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Le Metal Nordique

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De la légende viking au Hard-Rock : les références culturelles du Métal nordique


Quorthon (1969 - 2004), fondateur de Bathory En 1984, le groupe suédois Bathory enregistre son premier album éponyme. Personne ne se doute que la formation initiée par Quorthon (dont le vrai nom est Thomas Forsberg) sera à l'origine de deux des phénomènes parmi les plus originaux de la scène Métal : le black metal (dont le concept repose souvent sur des considérations d'ordre sataniste ou nihiliste) et le viking metal , ou Métal païen en français. Vingt plus tard, le viking metal est devenu l'un des principaux sous-courants inhérents au Métal, parfaitement identifiable et identifié des artistes et du public. Il se distingue bien sûr par son orientation et sa structure musicale, mais aussi et surtout par les thèmes et l'imagerie qu'il véhicule. Un imaginaire scandinave (ou nordique) préchrétien et néopaïen se développe ainsi rapidement par le biais d'artistes dont le succès dépasse largement le cadre de la Norvège, de la Suède ou de la Finlande. Un imaginaire qui repose parfois sur une interprétation très personnelle de l'Histoire, voire une réécriture de celle-ci.

Au milieu des années 1980, il n'existe pas de phénomène d'identification et de revendication culturelle ou nationale au sein de la scène Métal internationale. Les groupes s'expriment en général sur la misère, la guerre, la mort ou encore bien d'autres thématiques très contemporaines. On ne trouve alors nulle trace de références aux Gaulois ou aux Francs en France, aux Wizigoths en Espagne ou aux civilisations antiques en Grèce ou en Italie. Par ailleurs, la Scandinavie n'a pas encore à ce moment là de scène Métal et, pour les amateurs du style, elle n'est encore qu'une contrée bien éloignée aux traditions et au folklore méconnus.

A la suite de Bathory pourtant, des dizaines de groupes aux revendications païennes apparaissent en Europe et transmettent leur culture, d'abord à leurs voisins européens, puis à d'autres régions du monde (Etats-Unis, Japon, Amérique du Sud...). Le viking metal se retouve aux quatre coins de la Scandinavie, en Norvège, en Suède, en Finlande (le Danemark est peu touché par ce phénomène) mais aussi en Islande ou les traditions préchrétiennes sont encore très vivaces.

Pour faire passer leur message, ces artistes utilisent tous les moyens qui sont entre leurs mains. La structure des compositions fait souvent référence aux musiques traditionnelles scandinaves (du moins à la façon dont ses groupes perçoivent ces musiques traditionnelles). Les textes quant à eux font revivre les épopées nordiques et les mythes originels.

Quelles sont les conditions d'émergence de ce phénomène ? On pense inévitablement au scandinavisme, l'idée émise par certaines élites culturelle et intellectuelle de Scandinavie d'un rapprochement entre les peuples scandinaves qui se développe au XIXème siècle. Ceux-ci se penchent sur leurs valeurs et leur identité communes. Ces valeurs, le courage, l'honnêteté, la virilité se retrouvent dans le message véhiculé par les groupes de viking metal . Si ces groupes de Métal ont pu être influencés par ce phénomène, ils n'y font aucune référence. Et leur message ne doit de toute façon pas être dissocié de la musique. La problématique réside dans le fait de savoir pourquoi ces artistes essayent de faire revivre une histoire et une culture lointaine au travers de leur musique et quelles sont les formes utilisées pour parvenir à cette fin.

I/ Radicalisation du phénomène et processus de différenciation

1) Les prémices et la « scandinavisation » du phénomène : développement suivant les pays et différenciation des styles


