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Le Seigneur des Anneaux, entre conte et histoire

DVD - seigneur des anneaux

Dossiers

Inutile de gloser sur l'impact de cette trilogie livresque puis cinématographique de cette référence culturelle du métal, ni de la résumer ici ; ce modeste propos ne souhaite qu'éclairer le livre d'un angle fort différent, celui de l'historien: quelles mythes et évènements historiques ont inspiré Tolkien pour son écriture ? Le DVD de suppléments vendu avec le film « Le retour du Roi » nous livre en cela de très intéressantes clefs. Décapons ensemble, strates par strates, dans cette aventure, une historicité finalement très prégnante :

1ère strate : les chocs et mutations du « 1er XX°S » :
Nul doute que les évènements vécus par Tolkien ont pesé fortement dans l'écriture de « Lord of the rings » : officier au cours de la 1ère Guerre mondiale il fait donc partie de la « génération sacrifiée », car irrémédiablement traumatisée : sa jeunesse est marquée par l'horreur - jamais égalée pour l'époque - de la 1ère guerre industrielle de destruction massive de l'humanité : puissance accrue de l'artillerie, atteignant des calibres inhumains, invention des gaz de combats, des chars (par un Anglais, d'ailleurs), de l'aviation militaire, mobilisation d'armées de millions d'hommes... dans son récit, les forces sont tout autant immenses, terrifiantes et destructrices...
Il enseigne la littérature dans les années 1930 en Angleterre ; vivant à l'époque la 2ème Révolution industrielle, il transpose dans son histoire son dégoût, sa peur des travers de l'industrie : des quartiers gris et bruyants sortent de terre, des hordes d'ouvriers miséreux n'ayant rien à perdre s'entassent dans les faubourgs de Londres...Ce n'est donc pas un hasard si cette activité actuellement finissante est érigée par Saruman comme le futur de la Terre du Milieu, sale et totalitaire, faisant naître de ses entrailles des masses immondes et informes d'Ura Kai, alliée directe du Mal incarné par Sauron.
Mais c'est sans conteste la 2ème guerre mondiale qui est le fil blanc de l'histoire : le combat inégal et massif du Bien contre le Mal et le sacrifice nécessaire pour sauver sa civilisation : le fils de Tolkien se bat dans l'armée anglaise : après avoir lutté lui-même contre les Allemands, Tolkien assiste, comme tous ses héros, à la lutte de sa descendance en des temps troublés pour un monde meilleur...dès juin 40, la Bataille d'Angleterre oppose un petit pays isolé face à un géant victorieux sur le Continent et armé de 4 fois plus d'avions. Pourtant, la bataille contre le Mal nazi est gagnée, le débarquent allemand est impossible. un peu comme au cours de la bataille du fort du Elm, contre 10 000 soldats ennemis, a 30 contre un... Comme churchill, Ara gorn apprend le courage à ses hommes dans un discours à son peuple. Sauron n'est ni plus ni moins que Hitler !
La victoire est assurée par un optimisme récurrent. en partie avec l'aide des archers elfiques, un peu comme à la bataille d'Azincourt en 1415, ou les archers anglais ont écrasé la chevalerie française quatre fois supérieure après une harangue du roi Henri...En 1942, le sort des armes s'inverse, laissant entrevoir une lueur d'espoir pour le camp du Bien... C'est aussi l'année du début de la rédaction de la trilogie...L'idée de se battre par amour des autres et de la liberté est bien une idée défendue par un homme du XX°S...

