Spektr : Near Death Experience

La Near Death Experience, communément appelée « expérience aux frontières de la mort » dans la langue de Molière, reste à ce jour un des mystères scientifiques les plus opaques qui soit. Concernant les personnes sujettes à divers accidents graves, celles-ci ne se rencontrent qu'en un état de conscience au niveau zéro, voire de « mort cérébrale » (comme par exemple lors d'un coma ou d'une opération chirurgicale nécessitant une mise en pause momentanée des fonctions psychiques et intellectuelles). Dans la plupart des cas, les patients décrivent le phénomène comme un état de béatitude avancé, touchant plus ou moins au mysticisme, à l'exaltation des sens et à la spiritualité. En somme, un succinct abandon du corps pour une jouissance totale de l'esprit, un voyage transcendantal conduisant à une absolue élévation de l'âme. Il apparaît toutefois que 4% des cas se retrouvent confrontés à un phénomène inverse des NDE fréquemment rencontrées, se caractérisant alors par une chute inéluctable dans les méandres de l'inconscient, une longue et douloureuse descente aux Enfers.

\" Near Death Experience \", l'album, dévoile quant à lui dans le fin livret l'accompagnant quelques photographies destinées à guider l'auditeur dans sa tentative d'appréhender le concept musical entretenu sur celui-ci. L'unique cliché dont la matière se révèle discernable présente un long corridor obscur, une aveuglante lumière jaillissant de son extrémité. C'est le symbole de la NDE, telle qu'elle est décrite par la plupart des patients en ayant fait l'expérience. Une poignée d'autres visuels remplissent le maigre livret. S'il est assez malaisé d'y distinguer des contours précis, la dominance des couleurs noire et grise et les quelques formes peu rassurantes visibles en leur sein convainquent néanmoins d'une première chose : Spektr , s'il base logiquement le concept de son second album sur la fameuse NDE décrite plus haut, a finalement décidé de n'en retenir que les 4% qui se sont perdus dans le noir tunnel sans jamais en voir l'éclatante porte de sortie.

La NDE visitée par Spektr , c'est l'infinie détresse qui s'empare de l'esprit lors des instants les plus douloureux, la psychose que l'on ne parvient à réfréner quand la terreur devient insoutenable. Une vaine tentative de survivre à ses propres démons, la perte des sens dans un décor sinistre dont l'envers semble n'avoir jamais existé. Un des cauchemars les plus terrifiants qui soit.

Si Spektr n'a fondamentalement pas changé les ingrédients ayant fait de son précédent opus \" Et Fugit Interea Fugit Irreparabile Tempus \" une expérience musicale unique en son genre, le projet semble aujourd'hui se mouvoir avec plus d'aisance. Le duo, à présent conscient de son propre talent et de sa capacité à créer des atmosphères que peu de groupes parviennent à insuffler à leur musique, n'hésite plus à pousser son concept strictement musical dans ses derniers retranchements : \" Near Death Experience \" est un album déstructuré et perpétuellement instable, aux expérimentations prédominantes.
Les éléments propres au Dark Ambient et à la musique industrielle, déjà largement présents par le passé, sont désormais légion et s'immiscent de façon quasi-systématique dans les neuf titres composant l'album. De nombreux samples font leur apparition, parfois secondés de percussions froides et lointaines ou autres bruitages des plus troublants ; craquements, grésillements et autres perturbations sonores viennent aussi renforcer le malaise, brouillant inopinément toute perception du monde extérieur. Mais que les amateurs du premier album qui n'auraient pas encore posé l'oreille sur ce cadet se rassurent : Spektr progresse vers une abstraction plus forte mais n'a en rien perdu de vue son inspiration d'origine. Ses guitares acides à l'odieuse saturation sont plus torturées que jamais, et presque toujours secondées par les parties de batterie crues et foncièrement uniques de l'inventif Kolonel Krig (qui se fend parfois de rythmes atypiques et réellement surprenants, comme un jeu typiquement jazz sur l'angoissant \" Whatever The Case May Be... \"). Les vocaux n'ont quant à eux pas changé outre mesure, se limitant aux classiques hurlements Black Metal toutefois habilement saturés à l'aide de divers filtres.

Exit les plages sonores bien délimitées. \" Near Death Experience \" forme un ensemble homogène et cohérent destiné à être avalé d'une traite et aux chansons s'imbriquant logiquement les unes dans les autres. La cohésion du disque n'a finalement pour seul défaut que d'instaurer un climat certes horriblement pesant sur toute la longueur de l'album, mais sans doute trop uniforme pour réellement submerger son auditeur comme pouvait le faire \" Et Fugit Interea Fugit Irreparabile Tempus \" avec ses soudaines et intenses poussées de démence, ici presque inexistantes. Qu'à cela ne tienne, \" Near Death Experience \" dispose d'atouts conséquents et devrait se trouver une place de choix dans la discothèque des amateurs de musiques « sombres et expérimentales » en tous genres. Car s'il y a un talent que l'on peut objectivement reconnaître à Spektr , c'est bien celui d'être un groupe dont le caractère ne laisse pas indifférent.

Krieg - 8/10