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Ende

Black Metal, France

21/04/2017

I. Luciferia et Thomas Njodr ont bien voulu répondre à nos questions, suite à l'accouchement du ténébreux Emën Etan.

 

1. J'ai vu le groupe sur scène en mai dernier avec Malcuidant. Avec le recul, que pensez-vous de ce concert ?

I.L : C’était une bonne date, le public parisien s’est montré présent.

T.Njodr : Ça a effectivement été une bonne date et un plaisir de partager la scène avec Malcuidant.

2. Trois musiciens complètent votre duo sur scène. A-t-il été question qu'ils rejoignent Ende à temps plein ? Ou souhaitez-vous au contraire rester sous la forme d'une hydre à deux têtes ? Si oui, pour quelles raisons ?

I.L : J’ai commencé à jouer de la musique seul et sans le vouloir, ça a façonné ma manière de composer et de jouer. Incorporer d’autres musiciens à temps plein signifierait trop de contraintes et de concessions.

Travailler en duo avec un batteur est une approche différente, le travail rythmique est sur un autre plan musical, un plan où je ne me sens pas étouffé en voyant des choses dont je n’ai pas envie m’être imposée.

T.Njodr : Plus il y a d’acteurs et plus le chemin défini au départ peu dévier… Nous avons une certaine osmose et une façon de travailler qui nous convient tel quel.

3. Si T.Njodr venait rompre votre tandem, poursuivrais-tu cette aventure ?

I.L : Je ne sais pas, tout dépendrait des raisons à vrai dire. Ende est un duo qui fonctionne bien et T.Njodr participe à la signature musicale de Ende par son style de jeu.

Avant d’envisager un tel cas de figure, je crois sincèrement que nous avons encore beaucoup de choses à réaliser. Beaucoup de projets sont en cours et ils risquent de nous occuper un bon moment.

T.Njodr : Je vous rassure, ce n’est pas prévu !

4. Les choses semblent s'accélérer pour le groupe depuis trois ans avec une présence discographique affirmée. Vous avez notamment partagé un split avec Sorcier des Glaces. Comment est née cette association ?

I.L : Nous envisagions un split album depuis un moment, nous avons alors enregistré des titres supplémentaires lors des sessions de « The rebirth of I ». SDG est un groupe que nous aimons vraiment et avec qui nous nous entendons bien, nous leurs avons soumis alors l’idée, à laquelle ils se sont montrés très enthousiastes.

Les deux groupes se complètent bien, l’ensemble est cohérent et comme nous sommes sur le même label, ça nous a facilité la tâche pour mettre le projet sur pied. L’échange et la réalisation sont restés en interne aux groupes, j’ai réalisé l’artwork et chanté sur le titre éponyme « Le puits des morts » interprété par SDG. C’était vraiment l’idée que j’avais d’un split, un travail commun et pas juste des titres de « B sides » réunis.

L’exercice du split n’est pas toujours évident et il est parfois difficile de saisir où les groupes veulent en venir, nous ne voulions pas tomber dans ce schéma. En ce sens, nous avons refusé une proposition récemment. Nous referons surement un split un jour mais toujours avec l’optique de délivrer un objet cohérent.

5. Peut-on dire que Ende est devenu ton projet principal désormais ? Correspond-il, mieux que Reverence, à ton état d'esprit d'aujourd'hui et à ce que tu cherches à exprimer ?

I.L : Je n’ai pas de projet principal, les deux formations sont très différentes et expriment des choses fortes pour moi. Reverence est une sorte d’enfant maudit à l’histoire un peu étrange mais il lui reste un dernier souffle à donner. J’ai travaillé sur le nouvel album durant 4 ans et sa composition est maintenant achevée, nous devons bientôt nous organiser pour l’enregistrer. Il s’agira du dernier album.

Quant à Ende, c’est une façon de communier à nouveau avec ce qui m’a bercé il y a près de 20 ans, c’est un projet qui est symbolique et qui dispose d’une Aura particulière.

6. Votre actualité est votre troisième LP, Emën Etan. Il semble vous être cher. Est-il une manière d'aboutissement pour vous ?

