché, il est automatiquement subliminal. Par conséquent, si le premier point est positif, celui-ci le devient également.
Pourtant, il n'y a pas de corrélation scientifique entre l'existence d'un message caché et son caractère subliminal. En effet, si le message n'est pas discernable consciemment, cela ne signifie pas qu'il est automatiquement discernable inconsciemment. Par conséquent, si le message caché n'a pas été reçu par l'auditeur, ni consciemment, ni inconsciemment, il ne peut avoir eu aucun effet sur le comportement de l'auditeur.
Le caractère subliminal du message ne peut être déterminé que par une analyse des conséquences en termes de perception et ces analyses n'ont pas eu lieu. En d'autres termes, les parties se sont battues sur l'existence physique d'un message mais personne n'a cherché à savoir si le message avait bel et bien atteint sa cible. C'est un point qui aurait du être soulevé par les avocats de Judas Priest.
Influence sur les adolescents
C'est sur ce point que les débats d'expert ont été les plus vifs.
Du côté des parents, Howard Shevrin affirme que les messages subliminaux sont d'autant plus efficaces que le récepteur n'est pas conscient de sa source et l'attribue donc à ses propres motivations. Il ajoute que si on reçoit une injonction consciente, on peut la respecter ou non selon ses propres raisons. Si cette injonction est transmise de manière subliminale, elle passe dans nos impressions, motivations intérieures et augmente la probabilité d'être suivie. Par conséquent, un message subliminal peut provoquer un suicide.
La démonstration de Shevrin fut cependant rapidement battue en brèche par l'un des avocats de Judas Priest qui lui demanda de citer les bases scientifiques de sa position. Shevrin répondit qu'il se basait sur « un corpus de littérature et une centaine d'expériences ». Mais lorsque l'avocat le pressa d'en donner une, il cita quelques articles dont aucun ne soutient réellement ses conclusions.
Les experts de Judas Priest vinrent par contre témoigner qu'il ne fallait pas donner aux messages subliminaux la portée que les médias ont tendance à leur donner parce qu'ils ne sont basés sur aucune étude scientifique sérieuse. Les recherches scientifiques démontrent au contraire que les messages subliminaux sont restreints quant à leur taille et que si on perçoit une réaction chez le récepteur, cette réaction est limitée à une brève stimulation trop faible pour avoir un impact sur les intentions ou le comportement de l'auditeur. Ils furent capables de citer plusieurs expériences notamment sur l'inefficacité démontrée des cassettes d'autosuggestion.
Les avocats des parents crurent trouver un argument décisif dans le témoignage de Mme Rusk, conseillère d'éducation de James Vance après sa tentative de suicide. Elle rapporta qu'à l'automne 1986, James Vance lui avait dit : « Nous avions reçu le message. Il nous disait juste de le faire (Do It) ». Cela signifie que les deux adolescents étaient conscients du message.
Pourtant, cet argument place les parents dans une situation contradictoire. En effet, aux dires de Shevrin lui-même, la puissance du message vient du fait qu'il n'est pas perçu consciemment par l'auditeur. Dès lors, soit on suit Shevrin et les messages n'étaient pas connus des adolescents suit on suit Mme Rusk et on reconnaît que les adolescents avaient connaissance du message. Mais dans ce dernier cas, le message n'est pas subliminal. Cela entraîne deux conséquences : il fait tomber l'argument de Shevrin sur la puissance du message inconscient et surtout le message devient couvert par le Premier Amendement.
Shevrin semble avoir senti l'impasse. Lorsque l'avocat des parents lui demanda si le témoignage de Mme Rusk prouvait que le message était bien entré dans le mémoire des adolescents, il se dégagea en disant le témoignage de Mme Rusk pouvait avoir été influencé par la couverture médiatique de l'affaire. La position de Shevrin, expert des parents, a évidemment semé la confusion dans le camp des parents.
III. LA DEFENSE DE JUDAS PRIEST
Suellen Fulstone, l'avocate de Judas Priest et de CBS, estima que les causes du suicide ne devaient pas être recherchées dans la musique mais dans le parcours et notamment l'enfance difficile des deux adolescents. Tous deux étaient en rupture avec l'école et étaient fascinés par les armes.