Bathory, Blood Fire Death, 1987 Les premières manifestations de la thématique païenne et les références à la « culture viking » (c'est ainsi que ce phénomène est aujourd'hui décrit par les artistes et les media) interviennent sur l'album Blood Fire Death des Suédois de Bathory , sorti en 1987, dont la musique est moins agressive par rapport aux disques précédents. Il n'y a pas encore de références aux musiques traditionnelles nordiques, la structure des chansons reposant sur la sempiternelle base chant / guitares / batterie. Il existe cependant, dès cette période, un « mythe de l'atmosphère nordique ». Bathory et tous les groupes qui vont s'engager dans cette voie revendiquent ce « label » pour définir leur art. Pourtant, la musique jouée est évidemment bien éloignée de celle que pouvaient pratiquer les anciens Scandinaves. En fait, ce sont plutôt des éléments que ces artistes considèrent comme représentatifs de l'Histoire de ces peuples qui vont prendre la forme de caractéristiques musicales récurrentes au sein du viking metal : la violence des morceaux (celle des guerriers scandinaves), leur côté épique (caractéristique de leurs aventures en Europe et au-delà), l'obscurité et la froideur de certaines atmosphères (deux aspects climatiques propres aux pays nordiques)... Résultat : les expressions viking metal ou viking metal (littéralement « Métal Viking », c'est-à-dire influencé par la culture Viking) deviennent la norme pour définir un nouveau genre musical venu du Nord. Mais ces expressions ne font pas que décrire une nouvelle forme musicale. Elles définissent aussi l'approche lyrique développée par ces artistes dans leurs textes. Les thèmes récurrents abordés concernent l'histoire et la vie des anciens peuples scandinaves, la mythologie païenne et la nature préservée de ces temps reculés.

Ce phénomène s'étend rapidement à l'ensemble de la Scandinavie, même si les artistes qui développent cette thématique sont encore marginaux. Il faut attendre le début des années 1990 pour que certains groupes quittent les bas-fonds de l'underground scandinave et accèdent à une certaine notoriété dans leurs pays et dans le reste de l'Europe. Enslaved donne ses lettres de noblesse au viking metal dans son pays. Sa première réalisation, Yggdrasill – l'arbre cosmique qui représentait l'axe du monde chez les anciens Scandinaves - fait ouvertement référence à la « civilisation Viking ». Quant à Moonsorrow , Ensiferum ou encore Finntroll , ils défendent fièrement (ce qu'ils considèrent comme les caractéristiques de) la culture et les racines finnoises traditionnelles.

Yngwie J. Malmsteen, Marching Out, 1985 Petit à petit, des groupes vont proposer une musique moins agressive tout en développant le même concept. La musique s'affranchit donc du concept général selon lequel le viking metal devrait être nécessairement sombre et agressif. On trouve ainsi des artistes dont la musique est bien plus gaie, mélodique voire commerciale comme Yngwie Malmsteen , Amorphis ou Otyg . Mais le concept ainsi que les thèmes abordés restent les mêmes : la civilisation nordique préchrétienne.

2) Les apports musicaux


Certains de ces artistes associent aux thèmatiques lyriques païennes une forme musicale qui puise son influence et ses références dans la musique traditionnelle nordique. On parle alors, en termes génériques, de folk metal pour définir ce style. Les groupes qui évoluent dans cet univers intégrent un certain nombre d'éléments issus des musiques de leurs pays. Dans leur processus de composition, ces artistes utilisent aussi bien des instruments traditionnels que des thèmes musicaux issus de leurs traditions. Avec le viking metal, les choses sont un peu différentes puisque les artistes reconnaissent avoir peu d'informations sur la musique pratiquée par les populations scandinaves de l'époque, comme l'explique Patrick Lindgren de Thyrfing : « au tout début de l'histoire du groupe, nous avons essayé de définir une identité reposant à la fois sur un concept lyrique et musical : la mythologie nordique et l'histoire des Vikings. Néanmoins, pour dire la vérité, on ne sait aujourd'hui pas grand-chose sur la musique de l'époque, si ce n'est qu'elle était assez ‘primitive', souvent limitée à un ou deux instruments (flûte, tambours) accompagnés peut-être de quelques chants. En ce qui concerne Thyrfing , c'est un groupe de Métal. Il était donc difficilement concevable de reproduire le schéma musical de l'époque au sein de notre propre musique. Alors, ce que nous avons essayé de faire, c'est capturer l'essence de la mythologie nordique et de son folklore musical afin de concevoir notre propre style. »