2ème strate : le passé politique anglo-saxon :
Tolkien ne fait pas que retranscrire le cadre géopolitique mondiale qu'il vit en une parabole de la réalité ; extrêmement cultivé, il met son savoir au service de son livre ; les archétypes qu'il utilise trouvent souvent leur équivalent en chair et en os, piochés essentiellement dans l'histoire anglo-saxonne (Royaume-Uni et USA):

- L'héritier légitime refusant le pouvoir : aragorn- seigneur des anneaux
L'idée du sacrifice pour un idéal est inspirée par le personnage de Wallace, dit « Brave Heart », écossais résistant fin XIII°S à la domination anglaise : dans l'histoire des anneaux, le personnage de Ara Gorn, héritier légitime en exil du Gondor en est l'incarnation. Héros malgré eux, leur relation au pouvoir est complexe : ils font tous deux leur devoir de combattant sans aspirer à la richesse ou à la puissance. Il luttent uniquement pour la liberté. Et le dilemme entre amour et pouvoir surgit pour Ara Gorn... Le choix de l'exil de Ara Gorn, puise sa source dans l histoire des USA avec Théodore Roosevelt, brisé par sa vie familiale, qui se retire de la vie politique en 1884 dans les Badlands (Ouest) pour y vivre comme un cow-boy. Il y apprend la vie au milieu de gens modestes et différents alors qu'il était guindé ; il vit, comme Ara Gorn, l'épreuve de la solitude et de la persévérance. Autant d'atouts avant d'accepter son leg / son retour en politique. Cette tradition remonte même à l'empire romain, quand les empereurs nouvellement acclamés faisait mime de refuser le pouvoir juste quelques minutes, pour prouver leur modestie face au peuple et aux dieux attentifs...

- Le Bon roi : de tous temps, des chroniqueurs plus ou moins partiaux ont cherché à classer les rois en « bons » ou « mauvais ». Chez Tolkien, la question du pouvoir est un thème central du film : il faut des chefs pour mener le combat en des temps troublés. le parallèle entre Ara Gorn et Elisabeth 1ère d'Angleterre est évident : cette reine préfère rester vierge et remplir sa mission gouverner sagement plutôt que de succomber aux charmes de son Grand écuyer Robert Dodley et être salie par le scandale de la mort mystérieuse de la femme de ce dernier... Sage décision. Ara Gorn, lui aussi, va sacrifier son amour pour la princesse des Elfes pour enfin prendre ses responsabilités. Il rend fièrement a son peuple sa fierté avant d'épouser la belle Elfe, qui, symétriquement, en perd son Eternité.

- Le sage conseiller : gandalf - seigneur des anneaux
Sage, car ancien, instruit et expérimenté. sans ambition personnelle aucune, juste voué au service des hommes. Tel est-il. Doté d'un sens aigu des réalités, il agit, toujours pour le bien commun, ralliant les énergies, sans jamais user d'intrigues ou de manipulations. Il ne voile jamais la vérité, même si elle est dure à entendre, même pour un roi. Puisque son crédit est immense, son avis, même désagréable, est un précieux conseil. Gandalf le magicien blanc (référence chrétienne), tête de la lutte contre le Mal : il sort de son charme le roi du Rohan, et prend même le commandement de la défense de Osgiliath alors que son roi Denethor est totalement défaillant... Comme le bon Roi, il n'est qu'au service des gens. Cet archétype pourrait être également calqué sur le conseiller de Elizabeth 1ère : la victoire navale de 1577 contre l' « Invincible Armada » espagnole vient d'un bon conseil de William Cecil. Ou encore sur Benjamin Franklin, homme d'Etat, diplomate et scientifique, conseiller et artisan de la victoire au cours de la guerre d'Indépendance des colonies américaines (1776-83). Tous trois ont marqué l'histoire anglo-saxonne.

- Le mauvais conseiller : c'est exactement le contraire du précédent : habillé de noir, il ne dit que ce que l'on veut entendre, encensant son maître pour mieux le manipuler, mais sans jamais se mouiller. Grima « langue de serpent » est le traître, perfide, difforme, malfaisant mais finalement minable et perdant. Il faut sans doute y voir le visage de Raspoutine, le conseiller du tsar Nicolas II et de l'impératrice Aleksandra, relevant plutôt du sorcier crasseux qui tenait la famille impériale russe sous son emprise hypnotique, jusqu'à la déconnecter de son peuple, ce qui lui sera fatal, car elle finit totalement fusillée en 1918.

