Osmose Productions, 2022
Black Metal, Ukraine
Album CD
Alors que son pays, l'Ukraine, subit depuis deux ans l'agression russe, Roman Saenko a pu malgré tout enrichir la discographie de Drudkh d'un nouvel album (All Belong To The Night) et enfanter le successeur du résurrectionnel Hour Of Centaur (2020) sous la bannière haineuse d'un Hate Forest qu'on croyait pourtant définitivement enterré. En fait, Innermost a été gravé en décembre 2021 soit quelques semaines avant l'invasion russe. Mais par sa force belliqueuse et sa radicalité autoritaire, ce sixième méfait longue durée aurait clairement pu être alimenté par la rage mêlée de désespoir que Saenko doit évidemment ressentir face à cette guerre, lui qui, professeur d'histoire, n'a jamais caché ses penchants nationalistes qui infusent depuis toujours son œuvre, à commencer par Drudkh dont All Belong The Night résonne des ténèbres qui se sont abattues sur la terre ukrainienne. Par sa brutalité glaciale et épidermique, Innermost prend lui aussi forcément une autre dimension à l'aune des événements actuels. S'il est toujours délicat de détacher un disque du contexte qui l'a vu naitre ou sortir au grand jour, il convient aussi de le replacer au sein de la carrière de son auteur.
Alors que Sorrow (2004) avait éteint sa fureur fielleuse d'une façon définitive le pensions-nous alors, Hate Forest s'est pourtant échappé de son caveau d'une manière aussi brutale que son art est abrupt. Hour Of The Centaur confirmait alors que Roman Saenko n'avait rien perdu de sa sève malfaisante, incarnation de la haine à l'état pur, toutefois légèrement adoucie par de parcimonieux atours plus atmosphériques. Si, contrairement à Drudkh, Hate Forest n'a jamais déçu, il était cependant légitime de se demander sur l'Ukrainien parviendrait à renouveler cette réussite. Autant l'annoncer de suite, Innermost ne déçoit évidemment pas, égalant sans peine son devancier.
En à peine plus de trois minutes au jus, 'Those Who Howl Inside The Snowstorm', balaie tel un fétu de paille cette vague inquiétude, crachant un véritable blizzard haineux qui emporte tout sur son sillage. Par sa violence froide et sévère, ce nouveau méfait noue même finalement plus de liens avec le quintessentiel Purity (2003), mètre-étalon du black metal le plus primaire. Seules quelques fugaces lueurs acoustiques (sur 'By Full Moon's Light Alone the Steppe Throne Can Be Seen' en autres) viennent briser cette crue torrentielle charriant une haine glaciale, puisée dans cette terre d'une rudesse ensanglantée que drape une nuit d'hiver sans fin.
Ni compromis ni influences extérieures, Innermost se dresse comme un bloc de matière brute, blockhaus tendu comme une verge turgescente éjaculant une semence nihiliste et incisive. Bouillonnant dans son âtre obscur d'une âpreté que rien ne peut stopper, cet album galope en moissonnant toute trace de vie et de lumière. Et lorsque Roman Saenko, unique maître à bord avec son chant d'une bestialité grumeleuse et ses riffs viciés, serre le frein à main, comme il le fait durant le terminal 'Solitude In Starry December' que lacèrent des guitares imbibées d'un inexorable désespoir, s'écoule alors de ces crevasses une mélancolie infinie, comme si le musicien anticipait les malheurs qui ne tarderaient pas à ravager son pays...