L'instrument traditionnel finlandais par excellence, c'est le kantele. Amorphis a recours à cet instrument très ancien dont l'existence nous a été transmise par le Kalevala (l'épopée des peuples finnois racontée par Elias Lönnrot au XIXème siècle) et qui a évolué avec le temps. Le kantele est une cythare psaltérion (instrument dépourvu de manche dont les cordes sont tendues sur toute la longueur d'un corps de résonance) descendant du psaltérion médieval. Il accompagne depuis des siècles les chants ou danses traditionnels en Finlande. Le groupe finlandais en a même fait un titre, « My Kantele » sur l'album Elegy . Toujours en Finlande, Korpiklaani , dont la forme initiale se présentait sous le nom de Shaman, développait alors un concept reposant sur les singularités lapones (la langue, la musique...). Aujourd'hui, le groupe propose une musique qui puise son influence dans la musique finnoise traditionnelle. En ce qui concerne la structure de sa musique, Korpiklaani utilise des instruments typiques tels que la flûte ou le jouhikko. En ce qui concerne ce dernier, il s'agit d'une lyre à archet à quatre cordes issu de la culture celtique et arrivée en Finlande après avoir traversé la Suède. Jonne Järvelä de Korpiklaani revient sur les causes d'un tel choix artistique : « Je crois que tout ce qu'on écoute nous affecte, mais dans mon cas, j'ai vraiment ça dans le sang. Ca remonte à l'époque où j'écoutais beaucoup mon grand-père jouer de l'accordéon, je me demandais comment à son âge il pouvait faire jouer ses doigts aussi vite. Plus il jouait vite, plus j'aimais ça. Il jouait des airs traditionnels finlandais, des humpras surtout, et ça m'a profondément marqué. »

Illustration d'un Kantele

A côté de l'utilisation récurrente de thèmes et d'instruments traditionnels, les groupes accentuent la revendication de leur traditionnalisme (voire leur nationalisme) en chantant dans leur propre langue. Ces artistes privilégient ainsi le risque commercial à la possibilté de se faire comprendre du plus grand nombre, alors que le Métal n'est déjà pas un style très commercial. Il convient néanmoins de nuancer. D'abord, ces artistes espèrent avoir une aura plus importante auprès du public dans leur pays d'origine. Ensuite, la barrière de la langue n'est pas, d'une façon générale, un obstacle pour les fans de Métal qui privilégient souvent la musique aux textes. Ainsi, nombreux sont les groupes qui évitent l'anglais, langue quasi universelle. Windir , groupe norvégien, chante dans le dialecte utilisé par les habitants du village natal du groupe, le « Saognamaol ». Otyg et Vintersorg écrivent et enregistrent des textes en suédois. Moonsorrow , quant à lui, s'exprime en finnois. Les Finlandais de Finntroll ont de leur côté choisi le suédois comme langue pour leurs textes parce que le vocaliste du groupe est issu d'une minorité suédophone de Finlande. Peut-être aussi pour toucher un public plus large chez leur voisin suédois ?

3) Revendication et différenciation par le nom


Amon Amarth, The Avenger, 1999 Les noms des groupes reflètent eux aussi l'attachement des ces artistes à la mythologie et aux traditions païennes. Ils sont l'étendard arboré par ces artistes et l'emblème de leurs revendications. Il est important de savoir que, dans le Métal en général, le nom permet souvent au groupe de présenter a priori le style dans lequel il évolue et les spécificités de sa musique. Des groupes très agressifs utiliseront ainsi une terminologie issue du champ lexical de la violence, de la guerre ou de la mort. Les groupes de viking metal ne dérogent pas à cette règle quasi établie. Ainsi, Einherjer , formation norvégienne, a extrait son patronyme de la mythologie nordique. Il représente le héros mort au combat qui siège au banquet d'Odin avant de rejoindre les Dieux dans leur lutte contre les Géants quand viendra le Ragnarök (la fin du monde). Les références à la mythologie scandinave et au paganisme dans les noms sont légions : Fenriz (le loup, enchaîné jusqu'au Ragnarök ), Naglfar (le bateau des morts qui représente le rituel funéraire d'après lequel on brûlait le disparu avec son bateau), Ragnarök justement, Odhinn , Aegir , Heimdall ou encore Turisas (divinités nordiques), Thyrfing (Tyrfing, en réalité, épée forgée pour le petit-fils d'Odin)... Quant à Vintersorg , qui signifie « tristesse de l'hiver », il provient de l'œuvre de l'écrivain norvégien Margit Sandemo, une série de romans qui mettent en scène Vintersorg , le fils d'un grand chef païen. Comme nous le verrons par le suite, le concept est total : du nom aux textes en passant par l'iconographie, tous les moyens sont bons pour diffuser un message ressenti la plupart du temps avec une sincère conviction.

