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Rosa Crvx + N.K.R.T.

05/02/2022

La Tannerie, Bourg-en-Bresse

Initialement programmé il y a deux ans, le concert associant Rosa Crvx et N.K.R.T. s'est (enfin) tenu samedi 5 février. Après de trop longs mois de disette, restrictions covidesques oblige, le public s'est logiquement rendu à cette cérémonie placée sous le signe des arts sombres. Face à un auditoire ceint d'un calme religieux, la messe est entamée par N.K.R.T., projet solitaire de Frater Stéphane qui, depuis toujours, ne cesse de nous surprendre au point de ne jamais savoir à l'avance ce qu'il va nous offrir.

 

 

Après des débuts sous le sceau du black metal avec Hyadningar, Mythrim puis Sordide (entre beaucoup d'autres) sous le sobriquet de Nekurat, il s'oriente parallèlement vers une expression plus rituelle aux confins de la musique martiale (Vichy), drone (Mhönos) ou mystique avec N.K.R.T. donc. La dernière fois que nous avions assisté à l'un de ses offices, il intercédait entre les hommes et les esprits, silhouette encapuchonnée grignotée par l'obscurité, psalmodiant des incantations ténébreuses en utilisant des os comme percussions. Rien de tout cela cette fois-ci puisqu'il siège assis, le visage découvert, un rebec à la main sur fond de symboles chrétiens (bannière à l'effigie du Christ) et royaux (drapeau orné de fleurs de lys).

 

 

Si l'usage de cet instrument à trois cordes du Moyen-Âge joué avec un archet nous plonge dans une ambiance dark folk quasi chamanique, les litanies récitées par Frater Stéphane drape le concert d'un suaire sacré, piochant tour à tour dans les Mystères du rosaire ('O Vos Omnes Qui Transitis'), les minutes du procès de Jeanne d'Arc ('Johanna puellam filliam Dei') ou l'Evangile de Saint Matthieu ('Mantthaeus XXIV:XV'). Plus que jamais, son art aux accents liturgiques s'enracine dans la ville de Rouen et à travers elle, l'histoire de la Pucelle qui lui sont si chères alors qu'au détour de ces récitations, des effluves drone s'exhalent, embrumant la cène d'émanations inquiétantes et hypnotiques. Artiste aussi humble que passionné, Stéphane a su envoûter et toucher un public qui ne connaissait pas (ou peu) son travail.  

 

 

Fortement attendu, Rosa Crvx investit ensuite la scène. Seuls membres historiques, le guitariste Olivier Tarabo se dresse au centre derrière le micro et Claude Feeny se positionne de dos, entre piano et carillon. Stéphane Gouby les accompagne depuis cinq ans, assurant basse et contrebasse tandis que Camille Cauvin oscille entre performances scéniques (la danse de la terre) et musicales (avec sa cornemuse). Sans oublier, ces squelettes programmés pour marteler les percussions. Les cierges sont allumés, le concert peut démarrer et rien ne viendra en briser la magie (noire) pas même les caprices d'un ordinateur facétieux.

 

 

Fidèle à sa réputation qui l'a imposé depuis les années 80 comme une des figures majeures de la chapelle gothique, le groupe boulonne un spectacle autant sonore que visuel et sensitif, transportant sur ses ailes fragiles de géant une assistance fascinée et comblée. Tapissant le fond de la scène, des vidéos défilent, parfois inquiétantes, toujours étranges. En une transe exaltée, possédée même, Camille effectue la fameuse danse de la terre, le corps enduit d'une couche ocre, les lumières couvrant sa nudité. Et quand résonne le souterrain 'Terribilis' qui voit Claude malmener ses impressionnants carillons qui érigent un colossal mur de cloches, beauté et puissance se conjuguent, secouant les entrailles de la Tannerie transformée l'instant d'une soirée en autel d'une cérémonie rituelle.

 

 

Les litanies en latin déclamées par Olivier, d'une dureté mélancolique, noircissent des plaintes extraites de trois albums du groupe. 'Summunt Mali', 'Vielles', 'Adorasti', 'In Tenebris', 'Terribilis', 'Sacrum', 'Proficere', 'Sursum Corda', 'Nescit Nox', 'Qui Non Cessant', 'Incorrupti', 'Hel Hel', 'Omnes Qui Descendit', 'Aglon', 'Eli Elo', 'Incendere', 'Tonitrui' et 'Vil' défilent dans une lourde atmosphère de liturgie ténébreuse. Aucun rappel n'est interprété mais le concert se suffit de toute façon à lui-même. 

 

 

Alain Forest (photos + texte), Childéric Thor (texte)