IL : Tu sais, je n’ai pas de recherche d’aboutissement, aboutir à quoi ? Les choses peuvent toujours être abordées différemment, poussées plus loin. Lorsqu’un sujet commence à tourner en rond, ce n’est pas que le concept est arrivé au bout de ses possibilités, c’est juste que celui qui le créer touche à ses limites personnelles. C’est une nuance qui est souvent occultée, il est plus facile de dire qu’un sujet est épuisé plutôt que d’avouer le fait de ne pas arriver à se renouveler. L’imagination est sans limite mais pas les capacités à l’utiliser.

« Emën Etan » représente un univers à part entière et je crois qu’il restera une pièce maitresse du groupe.

T.Njodr : Il est difficile mais important pour un groupe d’éviter de se répéter tout en conservant la griffe qui fait son identité. « The rebirth of I » avait une ambiance froide, « Emën Etan » offre une atmosphère plus contrastée tout en conservant ce qui fait de Ende ce qu’il est, nous sommes fiers de ce pas que nous avons franchi.

7. Je trouve cet opus mieux construit encore que ses aînés, ses chapitres s'emboitant parfaitement les uns aux autres...

I.L : Certaines choses deviennent limpides à force de les appliquer, il y a aussi des évidences. L’ordre des titres est le même que dans lequel ils ont été composé, cela créé une cohérence, les interludes permettent aussi de creuser les ambiances qui se déroulent sur toute la longueur de l’album en plantant le décor en amont de chaque titre.

8. Les compos sont bien écrites également, parfait équilibre entre brutalité froide et atmosphères lugubres...

I.L : Quand tu te plonges dans un univers, que tu le vis, il devient plus facile de le lire et de le retranscrire, de traduire avec de la musique ou des visuels la complexité d’un ressenti primaire et intérieur. C’est en quelque sorte personnifier une vision qui peut ne pas être toujours expliquée avec des mots.

T.Njodr : J’ai travaillé et varié mon jeu de batterie afin de proposer des choses différentes tout en gardant les rythmiques phares et propre à Ende. En ce sens le prochain album (sur lequel nous travaillons) portera d’autres éléments qui contribueront à son identité.

9. L'album se vit comme un récit. Quel est son concept ?

I.L : « Emën Etan » (plusieurs orthographes existent) prend sa source dans l’argot utilisé par les sorcier(e)s dans la vieille Europe, il signifie « Ici et là ». Ces mots étaient prononcés par les sorcières après s’être enduit le corps d’onguent pour être transporté sur le lieu du Sabbat.

Les procès regorgent d’une inventivité remarquable et sous la torture, n’importe qui avouait n’importe quoi. Tout était bon pour condamner ou faire condamner quelqu’un. Il est parfois difficile de faire la part des choses entre mensonges, réalité et interprétation/traduction.

L’église avait savamment tout mélangé, et classifié tout ce qui ne lui allait pas comme une adoration évidente du Diable, c’était simple, rapide et pas de questions. Ce qui était vu comme de la sorcellerie était bien souvent la pratique d’anciens cultes, de la médecine, ceux qui vivaient en marge de la société ou du culte chrétien, les ermites, les veufs/veuves, les malades… Tous étaient condamnables. Le Diable était (et l’est toujours) un fonds de commerce juteux et sa création a permis de fédérer tout un tas de choses sous une même coupe, de fusionner tout ce qui ne rentrait pas dans une logique souhaitée en une forme unique, simple et imaginable, le Diable.

La sorcellerie a existé et existe encore mais en rien sous la forme que l’église lui a concédée. Ce qui en a découlé après n’est qu’une mise en scène un peu tordu pour assouvir une forme de rébellion, des fantasmes interdits et de blasphèmes, c’était devenu une chose canalisatrice et exutoire, une sorte de lubie excentrique de certaines classes sociales. La sorcellerie, la vraie, va bien au-delà d’une simple mise en scène maladroite de néophytes.

L’ensemble de l’album aborde la sorcellerie de plusieurs façons, aussi bien historique que fantasmé.

En quelques exemples, le titre « Camerula » tient son nom d’une chambre de condamnation. Un « camerula » était une petite loge de pierre isolée où les accusés de sorcellerie étaient emmurés et mourraient. C’était une tombe à la verticale, ni plus ni moins.

D’autres titres (Cylenchar, The witch’s fire…) abordent la renaissance de la sorcellerie, de l’individualisme.