II/ Références historiques et culturelles traditionnelles

1) Le mythe du Viking : les valeurs défendues et les habitudes de vie


Le viking metal est donc plus un concept lyrique qu'un style musical à part entière, contrairement au folk metal . A travers ce concept, les artistes tentent de ressusciter un vieux mythe, celui du Viking, sorte de héros ressurgi du passé. Un passé encore relativement méconnu des spécialistes malgré les récents progrès de l'archéologie. Pourtant, au travers de ces groupes, le guerrier scandinave qui effraya tant les chroniqueurs religieux du Moyen Age apparaît comme le modèle de l'Homme vertueux, aventurier, courageux, droit, honnête... Bref, il réveille chez ces artistes la nostalgie d'une époque qu'ils idéalisent parfois plus que de raison.

Guerrier Viking Le premier groupe à avoir écrit sur ce thème est Led Zeppelin . L'expression viking metal était bien sûr encore loin de voir le jour, mais le groupe a abordé ce sujet dans les textes de la chanson « Immigrant Song » . Ce classique du groupe mythique anglais est un hommage aux invasions des navigateurs (et guerriers) normands sur l'Europe : « Nous venons du pays de la neige et de la glace / le marteau des Dieux guidera nos navires vers de nouvelles terres / pour combattre les hordes, en chantant et en criant / Valhalla, me voilà ! » Mais c'est surtout depuis le milieu des années 1980 que les références à ces figures mythiques foisonnent. Elles apparaissent d'ailleurs parfois plus comme des images d'Epinal que comme le rappel rigoureux d'une réalité historique. Les traits caractéristiques qui ressortent de ces descriptifs sont la force, le courage, le goût du risque, mais aussi la violence et l'aspect guerrier. Ce sont d'ailleurs des thèmes que l'on retrouve chez bon nombre de groupes de Métal qui abordent d'autres sujets... Si l'on prend l'exemple du titre « I am a viking » de Yngwie Malmsteen , l'image apparaît presque caricaturale : « Je suis un Viking qui part au combat, je n'ai que la mort à l'esprit, et lorsque je suis parti hier, je n'avais aucune crainte au fond de mon cœur / Alors que les rivages de mon pays disparaissent, je vogue sur les mers sans peur, les drakkars chevauchent les vagues, ils veulent seulement parcourir les mers. » . Les textes insistent donc plus sur un certain nombre de clichés et d'idées reçues à qui les spécialistes essayent depuis plusieurs années de tordre le cou. La réalité sociologique, économique ou politique de ces sociétés, certainement peu excitantes pour ces groupes, n'engendrent que peu d'intérêt. En d'autres termes, on assiste plus à une demonstration digne d'une comédie musicale (avec une vision presque romantique) qu'à un cours d'Histoire.

2) Les revendications religieuses et philosophiques


Chez la plupart des groupes de viking metal ou de pagan metal , il existe un certain nombre de revendications religieuses ou philosophiques. Ces artistes réagissent face à ce qu'ils ressentent comme un phénomène d'oppression : la chrétienté. Celle-ci est perçue comme une entrave à la survie et la pérennité des traditions et de la culture païenne. Somnium, de Finntroll , l'indique très clairement : « nous sommes contre les dogmes. Nous ne sommes pas anti-chrétiens mais juste contre les règles trop établies et infondées, contre les religions en somme. Le fait que les catholiques aient converti par la force les habitants du Nord alors qu'il avait déjà leurs croyances ancestrales est pour moi une aberration et un fait majeur qui ne peut être renié et contesté. Je ne suis pas client de cette société actuelle. Donc l'auditeur peut entendre le niveau fantasy ou le niveau contestataire, comme il le souhaite. » Ville Sorvali, de Moonsorrow , dit à peu près la même chose : « je considère l'Eglise [chrétienne] comme étant, et ayant toujours été, un élément dissuasif dans la vie et la culture scandinave. Je pense qu'on pourrait très bien s'en sortir sans cette religion. » Pour d'autres, la religion chrétienne a rompu le lien indéfectible qui liait l'homme à la nature à l'époque païenne. C'est le point de vue de Thyme de Ragnarök : « Je m'intéresse tout particulièrement à l'histoire de la Norvège (en tout cas, avant la christianisation). Les mythes nordiques sont très proches de la nature et de sa force. Ceux qui croyaient en ces mythes [les païens, ndr] avaient beaucoup de respect pour la nature. »