- Le duo fraternel : sam- seigneur des anneaux
Sam et Fredon incarne l'amitié idéal, pure et durable par les épreuves endurées, malgré des origines ou des cultures différentes. Le héros a besoin d'un super man, qui possède même parfois plus de force morale ou physique. Ce tandem mythique n'est pas sans rappeler les exploits de certains explorateurs anglo-saxons, mettant leur courage à l'épreuve (paranoïa, méfiance, puis respect), aidés par des autochtones, nouant des amitiés improbables: découverte de l'ouest US, par Lewis et Klark, le savant et l'indien. Ou Perry qui s'ingénia 22 ans à découvrir le pôle nord, avec un technicien noir à ses côtés, nommé Handson. Ou de l'australien Hillary et un petit Sherpa éleveur qui escaladèrent l'Everest pour la première fois. L'elfe Legolas parvient à devenir ami avec un nain Gimli que tout oppose, mais la « communauté de l'anneau » et les épreuves les réunissent. Cette amitié est solide, car elle testée par des éléments extérieurs et forgée par une souffrance commune, un peu à l'image des soldats anglais combattant au front...

- L'acte désespéré du héros: faramir- seigneur des anneaux
la charge éperdue et meurtrière de Faramir, héritier des intendants du Gondor, rappelle sans conteste la bataille de Gettysburg en 1863, pendant la guerre de sécession : les Confédérés sont massacrés dans une charge du colonel Picket, sur ordre de Lee : c'est le symbole actuel de l'héroïsme des sudistes. Les guerriers de Faramir sont sacrifiés mais leur héroïsme permet la paix future. En France, la fameuse charge de Reichshoffen correspond au même exploit, avec une chanson enfantine à l'appui...

3ème strate : les civilisations anciennes :

La culture matérielle des civilisations européennes antiques et médiévales fournit indéniablement le cadre de l'aventure : dans le livre, elles sont déjà à l'âge du Fer (l' existence de l'industrie du Mordor), de l'urbanisation (villes-forteresses très élaborées), de l'agriculture (source de richesse et mode de vie rural), d'un artisanat très élaboré, de l'élevage (usage du cheval par les guerriers) : l'Antiquité européenne semble être, sans surprise, la source d'inspiration principale. les décorations et armements sont avant tout indo-européens, de type nordique. Les pirates alliés de Sauron, à l'allure et armement exotiques viennent par la mer, « du Sud ». Petit clin d'œil à l'empire colonial anglais, peut-être l'Afrique du Sud, ou il est né...Alors qu'au contraire, dans les temps anciens, le Sud était réputé pour l'éclat de sa civilisation, non pour sa piraterie sauvage...
Nous nous trouvons plutôt face à une civilisation de petits royaumes autonomes et turbulents (Le Rohan, Gondor, La Comté, Mordor) comme ceux des celtes ou des peuples nordiques, voire déjà les royaumes barbares germaniques médiévaux, ou l'anarchie féodale du XI°S., et non à l'âge des grands empires héllenistiques, Romains, Carolingien ou Ottoniens. L'Empire semble d'ailleurs être le système honni par Tolkien, qui pense peut-être son Empire du Mal commandé par Sauron en fonction du III° Reich hitlérien qui se construit réellement sous ses yeux, soumettant et éliminant la liberté des peuples...Donc, une période comprise entre le néolithique et la fin du Moyen-Age, au cours de laquelle les techniques n'ont guère évolué...
Mais les rapports sociaux sont éminemment féodaux, donc médiévaux ; ici, chaque personnage agit selon les liens qui le relie à d'autres hommes, dans un jeu évident de vassalité : les suzerains rameutent et commandent leur vassaux, qui leur fidelité en échange d'un fief... Système mis en place par Charlemagne au IX°S., puis développer par les seigneurs ensuite. Le serment, la parole donnée sont tout, dans un monde incertain et éclaté. Pas de notion d'étatisme, ni de bien public, ni de sentiment national tel que l'on a pu le connaître ensuite depuis Jeanne d'Arc.
Du point de vue de la religiosité, peu de références monothéistes et chrétiennes. Les références religieuses sont floues ; la Mort, omniprésente, n'est qu' « un autre passage que l'on se doit de prendre », selon Gandalf, peut être afin de ne pas choquer le lecteur de l'époque ... Mais les rituels de deuil sont avant tout païens : enterrement avec objets, crémation... La magie blanche et la sorcellerie sont monnaie courantes chez Tolkien.