L’occultisme a façonné l’Homme et inversement depuis la nuit des temps mais c’est une chose que l’on vit seul. L’isolement est perçu comme une chose négative par la collectivité, peut-être parce qu’il permet de s’accomplir et de se construire, l’individu seul fait peur.

Si les choses sont acceptées elles deviennent une force, les refouler n’engendre parfois qu’un mal-être aussi démesuré qu’irréversible.

La pochette est en rapport direct avec le sujet. Le corbeau représente la sorcellerie et la croix, naturellement, le christianisme. Le fait que le corbeau soit posé sur cette croix symbolise que malgré les persécutions, le monde de l’ombre est toujours présent, fort.

10. Sa conception diffère-t-elle de celle de ses prédécesseurs ?

IL : « Emën Etan » a été écrits à la suite de son prédécesseur, nous l’avons aussi travaillé et enregistré de la même manière. C’est une formule qui nous va bien, nous pouvons travailler dans le temps, essayer de nouvelles choses, improviser, c’est là tout l’avantage de travailler en autonomie.

11. Je trouve que l'album restitue avec beaucoup de justesse cette ambiance médiévale au bord de l'apocalypse...

I.L : Ton sentiment est juste puisque lors de l’écriture, j’étais obnubilé par cette vision moyenâgeuse au bord du gouffre. La religion et l’hystérie battaient leurs plein et l’incompréhension était le centre de tous les conflits et de toutes les interrogations. Il faut cependant relativiser les évènements, lorsque tu travailles sur ce sujet tu as un condensé foudroyant sous les yeux alors qu’en réalité les choses se sont étalées sur plusieurs siècles.

12. Un mot sur la cover de Vlad Tepes et la participation de Wlad ? Je trouve d'ailleurs que cette reprise s'intègre parfaitement à l'ensemble comme si elle en était une excroissance.

I.L : Wlad est une des rares personnes avec qui nous sommes en contact. Une fois en soirée, je lui ai dit que nous aimerions reprendre un titre de VT et qu’il y participe, qu’il fasse un guest sur sa propre chanson, c’était d’une certaine façon l’occasion de ressusciter Vlad Tepes le temps d’un titre. L’idée lui a plu et nous avons concrétisé ça quelques mois plus tard.

T.Njodr : C’était aussi l’occasion de rendre un hommage à ce projet avec lequel il a marqué l’histoire du Black Metal français.

13. Le black metal se définit, notamment, par sa haine du christianisme. Mais cette religion n'exerce-t-elle pas aussi une forme de fascination pour ceux qui la combattent ?

I.L : Le Black Metal n’est pas qu’une simple haine de la religion mais un rejet total de l’Homme avec tous ses préceptes, sans revendications particulières. Il n’a jamais été question de remplacer une chose par une autre. L’imagerie du Black Metal détourne en majorité celle de l’église mais étant né en Europe, il est logique que l’unes des premières cibles soit la chrétienté puisque son institution ici est massive.

Les religions et les sociétés ont créés une vision simpliste du bon et du mauvais, ce qui ne rentre pas dans « le bon côté » selon leurs critères est une chose à exploiter puis, une fois fait, à éliminer ou à remplacer. C’est une façon de faire le tri de ce qu’elles veulent ou pas en récupérant au passage ce qu’il y a à récupérer : épurer et prospérer. Il n’y a rien à espérer de systèmes aussi puant.

Le monothéisme a déjà amené avec lui ce genre de pratique, le Diable n’a-t-il pas été un « objet d’utilité théocratique » pour récupérer les biens des gens qui étaient condamnés par la religion? Le Diable et la marginalité ont toujours étés un fonds de commerce juteux et a permis de justifier l’injustifiable durant des siècles. Des « adorateurs de démon » ou « sous l’emprise de » pour l’église, des « marginaux » pour la société, l’important est d’évincer ce qui ne convient pas.

14. Que vous inspire le retour du fait religieux dans nos sociétés ?

I.L : pas grand-chose… La religion fait un retour de façon officielle, a toujours été présente de façon officieuse. C’est un cheval de Troie, tout est cyclique et d’une certaine façon l’histoire en est même déjà écrite.

T.Njodr : Il ne s’agit pas d’un retour, mais juste d’une plus grande médiatisation. La religion a toujours été présente et le sera toujours. Elle a éternellement engendré de l’argent et du pouvoir par des conflits.