Par ailleurs, au-delà de cette prise de position à l'encontre de l'Eglise chrétienne, ces artistes revendiquent un attachement à la culture païenne. On perçoit derrière tout ça un attachement sincère à la nature qui frise parfois l'écologie. Même si ces artistes pensent d'abord à leurs contrées avant de s'intéresser au reste du globe... Malgré tout, ils dépensent beaucoup d'énergie à vanter les mérites de la nature de leur pays, de son rôle et de son influence sur leur vie personnelle mais aussi sur leur processus de composition comme l'explique Jonne Järvelä, de Korpiklaani : « Je m'inspire des atmosphères autour de moi et de la musique traditionnelle finlandaise. C'est la base des chansons. Et si l'inspiration vient un jour à manquer, que notre Terre mère me vienne en aide ! Tu sais, on ressent des sentiments très forts ici au milieu de la forêt, parce que les arbres te donnent toujours de la force. C'est la différence majeure entre vivre au milieu des gens et vivre dans la forêt : les arbres te transmettent de l'énergie alors que les gens essaient de te l'absorber. » Ce rapport à la nature peut prendre des formes diverses et même s'exprimer par le biais de rituels magiques que certains artistes rapportent dans leurs textes.

3) Les textes


Amorphis, Tales of the Thousand Lakes, 1994 Les textes, justement, sont loin d'être considérés comme secondaires par les groupes, alors même que le public accorde bien souvent plus d'importance à la musique. Même si la plupart des groupes de viking metal ou de folk metal ont plus recours à l'utilisation d'un chant agressif qu'à celle d'un chant mélodique, les textes sont partie intégrantes du concept. Certains reprennent même des œuvres littéraires de renom. Ainsi, les paroles du deuxième album d' Amorphis , Tales From The Thousand Lakes , sont intégralement basées sur l'épopée traditionnelle finnoise, le Kalevala. Ce livre, écrit par Elias Lönnrot (1802-1884) rapporte les anciens poèmes finnois collectés au travers de la Finlande et reformulés. La version définitive du Kalevala, publiée en 1849, compte quelque 22 795 vers. Les titres de Tales From The Thousand Lakes développent deux histoires du Kalevala. La première, qui se rapporte à Väinämöinen, le principal héros des épopées finnoises, se déroule dans quatre chansons de l'album.

1/ Joukahainen, un jeune homme originaire de Laponie, quitte ses parents pour défier Väinämöinen en un duel de formules magiques (« In The Beginning »).

2/ Väinämöinen est cependant bien meilleur chanteur et ses chants magiques menacent la vie du jeune Joukahainen. Pour avoir la vie sauve, ce dernier promet à Väinämöinen la main d'Aino, sa propre soeur. Mais Aino refuse de vivre avec le vieux Väinämöinen et se noie. (« Drowned Maid »).

3/ Lorsqu'il apprend la mort d'Aino, Väinämöinen devient extrêmement déprimé (« Forgotten Sunrise »).

4/ De son côté, Joukahainen veut venger la mort de sa sœur et précipite Väinämöinen dans les flots. Mais un aigle sauve Väinämöinen des eaux (« The Castaway »).

La seconde histoire développée dans cinq morceaux raconte la noce entre Ilmarinen, le maître du mal, et la fille du pays du nord dont le nom n'est jamais mentionné :

1/ Le jour de la noce, la fille du pays du nord se pose des questions sur son désir d'épouser Ilmarinen (« Black Winter Day »).

2/ Cependant, la noce se poursuit... Seul le marin Lemminkäinen n'est pas invité parce qu'il ne peut s'empêcher de provoquer des rixes. Lorsqu'il apprend qu'un mariage se déroule et qu'il n'a pas été invité, il devient fou de rage. Sa mère essaye de l'empêcher de se rendre au mariage parce qu'il risque un triple châtiment (« First Doom »).

3/ Lemminkäinen arrive sur les lieux du mariage. Il exige la meilleure bière, on lui donne à boire un hanap plein de serpents. Il tue le seigneur de Pohjola après l'avoir affronté par l'épée et dans un duel de formules magiques (« Magic And Mayhem »).

