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Moonreich : Fugue

Les Acteurs de l'Ombre Productions, 2018

Black Metal, France

Album Digibook et Vinyl 12"

2018 est une année qui semble florissante pour la musique. Les amateurs de black metal ont eu de quoi se mettre sous les oreilles avec Watain et un tas d’autres formations connues dans le milieu. De nombreuses sorties sont à venir d’ailleurs. Mais qu’en est-il de la scène française ? Nous avons déjà parlé d’Aorlhac dans une chronique précédente. Il est temps maintenant de parler d’un autre groupe de black metal français, une nouvelle fois signé chez Les Acteurs de l’Ombre Productions : Moonreich.

Moonreich avait déjà fortement marqué les esprits en 2015 avec l’album Pillars Of Detest. Un album qui confirmait déjà la prise en ampleur de la formation en termes d’identité musicale, une identité forte que dégageait ce 3ème album studio. Aujourd'hui voyons ce qu'il en est avec leur dernier album, Fugue, sortit ce mois de juin 2018.

Déjà pourquoi ce nom ? Fugue… Pour y trouver un sens il faut se pencher certainement sur le domaine de la psychiatrie. C’est alors qu’on trouve un terme qui nous intéresse, la « fugue dissociative ». Une fugue dissociative est une amnésie concernant l’identité personnelle, entraînant l'adoption d'une nouvelle identité. Est-ce là un message de Weddir quant à l’identité de Moonreich ? Nous y reviendrons plus tard dans la chronique.

L’album démarre avec une Fugue donc, en deux parties. La première, Every Time She Passes Away, commence tel un éveil sur quelques notes lointaines de guitare. Puis d’un coup, on se retrouve prit à la gorge. Tout nous tombe dessus, que ce soit le riffing tremolo bourré d’énergie ou la batterie qui part sur un blast beat ultra brutal, tout est bon pour nous plonger dans un univers déjà connu du groupe, on retrouve l’identité forte que Moonreich s’est forgé jusqu'ici. Le chant apparaît alors. Un chant écorché et plein d’émotions qui rappelle, dans les intentions et la saleté, celui de Mortuus de Marduk. Puis arrive ce qui est et restera en raccord avec l’ensemble des compositions, mais en détonation avec le reste de la discographie de Moonreich : un passage bien plus atmosphérique qui parsème de semi-clarté l’ensemble ultra violent de la compo. Dans ces passages atmosphériques on retrouvera par la suite des lignes de basse mélodique comme sur Fugue part 1 Every Time She Passes Away, ou encore un moyen de mettre en avant de l’ultra violence ainsi que des envolées lyriques à la guitare comme sur Carry That Drought Cause I Have No Arms Anymore. Ces passages apportent une complexification dans la composition, comme un moyen de faire peau neuve et de laisser entrevoir une nouvelle identité, car au fond que se soit voulu ou non, ainsi fonctionnent les fugues dissociatives...

Étoffons un peu cette analyse...

Concernant la batterie, il est important de souligner que le batteur possède une frappe précise, brutale, parfois martiale comme sur With Open Throat for Way Too Long où on enchaîne des moments nous laissant en suspens dans le vide avec des blasts ultra violents à la Tiger I de Marduk. Et cette perfection se retrouve tout au long de l’album. Ainsi, on est face à une maîtrise de l'instrument incroyable du batteur, capable d’enchaîner et de contrôler ses blasts pour évoquer des tirs de semi-automatique comme sur Fugue part 2 Every Time the Earth Slips Away. Le mixage a su également mettre la batterie en avant, avec une pédale de grosse caisse agressive et imposante. Franchement, rien n’est à redire ! Il ne reste qu’à profiter et, pour peu qu’on soit un minimum musicien, en prendre plein la tête. Car même si les guitares jouent un rôle essentiel dans les compos, la batterie n’est pas là une manière d’exprimer un rythme, mais bel et bien un moyen de soutenir les riffs pour nous prendre à la gorge comme sur Heart Symbolism ou nous faire bouger la tête comme sur la deuxième partie de Rarefaction.

Les lignes de guitares sont tout aussi travaillées. Techniquement on peut retrouver du tremolo propre au black metal, mais aussi quelques riffs post-hardcore en parfaite adéquation avec la construction progressive des morceaux le tout emprunt d'une rage certaine.
Sur Fugue pt2 Every Time the Earth Slips Away, on peut y observer une excellente montée en puissance avec des guitares souvent doublées, et plus généralement emprunte d’une énergie monstrueuse présente sur Heart Symbolism par exemple.
Les lignes mélodiques se veulent quant à elles entêtantes, générant des atmosphères parfois malsaines comme sur With Open Throat for Way Too Long, proposant de belles envolées lyriques comme sur la deuxième partie de Rarefaction, ou encore plonger l’auditeur dans un univers un peu plus expérimental et atmosphérique comme sur The Things Behind The Moon. Ce titre jouit d’ailleurs d’une montée en puissance spectaculaire sur la fin ce qui vient conclure en apothéose le morceau, et aussi l’album.

Qu’en est-il des vocaux ? La comparaison avec Mortuus de Marduk tient-elle la route ? Déjà, on soulignera le fait que ce chant soit fort écorché, dans l’esprit du black metal des origines, c’est un chant ultra violent qui nous berce tout le long de ces morceaux. Même si il se suffit à lui-même, il y a quelques doublages des vocaux comme sur With Open Throat for Way Too Long, venant renforcer le sentiment de haine et de violence pure sur certains mots, " réfute ", " refuse ". Énoncé de manière souvent torturée, il peut être aussi rapide comme sur Heart Symbolism qui dans la diction nous rappellera à certains moments des passages de Marduk.

Quant à la basse, elle connaîtra ses moments de gloire dans des passages plus atmosphériques comme sur Fugue part 1 Every Time She Passes Away. Elle aide également à poser une ambiance lourde comme sur la partie 2 de Fugue, et surtout elle bénéficie d’un mixage qui la met en avant quand il le faut. Elle est tout autant rythmique que mélodique et pour en avoir une preuve il suffit d’écouter Carry That Drought Cause I Have No Arms Anymore.

Avec Fugue, Moonreich signe un album complexe et prenant. Ils montrent une fois de plus qu’ils excellent dans leur art et à ce jour, cet album est le plus marquant de leur discographie. Reste cependant la place de la fugue dissociative dont on parlait plus haut. Ici, elle peut être associée aux passages atmosphériques qui n'étaient pas sur les albums précédents de la formation. Le dernier titre, The Things Behind the Moon, se veut d’ailleurs centré sur ce côté atmosphérique développé dans l’album laissant entrevoir une nouvelle identité musicale pour le groupe. Reste à savoir si cette remise en question identitaire évoluera, ou perdurera dans le temps.

Vlad - 9,5/10