James Vance a fait 13 fugues dans les deux ans qui ont précédé sa tentative de suicide. Il était enfant unique et n'avait jamais eu aucun contact avec son père biologique. Son père adoptif est un ancien alcoolique et joueur pathologique Sa mère elle-même admit qu'elle frappait son fils trop souvent quand il était plus jeune. En retour, James enfant pointa sur elle une arme chargée et la menaça de tirer. Un de ses professeurs suggéra que lui et sa mère devrait être conseillés parce que James avait des comportements anormaux : il enroulait violemment sa ceinture autour de la tête et s'arrachait les cheveux. En 1985, James a été admis dans un centre de désintoxication où il déclara qu'il consommait LSD, PCP, cocaïne, speed, héroïne, marijuana et barbituriques. Malgré tout cela, la mère de James continue à croire que la musique reste la cause principale du suicide disant que James citait les textes comme si c'était l'évangile.
Le parcours de Ray Belknap n'est guère mieux. Il a eu trois beaux-pères, dont l'un abusa de lui. Il était sous probation et faisait l'objet d'une enquête après avoir tué un animal avec un pistolet à fléchettes. Il avait d'ailleurs déjà tenté de se suicider. Au moment du suicide, il venait de perdre son emploi (apparemment parce qu'il avait piqué dans la caisse).
Cette thèse est également celle qui semble défendue par le reportage de la télévision américaine « Dream Deceiver ». Partis pour enquêter sur le procès, les journalistes sont arrivés assez vite à la conclusion que le problème se trouvait dans l'incompréhension entre les deux générations. Au fur et à mesure des interventions des parents, on découvre leur vie engoncée dans les traditions et dans la religion. En fait, ils prennent réellement au premier degré les textes de Judas Priest. De l'autre côté, on voit des jeunes, paumés, dans une petite ville ravagée de l'Amérique profonde par la drogue et l'alcool.
Le reportage montre également des extraits du procès et notamment le contre-interrogatoire de la mère de James Vance par l'avocate de Judas Priest. C'est un passage assez dur parce que la mère est sûre de son bon droit et elle ne comprend pas qu'on puisse l'accuser d'avoir échoué dans l'éducation de son fils. Au fil de l'interrogatoire, on la voit de plus en plus désemparée face à l'avocate qui froidement lui résume la vie de son fils, lui explique que ce n'est pas parce qu'on fait des pique-niques qu'on est heureux et qui, au final, la force à avouer que son fils était malheureux à la maison.
IV. LE PROCES
Judas Priest avait le choix que le litige soit tranché par un juge professionnel ou par un jury. Etant donné le caractère émotionnel que pouvait prendre l'affaire, le groupe a choisi un juge professionnel. Le juge s'appelle Jerry Whitehead. Le procès se tint dans la petite ville de Washoe en août 1990. Le reportage « Dream Deceiver » a filmé plusieurs passages des débats, ce qui permet d'avoir une idée des protagonistes.
Les membres de Judas Priest ont pris cette affaire au sérieux et ont fait le voyage au Nevada pour se sont rendre en personne aux audiences (alors qu'ils auraient pu se faire représenter par leurs avocats). Tout au long du procès, ils ont gardé une attitude sobre et concentrée.
De nombreux amateurs du groupe s'étaient également déplacés pour le soutenir et pour le voir. Ils se tenaient aux abords du tribunal avec affiches et banderoles. Entre les audiences, Rob Halford signe quelques autographes, sans démonstration. Le plus étonnant est que les avocats des parents attaquent le groupe sans relâche pendant les audiences et viennent ensuite demander des autographes pour leurs enfants.
Il y eut plus de 60 témoins, dont des membres des familles, des experts en audio et en informatique, des conseillers d'éducation et des policiers. Le juge Whitehead rendit son jugement le 24 août 1990.
Le jugement rappelle qu'il n'est pas là pour juger les victimes ou leurs parents. C'est une réponse à la défense de Judas Priest. Le juge rappelle que l'affaire porte sur l'existence de messages ayant pu induire le suicide et non sur la cause exacte du suicide.