4/ Le père de la fiancée est tué. Pour échapper à la colère des invités, Lemminkäinen se transforme en aigle et s'enfuit dans les cieux (« Into Hiding »).

5/ Dans le ciel, il prie Ukko, le plus grand des Dieux, de le ramener à terre (« To Fathers Cabin »).

Dans l'album suivant, Elegy , Amorphis s'inspire à nouveau de la littérature finlandaise, notamment du Kanteletar, les six cents premières poésies lyriques, ballades et récits historiques versifiés du Kalevala. D'autres groupes utilisent la mythologie nordique comme base de leur concept lyrique. Johan Hegg, vocaliste de Amon Amarth , explique le sens et l'origine des textes de l'album Versus The World : « Le concept tourne autour de Ragnarök , la fin du monde dans la mythologie nordique. J'ai bâti mes textes à partir de diverses parties de cette légende, en essayant de regarder cette histoire sous plusieurs angles afin de donner un résultat des plus intéressants et variés. Le titre ‘Across The Rainbow Bridge' est le récit d'un vieil homme qui a vécu de nombreuses batailles, mais qui, malgré sa bravoure, n'a jamais été appelé dans le hall d'Odin. Il a perdu tous ses amis au combat, donc il décide de faire un dernier voyage afin de les rejoindre et de mourir de façon honorable. » Henri Sorvali, de Moonsorrow , définit le concept lyrique de son groupe : « Lorsque j'ai eu l'idée de créer le groupe, j'étais vraiment passionné par la mythologie nordique. Ainsi, sur l'album Suden Uni , le titre ‘Fimbulvetr Frost' traite du Fimbulvinter, un hiver meurtrier dont on trouve la trace dans la mythologie scandinave et qui arrive juste avant le Ragnarök . Quant au morceau intitulé « Elivagar (Pakanavedet) », il a pour sujet les onze rivières qui s'écoulent du Nifelheim [le monde de glace dans la mythologie nordique] » . Par contre, même si on trouve dans la religion nordique un panthéon assez important d'entités féminines (comme les Nornes qui formaient les destinées des hommes, les Dises qui jetaient des sorts et communiquaient avec les ancêtres en utilisant le chamanisme ou encore l'Haegtessa, consultée pour les questions tribales et arbitrait les disputes), les références à celles-ci dans l'univers des groupes de Métal sont loin d'être légion.

III/ La force de l'image et le processus d'identification : le danger du nationalisme ?

1) L'iconographie


Thyrfing, Hednaland, 1999 Pour renforcer l'impact de leur message, tous ces artistes associent à leur message lyrique une approche visuelle qui puise là aussi son influence dans la culture nordique. Les pochettes des disques de ces groupes représentent ainsi des éléments issus de la mythologie ou de la nature de leur pays. Pour certaines de ces formations, l'aspect prédominant de cette mythologie, c'est la guerre. Ainsi, Amon Amarth et Ensiferum agrémentent leurs pochettes d'albums de figures de soldats sur le pied de guerre, armés jusqu'aux dents. En ce qui concerne ces groupes, l'image du guerrier viking peut parfois être utilisée comme le symbole de leur musique dont les caractéristiques principales sont la violence, l'agressivité et la puissance sonore.

En ce qui concerne la nature, elle est prédominante sur la plupart des disques des artistes de viking metal ou de viking metal : le fjord norvégien sur l'album Eld de Enslaved et Urkraft de Thryrfing, la forêt finlandaise sur Voimasta Ja Kunniasta de Moonsorrow ou Spirit Of The Forest de Korpiklaani .

Musée d'Oslo Les symboles Vikings sont eux aussi très utilisés : marteau de Thor ( Far Far North de Einherjer ; Amorphis nous gratifie même d'une version finlandaise sur la pochette de l'album Far From The Sun ), futhark et runes (The North Brigade de Odhinn ), navire traditionnel ou knörr (sur la pochette de Magni Blandinn Ok Megintiri de Falkenbach , de Hednaland de Thyrfing ou de Evige Asatro de Glittertind ). On trouve par ailleurs, dans certaines représentations picturales, l'influence du romantisme scandinave des peintres du XIXème siècle. On remarque par exemple, sur la pochette de l'album Aurora Borealis d' Einherjer , l'image d'un guerrier viking affublé d'un casque ailé, comme sur certains tableaux de Herbert Gandy (L'adieu du Viking) ou de Nils Bergslien (Le roi Harald aux Beaux Cheveux à la bataille d'Hafrsfjord), alors qu'on n'a jamais trouvé de casques vikings de ce type.

