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Laibach

Laibach - Usine Genève, 23 mai 2008

23/05/2008

L'usine, Genève

Bien des questions se posaient sur ce mystérieux passage de Laibach à Genève. En effet, le groupe était récemment passé en Suisse, plus précisément le 29 mars à Bulle (bouclant ainsi la boucle, puisque étant passé à Fribourg un an avant), et venait d'achever sa très longue tournée mondiale pour l'album Volk quand cette date organisée par PTR (qui fête ses 25 ans d'existence, et qui avait fait passé Laibach à l'Usine en 2003) a été annoncée. Quelques semaines avant le concert, PTR a éclairci le mystère : il ne s'agissait pas d'une performance de Laibach mais de leur side-project Kunst Der Fuge. C'est en fait une mini tournée européenne de cinq dates qu'a entrepris ce nouveau projet musical du NSK pour promouvoir l'album qui vient de sortir. Derrière ce mystérieux patronyme, se cache un projet ambitieux de certains membres de Laibach puisqu'il s'agit d'une reprise laibachienne de " l'art de la fugue " du compositeur Jean Sebastien Bach. En fait, le matériel a été composé en 2006 et a donné lieu à une première représentation cette même année au Wave Gotik Treffen de Leipzig. On connaît le goût de Laibach pour les reprises. Notamment pour les grand hit pop rock que Laibach a militarisé, comme le hit Life is Life, allant même jusqu'à faire tout un album de reprises pour la chanson Sympathy for the devil des Rolling Stones ou même à reprendre intégralement l'album Let It Be des Beatles. Dernièrement avec Volk , c'est le processus inverse qui a guidé le groupe vraisemblablement en reprenant les hymnes nationaux pour leur donner une couleur pop. Mais jamais Laibach ne s'était attaqué à du classique, même si bien sûr de nombreux albums de leur discographie sont symphoniques et qu'ils sont les précurseurs incontestables de l'indus martial symphonique. Justement, le groupe étant passé par tant de styles, le suspense restait entier (sauf pour ceux qui ont cherché sur leur site, car la sortie de l'album était en fait annoncée...). Et il est tout à l'honneur de Laibach de ne pas se reposer sur ses lauriers.

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Je songeais peut-être à quelque chose de similaire à l'excellent Krst Pod Triglavom-Baptism qui avait donné lieu à des représentations grandiloquentes très théâtrales. Le doute resta entier jusqu'à la fin. Ambiance très différente ce soir à l'Usine, avec en lieu et place du public, des tables et des chaises disposées comme pour un spectacle dans un cadre conviviale et intimiste. Les deux piliers à projecteur de la tournée de Laibach sont bien là, avec les écrans, ainsi que plusieurs ordinateurs. Puis le groupe monte sur scène, on reconnaît bien quelques têtes. Mais ce soir Laibach n'est pas au complet. On reconnaît Mina Spiler, l'un des fondateurs et certains membres de Silence. Le charismatique frontman Milan Fras ne fait pas partie du projet. D'ailleurs, pas de voix dans ce nouveau projet. De même, les incontournables majorettes de Make Up 2, qui ont intégrées Laibach avec Wat et qui sont devenues partie intégrante des shows de Laibach ne sont pas de du projet non plus. Il s'agit d'un projet purement instrumental et purement électronique, les cinq membres étant assis en face d'ordinateurs et de machines, et ils ne quitteront pas leur place ni leurs fonctions durant toute la prestation d'une bonne heure. On retrouve dans une toute autre configuration l'aspect totalitaire cher à Laibach, avec une disposition et une représentation froide, qui pourrait faire songer à des bureaucrates sérieusement attelés à leur tâche plutôt qu'à des artistes (le statut de l'artiste ayant succéder à l'artisan, sera-t-il remplacé par celui du bureaucrate ?!?). Ambiance totalitaire, même kafkaienne, déshumanisée où tout est contrôlé par l'homme au moyen de ses machines, où l'homme s'exprime par ses machines, ou plutôt ambiance tour de contrôle, avec le casque aux oreilles et les différents contrôles et traitements du son. Au centre, se trouve un percussionniste qui bat la mesure sans frénésie et qui à la façon de manier sa baguette fait penser à un chef d'orchestre.

La démarche de Laibach est très simple et explicitée sur le site du groupe. D'une part, pour L'art de la fugue, Bach n'a pas assigné d'instrument précis à ses compositions qui peuvent être aussi bien jouées par des synthés, du violon, un quartet de saxophone, un orchestre. Il n'y a pas d'indication quant aux instruments. D'autre part, L'art de la fugue serait conçu comme un exercice intellectuel et serait basé sur des algorithmes mathématiques. Laibach a donc choisi de prendre comme instrument des ordinateurs et des programmes, voulant montrer que Bach serait le pionnier de l'électronique. Par électro, il ne faut pas comprendre de la musique dansante avec des boum boum, absolument pas, il n'y aucun aspect Ebm ou d'échos d'un Wat ou encore (en moins inspiré) d'un Kapital . Il faut bien plutôt comprendre musique concrète, un travail scientifique sur le son à l'aide d'ordinateur dans une recherche de musicalité, une symphonie électronique car c'est bien de ça dont il s'agit.

L'ensemble se révèle intéressant mais il faut reconnaître une certaine monotonie. Le résultat n'a pas la même emphase que la musique classique avec ses accents tragiques qui ici ne transparaissent absolument pas. Ici, il n'est d'ailleurs pas question d'exprimer le pathos ou une exaltation de sentiments. Ce n'est pas tant une musique qui parle aux sens que ce soit dans l'émotion, le ressenti qui arrachent des frissons, ou l'envie de danser qui traverse les corps, ce n'est pas tant le domaine sensible et le trouble émotionnel qui lui associé qui est recherché. Il s'agit d'une musique posée qui a un côté ambiant au sens musique d'ambiance car on n'est pas non plus dans quelque chose d'évasif et encore moins d'inhibant. Comme je le disais, il y a un côté totalitaire dans son émanation, provoqué aussi bien par le visuel que par les sonorités, par l'ensemble (c'est tout l'intérêt d'un concert, d'arriver à créer quelque chose par l'association de la musique au visuel). Par contre, il n'y a pas de sonorité militariste, ni même d'évocation militariste dans les vidéos projetées qui sont plutôt abstraites (des ondes). Et c'est d'ailleurs tout l'art de Laibach de toujours arriver à créer ce climat totalitaire dans tout ce qu'il entreprend. Une prestation intéressante mais sobre et monotone, qui ne plaira surement pas à ceux à la recherche d'un esthétisme tape à l'oeil ou d'excentricité (certains adeptes récents ont enfin dépassé la première étape, celle du rejet, de la chasse au sorcière et des anathèmes " fachos ! " se focalisant par-contre sur ce deuxième écueil) mais qui manque d'un petit quelque chose pour être vraiment prenant.

www.laibach.org/discography/laibachkunstderfuge

Adnauseam (Article) / Cyril (photos)