on peut déceler les emprunts de Tolkien aux mythologies antiques dans le comportement et la vision du monde de ses personnages : outre la simple « histoire-bataille » déjà décrite, nous découvrons une étonnante compilation de mythes, pour éclairer cette fois non les actes, mais la mentalité des personnages : une énorme (et maladroite) dose de manichéisme (La victoire du Bien contre le Mal), subtilement mélangée à des épopées antiques aux héros intrépides (épopée de Gilgamesh ou d'Alexandre, sagas nordiques surtout), aux romans de chevalerie (La matière de Bretagne et son Roi Arthur à la recherche du St Graal), en passant par Homère (Et ses dangereux mais fabuleux voyages décrits dans « L'Iliade et l'Odyssée »). C'est tout l'inconscient des peuples qui ressort par son récit : chacun peut d'identifier à un personnage typé, emblématique et héroïque mais pourtant terriblement sensible et humaniste. Le manichéisme qui prévalait dans les années 30 et 40 (communistes vs faschistes) donne ici les « méchants » clairement identifiés : difformes, malfaisants, cupides...et perdants !) est fortement tempéré par la créativité sans borne de Tolkien. Ces mythes prennent vie par leur réalité dans nos vies quotidiennes : les thèmes universels, érigés en « valeurs » rendent ses héros proches de nous : amour, amitié, loyauté, confiance, amitié, optimisme, guerre et mort président, ainsi que l'obsession de devenir un héros, d'autant que l'on trouvera que ses « anciennes » valeurs sont malheureusement fortement érodées aujourd'hui !
Pourtant, Tolkien est bien un croyant monothéiste, un chrétien, car le schéma général de cette aventure, la lutte du Bien contre le Mal, et la défaite (au moins hypothétique) de ce dernier vient tout droit de la Bible.

Enfin, Tolkien enseigne la linguistique, doublé d'un passionné pour l'histoire antique. Cela fait de lui un homme polyvalent, tout a fait apte à créer un univers de mots nouveaux, de noms à la fois mystérieux et historiques  en fait à partir de racines linguistiques des langues indo-européennes: Théodène (racine « théos », du grec « dieu »), Denethor (De « Thor », dieu germanique de la foudre)...Situer une épopée sur la Terre du Milieu, par exemple, ramène pêle-mêle au mythe grec de l'Atlantide, à la racine du mot Medi-terra-née, ou encore à la Chine, appelée aussi l'« Empire du Milieu »... Tout lecteur peut y trouver sa part de rêve, quelque soit son bagage culturel.... Son chef d'œuvre est d'avoir créé de toute pièce un langage « elfique », en se nourrissant de toutes les grammaires européennes, passées ou actuelles... Un concurrent de l'espéranto, en quelque sorte....

Tolkien, ce génie qui aura alimenté – et continue d'alimenter - l'imaginaire de générations d'ados est donc avant quelqu'un de son temps : ce prof anglais de linguistique et féru d'histoire antique a intégré les évènements et idéaux de son époque, mais aussi ceux ayant marqué le passé des pays anglo-saxons, jusqu'aux atmosphères d'une Antiquité et d'un Moyen Age mythifiés. Tolkien est éminemment le fondateur et champion inégalé de la littérature, de la BD et des jeux de rôles - ses puissants corollaires – « heroic fantasy ». Œuvre passéiste ou sublime expression d'un âge d'or mythique, son succès, après quelques hésitations, fut fulgurant.

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Autocrator, sept 04