2) La mise en scène photographique


Finntroll Les groupes de viking metal ne se cantonnent généralement pas à une imagerie à base de symboles. Ils n'hésitent ainsi pas à se mettre eux-mêmes en scène dans des situations qu'ils authentifient comme étant celles de leurs ancêtres scandinaves. Enslaved , Amon Amarth , Moonsorrow , Odhinn ou Ensiferum posent dans des postures dignes des meilleures productions hollywoodiennes, dans une tentative très personnelle (et parfois à la limite du ridicule) de ressusciter les habitudes de vie des peuples scandivaves nordiques il y a 1500 ans de cela. Ils s'affichent fièrement dans des maisons traditionnelles nordiques, en bois, perdues dans la forêt ou au bord d'un fjord. Pour faire revivre le guerrier scandivave, ils se parent des plus beaux attributs, pièces de musée ou simple ferraillerie, pour paraître tels qu'ils imaginent les héros scandinaves parés pour la guerre, avec hache, casques de fer, épée, bouclier et autres armures, tout objet que l'on trouve généralement dans les musées de ces contrées. Cette revendication par l'identification vestimentaire et picturale témoigne d'un engagement total de ces artistes. Leur musique est du viking metal. Eux sont les Vikings des temps modernes, seuls capables de faire revivre des traditions millénaires que les épopées, et notamment les sagas, leur ont transmis.

Du côté des groupes de viking metal , même volonté de se mettre en situation dans un décor naturel caractéristique de leur région d'origine. Ainsi, les membres de Asmegin batifolent dans les neiges norvégiennes ; Kalmah et Thyrfing aiment à se montrer dans les forêts scandinaves. Les groupes s'inscrivent physiquement dans des décors naturels, ce qui n'était pas le cas des groupes de Métal auparavant. Un « retour à la nature » revendiqué face à l'anonymat urbain, même si les villes scandinaves sont loin d'être aussi imposantes que certaines capitales européennes ou mégalopoles américaines. Il ne faut pourtant pas y voir un intérêt pour l'écologie mais plutôt la tentative spirituelle de communier avec la nature.

3) Le danger de l'extrêmisme politique

On ne peut conclure notre réflexion sans aborder l'aspect certes le moins essentiel du sujet, mais le plus polémique : l'utilisation de toute cette symbolique à des fins politiques. Le plus gros scandale qui a éclaboussé l'ensemble de la scène Métal concerne le groupe Burzum . Où plutôt le seul membre qui compose cette entité, Varg Virkenes. Ce musicien norvégien, surnommé Count Grischnack, s'est rendu coupable au cours des années 1990 d'un certain nombre d'incendies d'églises en Norvège, et surtout d'un meurtre contre la personne de Øystein Aarseth (surnommé Euronymous), vocaliste du groupe Mayhem , le 13 août 1993. Il purge actuellement une peine de 21 ans de prison. Ouvertement néonazi, il a propagé dans ses textes et ses interviews des idées révisionnistes, néopaïennes et largement antisémites. Son aura et son charisme demeurent assez importants chez une partie du public de la scène Métal, même si ses idées ont été dénoncées par une grande majorité des artistes. Une assimilation a pourtant été faite entre viking metal et extrêmisme/nationalisme. Certains artistes ont d'ailleurs dû effectuer des mises au point pour répondre aux attaques venues des media. John Ostlund de Odhinn a, comme beaucoup, souhaité se démarquer de ce type d'idéologie : « On m'accuse d'être un nazi. C'est totalement faux ! Je suis un païen. J'utilise les runes et d'autres symboles issus de la mythologie nordique sans aucune visée politique. Il n'y a aucune forme de propagande dans la façon dont j'utilise ces symboles. » Malgré tout, les affres de Burzum ont terni l'image de cette scène Métal dont les visées politiques demeurent assurément minimes voire inexistantes.

