Aught / Void, 2022
(Black) Metal électronique, France
Album Tape
Nous avions laissé Feigur il y a maintenant une dizaine d'années en compagnie de Lustre. A l'époque, ce one-man band français s'accrochait à la chapelle black metal dans son expression dépressive voire atmosphérique. Un EP suivi d'un premier album avaient déjà esquissé peu avant un univers pourtant plus singulier qu'il n'y parait, enraciné dans cet humus noir et néanmoins contaminé par une étrangeté électronique et des touches parfois bizarres. Que Adrien Tibi, l'unique maître des lieux, ait participé il y a une éternité à Dementia Ad Vitam, groupe de musique martiale et neofolk, n'étonne en vérité pas tant que cela. Et moins encore à l'aune de ce nouvel opus que nous n'attendions plus et dont l'ancrage dans le black metal se révèle plus qu'incertain.
De l'art noir, ne subsistent que de pales et lointains oripeaux. Comme si Feigur avait enfin réussi la mue que les timides velléités expérimentales jonchant ses premiers pas annonçaient. De fait, il s'agit presque désormais d'un nouveau projet. D'un nouveau départ assurément, surtout après dix ans d'un silence propice à la réflexion, à la maturité. Le musicien n'est plus celui qui enfantait Pestilence (2008) et Desolation (2010). Les guitares ont été reléguées au second plan, de même que le chant masculin et la batterie, remplacés par un magma essentiellement instrumental grouillant d'effluves électroniques et d'une rythmique syncopée ('II Deuil de soi, deuil de l'autre : n°2, Ascension'). Quelques mélopées féminines traversent cette brume pluvieuse et nocturne ('I Déchirements : n°3, Immobilisme'), lesquelles participent de la dimension narrative d'un album aux allures de voyage, périple intime suivant une carte mentale tortueuse et mélancolique ('Deuil de soi, deuil de l'autre : n°1, sous le marbre' qu'égrènent notes squelettiques et nappes électroniques minimalistes).
III,Ascension n'est donc pas un disque de (black) metal à proprement dit car vidé des atours inhérents au genre, des balises obligées auxquelles il est rassurant de s'agripper. Feigur erre quelque part entre limbes industrielles et sonorités tour à tour agressives, polluées ou carrément hypnotiques. Rassemblés en trois parties, ces neufs pistes grondent d'une noirceur autoritaire ('Déchirements') avant de peu à peu s'engluer dans une tristesse toute aussi obscure mais plus fragile, plus éthérée ('Apaisements') quoique toujours rongées par un mal-être douloureux et des ambiances de désolation. Le travail en terme d'arrangements (piano, divers synthétiseurs...) et de progression impose une pénétration attentive et solitaire dans cette œuvre qui invite à l'introspection et brille de mille lueurs, désenchantée et contemplative, orageuse et contrite.
Feigur s'est métamorphosé mais son art n'en est que plus précieux et pas moins personnel. Faudra-t-il patienter dix années supplémentaires avant de pouvoir savourer la suite de son cheminement tant intérieur que musical ?