The Ajna Offensive / Norma Evangelium Diaboli, 2024
Occult Rock, France
Album CD
Il y a des retours qui déclenchent plus d’excitation que d’autres. Tel est le cas de celui d’Aluk Todolo dont la simple évocation du nom suffit à dresser tout un univers sonore aux allures de magma ténébreux et hypnotique. L’annonce de cette quasi résurrection est la promesse d’un rituel orgasmique qui à coup sûr nous hantera pour longtemps. Il faut dire que Aluk Todolo n’est pas un groupe comme les autres non plus, triangle cosmique guitare / basse / batterie et (occult) rock instrumental qui ne ressemble à rien de connu, gravitant quelque part dans un trou noir, aux confins d’un krautrock sismique et d’un black drone souterrain.
Lux vient donc enfin rompre le silence discographique dans lequel se muraient les Français depuis 2016 et Voix qui eut la lourde tâche de succéder au quintessentiel et pantagruélique Occult Rock dont il était l’exact contraire. De prime abord, cette nouvelle messe (noire) se rapproche davantage de son prédécesseur direct que du colossal pavé de 2012. Même format ramassé, même architecture articulée autour de six pistes nommées de manière bizarre, même épure visuelle (toujours), même prise de son dépouillée comme le fruit de jams infernales captées dans les entrailles de la terre. Mais après six ans d’abstinence, il était bien sûr permis d’espérer plus qu’une offrande longue de moins de quarante minutes, (relative) déception que confirme dans un premier temps une défloration vierge de surprises. Lux porte ainsi dans sa chair la marque aisément identifiable des Français qui cherchent inlassablement à dompter une énergie noire, créateurs d’un genre à lui tout seul que martèlent guitare ferrugineuse, basse tellurique et batterie métronomique.
Pourtant, comme souvent avec les grands disques, le successeur de Voix ne divulgue sa précieuse intimité que progressivement, par petites touches, une fois que son édifice apparaît dans son entièreté, obscure et menaçante. Car à l’instar de ses devanciers, il ne forme qu’un seul bloc aux limites opaques, aux parois floues, que découpent six parties qui s’enchaînent les unes aux autres, fusionnent en une danse macabre qui confine à la transe, évidées par des musiciens à l’unisson d’une puissance à la fois fiévreuse et rampante. Peu à peu, la magie (noire) opère et on finit par ne plus lâcher cette masse grouillante d’effluves corrosives qui nous happe à la manière d’un vortex béant troué dans une roche froide.
Plus que jamais, Aluk Todolo parvient à imprimer une force torrentielle qui emporte tout, hurlante et paroxysmique. Plus que jamais encore, il réussit à matérialiser les enfers dont il explore les cavités charbonneuses, les boyaux déglingués, en ouvrant les vannes d’une tension sourde qui vibre, ondule à la façon d’un ressac oppressant. Et plus que jamais enfin, il semble vain, tant les mots se fracassent sur une réalité insaisissable, de vouloir décrire avec précision chaque bout de cet album dont la construction et la progression brouillent de toutes façons les repères, les balises auxquels se raccrocher, œuvre grondante et lancinante, secouée dans ses arcanes par des éruptions de négativité, tricotant des instants chaotiques au bord de la rupture mais toujours irradiant une beauté reptilienne.
Il y a réellement quelque chose de diabolique dans cet album dont les émanations pétrifiées ne sont pas ans évoquer le King Crimson le plus halluciné. Culte comme il en existe peu, Aluk Todolo a enfanté un disque monstrueux qui loin d’être une redite de ses prédécesseurs, poursuit l’exploration sans fin d’un labyrinthe tentaculaire.