En ce qui concerne l'existence d'un message justement, il conclut que celui-ci existe bien mais qu'il est constitué de la coïncidence involontaire d'une corde de guitare et d'une exhalaison de Rob Halford. Par conséquent, le juge ne retient pas l'élément intentionnel, ce qui à ce stade est déjà suffisant pour dégager Judas Priest de toute responsabilité.
Nous avons vu que le caractère subliminal du message n'a pas été pris en compte dans les débats. Il ne reste donc que l'influence du message sur le comportement des adolescents. Le jugement estime qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments scientifiques pour conclure que le message pourrait avoir une magnitude telle qu'il pourrait influencer le comportement des deux adolescents.
Au final, le juge donne raison à Judas Priest et les parents sont déboutés.
V. CONCLUSION
Quand on regarde les arguments développés par les deux camps, la position des parents apparaît assez vite comme intenable. Avec un peu de recul, il ne fait guère de doute que le suicide des adolescents est le résultat de leur parcours chaotique bien plus qu'une quelconque influence à Judas Priest. Les faits redeviennent alors le drame de deux jeunes drogués décidés à en finir.
Ce qui est plus grave est que les parents auraient peut-être pu prévenir le drame s'ils avaient mieux cerné la place de Judas Priest dans la vie des adolescents. Aveuglés par leurs préjugés, notamment religieux, ils ont la certitude que leur enfant est suicidaire parce qu'il écoutait Judas Priest au-delà du raisonnable. L'inverse est cependant plus logique : l'enfant écoutait Judas Priest au-delà du raisonnable parce qu'il était suicidaire. Dans le reportage, on voit la mère de James Vance ne pas comprendre pourquoi son fils lui passait « Number of the Beast » en boucle.
Rappelons également que la période en question (deuxième partie des années 80) était particulièrement rude pour le metal. A l'époque sévissait le sinistre Parents Music Resource Center (PMRC) qui jugeait des paroles des groupes de musique (surtout metal mais pas uniquement). C'est lui qui a « forçé » les maisons de disque à placer le fameux autocollant « Parental Advisory – Explicit Lyrics » sur les albums des groupes dont les textes étaient trop violents (pour eux). Rappelons que cette censure d'un nouveau genre était présidée par Tipper Gore, la femme du Prix Nobel de la Paix 2007.
Mais cette problématique va largement au-delà du metal et doit être replacée plus large qui est celle de la crainte chez les moins jeunes de l'influence sur les jeunes des formes de pensée ou d'art non conventionnelles. Ces réactions ne datent pas d'hier puisque déjà Socrate a été condamné à mort parce qu'il corrompait la jeunesse.
Un autre point me semble mériter une certaine attention alors qu'il n'a fait l'objet d'aucun commentaire dans le procès. C'est celui de l'omniprésence d'armes à feu chez tous les protagonistes. Dans « Dream Deceiver », on voit un type d'une vingtaine années présenter fièrement son revolver et son fusil alors qu'un autre avoue s'être déjà mis un révolver sur la tempe. La présence d'armes est tellement rentrée dans les mœurs américaines que cela ne choque plus personne.
VI. SOURCES
Ce dossier est basé sur les informations disponibles sur le net à savoir l'article de Timothy Moore (« Scientific Consensus and Expert Testimony : Lessons from the Judas Priest Trial »), un article de Courtney Jerk (« Judas Priest and the Deadly deception »), les articles de presse de l'époque et l'émission de TV9 déjà évoquée (« Dream Deceiver »).
Le reportage Dream Deceiver (56 minutes) est construit comme une suite de témoignages, sans voix off, avec les protagonistes du procès (les parents et Judas Priest) et les jeunes de la région, entrecoupé de scènes du procès ou de l'instruction. Le reportage contient également quelques interviews de James Vance entre sa tentative de suicide et son décès. Même si le réalisateur a clairement exposé son point de vue au début (celle d'une tentative des parents de reporter leur responsabilité), le reportage donne la parole à tout le monde d'une manière qui semble équitable. Il n'est pas exempt de voyeurisme par moment (surtout au début) et il faut savoir qu'il ne respecte aucun ordre chronologique dans les interventions. Ainsi, au moment du procès, James Vance est mort depuis deux ans.
Je n'ai malheureusement pas pu trouver le texte de jugement rendu.