Skyforger, Perkonkalve / Thunderforge, 2003 Le phénomène du viking metal est donc loin d'être marginal dans l'ensemble des pays du Nord de l'Europe. La plupart de ces artistes ont acquis une certaine notoriété. La musique se présente aujourd'hui comme un vecteur culturel pour tous ces groupes qui ont en quelque sorte ouvert le reste du monde à une histoire, une culture, même si leur perception de celles-ci peut être évidemment contestée. Ce phénomène s'est étendu à d'autres pays où il a fait des émules. Ainsi trouve-t-on des groupes de folk metal ou de viking metal inspirés des traditions gauloises en France, celtes en Grande-Bretagne et en Irlande ou encore slaves en Russie ou en République Tchèque. Les pays baltes ont un représentant sérieux avec les Lettons de Skyforger . Mais les artistes de ces pays ne bénéficient pas encore de la même médiatisation (et de la même diffusion) que leurs chanceux voisins scandinaves. Il est aussi intéressant de noter qu'un certain nombre d'artistes non scandinaves véhiculent le même message à base de revendications païennes et d'influences nordiques. C'est le cas par exemple des Espagnols de Runic , des Américains d' Arkillery , des Argentins de Mitternacht ou encore des Russes de Scald qui propagent les traditions scandinaves au travers de leur musique. Preuve que la culture nordique dispose d'une certaine aura, aujourd'hui, et ce bien au-delà des frontières de la Scandinavie. En se tournant vers leur passé et leurs traditions, tous ces groupes ont finalement réussi à ouvrir leur univers à d'autres nations et à d'autres cultures. Le site Internet du groupe norvégien Kampfar ne propose-t-il pas des liens concernant différents aspects de son pays, aussi bien des sites touristiques naturels, des pages traitant de la mythologie et des contes traditionnels, et même une adresse menant à des recettes de cuisine norvégienne ?

BIBLIOGRAPHIE

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DISCOGRAPHIE SELECTIVE

Moonsorrow, Suden Uni, 2003
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Amorphis (Finlande), Tales From The Thousand Lakes, 1994.
Bathory (Suède), Blood Fire Death, 1987.
Ensiferum (Finlande), Ensiferum, 2001.
Enslaved (Norvège), Eld, 1997.
Led Zeppelin (Grande-Bretagne), III, 1970.
Moonsorrow (Finlande), Suden Uni, 2003
Skyforger (Lettonie), Perkonkalve / Thunderforge, 2003.
Thyrfing (Suède), Hednaland, 1999.
Yngwie J. Malmsteen (Suède), Marching Out, 1985.

NOTES

1. Nicolas Benard prépare une thèse en Histoire socio-culturelle à l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines sous la direction de C. Delporte sur le Hard-Rock, un phénomène socio-culturel.
2. [site="http : //www.royalcarnage.com/interviews/Thyrfing/int_Thyrfing.htm"] Interview Thyrfing - RoyalCarnage.com .
3. Nuclearblast/1996.
4. [site="http : //www.obskure.com"] obskure.com .
5. Le plus grand des dieux vikings, le père tout puissant des hommes et le maître d'Asgard, la demeure des dieux, Odin est le Dieu de l'éternité et de l'intemporel. C'est le dieu de la guerre et de la mort, mais aussi le dieu de la sagesse, de la magie, des poèmes et des runes.
6. Aegir (ou Aege) était le dieu de l'océan.
7. Heimdall (celui qui éclaire le monde) aussi appelé Hallinskidi (celui qui a des cornes de bélier), le dieu qui surveille le pont qui mène à Asgard. Heimdall est le fils d'Odin et de neuf mères, toutes soeurs, et filles de neuf sœurs.
8. Divinité finnoise.
9. Sur l'album III (Atlantic/1970).
10. Traduction de l'auteur.

11. Sur l'album Marching Out (Atlantic/1985).
12. Traduction de l'auteur.
13. [site="http : //www.metal-observer.com"] metal-observer.com .
14. [site="http : //www.ragnarokhorde.com"] ragnarokhorde.com .
15. NuclearBlast/1994.
16. NuclearBlast/1996.
17. Metalblade/2003.
18. Hard Rock Magazine n° 77 F, janvier 2003, page 77.
19. Spinefarm/2003.
20. [site="http : //www.moonsorrow.com"] moonsorrow.com .
21. Nom de l'alphabet runique, le système antique d'écriture alphabétique des langues germaniques. Il est appelé futhark du nom des six premières lettres qui le compose.
22. [site="http : //perso.club-internet.fr/gaharth/odhinn/framebase.html"] Odhinn

Nicolas Bénard