15. Ressens-tu une forme de nostalgie pour les années 90, époque où tu découvrais le Black Metal ?

I.L : Le Black Metal a toujours eu ce côté sur-joué et dangereux simultanément et ne pas en connaitre la frontière nourrissait sans vraiment le savoir quelque chose de fort, c’était au final très intense, excitant. De là, une idolâtrie naissait pour l’univers décomplexé qu’offrait le Black Metal, il symbolisait la possibilité d’assumer et d’affuter sa noirceur, sa haine et son imagination, de se provoquer soi-même. Les choses étaient parfois maladroites mais elles étaient sincères, il n’y avait pas de limites à ce qui pouvait être fait ou dit.

Cela drainait une énergie macabre et une forme de spiritualité qui était palpable, c’est d’ailleurs ce qui en a fait un style hors norme, loin des clichés du Heavy Metal ou du Death Metal de l’époque. Un public s’y reconnaissait et une sorte d’élitisme s’est créé tout autour, un élitisme qui n’avait rien à voir avec celui que tu peux trouver aujourd’hui. C’était au final un microcosme qui se nourrissait de lui-même, perdu au milieu d’une société qui lui était complétement étrangère, qui n’inspirait que du dégout pour le peu qu’il pouvait y regarder.

Internet a modifié le visage du Black Metal avec une fausse proximité. Le genre a été démystifié et mit en pleine lumière, mit à échelle humaine, un peu comme si un journal intime avait été publié, la magie et le secret disparaitraient. L’intimité du style est devenue grand public, très terre-à-terre, c’est à l’opposé de ce que devrait être le Black Metal, une musique individuelle, introspective, spirituelle.

Je crois cependant que les groupes comme le public, les labels et les autres acteurs de la scène ont tous leurs parts de responsabilités dans cette chute. Ils se sont enflammés à vouloir trop en faire, en rentrant en compétition, ce qui a créé une lassitude et une banalisation, détruisant cet aspect unique, personnel et imprenable que suggérait le Black Metal.

Cela a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffré des gens qui n’avaient rien à y faire. Dès lors, tout a changé.

16. C'est une scène que tu connais bien. A-t-on avis qu'est-ce qui distinguaient les Légions noires du reste de cette chapelle impie ?

I.L : Il en résulte toujours la même noirceur et la même authenticité. Il n’y avait rien pour plaire, c’était spontané, confidentielle et élitiste. C’était juste une poignée de types qui ont fait une musique sale et chargée. Ça réunissait tout ce que devait être le Black Metal, sale, violent, malsain, impulsif. Les LLN n’ont pas vécu sur la longueur mais les choses étaient si intenses qu’elles résonnent encore aujourd’hui.

17. De nouvelles dates de concert sont programmées. D'abord exceptionnelles, ces cérémonies semblent bien rôdées maintenant. Ende est-il devenu un vrai groupe de scène ? Est-ce que ce sont les mêmes musiciens qui vont vous accompagner ?

IL : Les choses se sont faites simplement, nous avions déjà tous une bonne expérience du live et la setlist a été réfléchie en conséquence.

Ce sont toujours les mêmes musiciens qui nous accompagneront, l’équipe que nous avons formée tourne bien et mis à part pour des obligations d’ordre privée, nous resterons avec ce même line-up live.

T.Njodr : Ils ne sont pas que des musiciens de session, ce sont avant tout des proches. Tant que chacun restera disponible et impliqué dans le projet que nous menons il n’y aura pas de raison à ce que ce line-up change.

18. Si tu regardes l'ensemble de ta carrière, de quoi es-tu le plus fier ?

I.L : D’avoir exploré différents chemins, Reverence, Osculum Infame et aujourd’hui Ende, ils sont tous une part de ce que je suis. Idem pour les projets auxquels j’ai pu participer de près ou de loin, j’y ai toujours mis la même énergie et la même sincérité.

19. A contrario, voudrais-tu changer quelque chose ?

I.L : Oui et non. Oui car il y a des choses que j’aurai aimé différentes, non parce que sans ces erreurs et précipitations, je n’en serais peut-être pas là aujourd’hui.

Avec les années j’ai appris à anticiper et relativiser les évènements, à me concentrer sur ce que je fais. Après tout, les choses n’ont que l’importance que nous leurs accordons.

Childeric Thor