Etat Limite : L'affrontement de l'intime

Les bonnes surprises sont généralement celles qu'on attend le moins, celles qui se nichent là où on n'aurait pas imaginé les tamiser. Tel est donc le cas de L'affrontement de l'intime, première offrande de Etat Limite, duo français que composent Usher (chant) et Wintersieg (le reste). L'œuvre est le fruit de l'alliance entre le précieux Huard Productions, qui a récemment édité en cassette le In The Mysterious Forest de Inexistence, et France, Black Death Grind, webzine et label lui aussi hautement recommandable. Nous voilà donc entre de personnes de bons goûts. Mais de nombreux autres indices témoignent de la valeur de cet album.

Première accroche, la pochette est magnifique, que signe Hugo Greiveldinger et dont on ne peut que vous inviter à découvrir le travail. Ce visuel où se détache un visage mangé par les ténèbres et qu'un escalier pénètre à la manière d'un passage, d'un chemin écartelé entre (pale) lumière et obscurité, reflète très justement le contenu tourmenté et cathartique dont il est l'écrin intriguant. Autre qualité, la prise de son, claire et enveloppante, laissant une vaste palette instrumentale s'exprimer, se délier, se déliter, à l'image des nappes de claviers qui tapissent les parois de compositions noueuses et aériennes tout ensemble. Mais nous y reviendrons.

Enfin, cette création impressionne par son ampleur, son emphase atmosphérique, affirmant par là-même l'ambition ainsi que l'exigence du tandem que n'effraient pas les structures imposantes (plusieurs titres oscillent entre huit et douze minutes au compteur), lesquelles dressent un édifice long de plus heure. Celui-ci se présente comme le refuge d'un black metal où les ambiances priment sur l'agressivité, ce qui ne les exonère pas d'un puissant tumulte intérieur que manifestent un tempo parfois véloce ('Le damné hanté' d'une ténébreuse luxuriance) et une construction labyrinthique, comme l'illustre 'Sous l'influence du chaos rampant', assurément une des plus belles et foudroyantes compos d'un menu qui n'en manque pourtant pas.

Mais en vérité, s'il s'ouvre sur des pièces successives qui sont autant de tableaux intim(ist)es que hachurent diverses teintes, dépressives ('Sortez les infirmières de mon monde') ou atmosphériques ('L'affrontement de l'intime'), l'ensemble forme un tout indivisible, traçant une inexorable progression au gré des plongées sans toujours un espoir de retour dans les arcanes de l'âme humaine, fosse marine que des instruments et un beau nuancier vocal au diapason d'un mal-être douloureux fouillent inlassablement, bathyscaphes émotionnels d'une grande force d'évocation pour qui a déjà croisé tristesse, regrets et tourments qui reflètent une bataille intérieure sans vainqueur.  

L'affrontement de l'intime marque le premier et passionnant jalon d'un groupe ambitieux, porté par une tentaculaire inspiration.

Childeric Thor - 8/10