19/01/2008
Mjc Picaud, Cannes
Une performance de l'un des groupes du label Cold Meat Industry est toujours en soi un événement puisqu'il s'agit toujours d'apparitions sporadiques lors de festivals, bien que ceux-ci soient plus présents sur scène depuis quelques années (un DVD du festival Cold Meat Industry en Australie vient de sortir). Ils ont trouvé une façon de rendre leur musique sur scène, chacun à leur façon, s'agissant pour la plupart de groupes ambient et industriel très imposant sur cd mais qui se trouvent un peu démunis derrière leur ordinateur sur scène. Cette unique date française du projet suédois RAISON D'ETRE, l'une des plus vieilles formations de cold meat et de dark ambient, s'imposait comme un événement incontournable, son unique membre n'étant venu que très rarement en France. Ce fût avec une certaine surprise que j'appris ce passage de RAISON D'ETRE à Cannes, aux antipodes donc de l'imagerie froide et sacrée du projet ; ambiance cocotier et showbiz garantie... Quoiqu'il en soit ce trajet de 5h de route s'imposait donc ! Mais pourquoi donc RAISON D'ETRE à Cannes ?!? Et bien ce festival Industrial est organisé par M-Tronic depuis 1997 à la MJC Pacaud à Cannes, label consacré aux scènes electro underground. « Industriel » est ici à prendre au sens très large du terme, englobant aussi bien l'electro-indus, l'indus bruitiste / power electronic, le rock indus, l'indus tendance techno, l'EBM. En effet au fil des années, le festival a vu défilé des groupes comme Dive, Sonar, Sucide Commando, Corpus, Legendary Pink Dots, Covenant mais par contre jamais de dark ambient...
Malgré que l'ancienneté du projet remonte à 1991 et sa pérennité dans son style, RAISON D'ETRE assurera la première partie du festival et débutera sa performance à 20h30. Un horaire certes bien tôt mais comme on le sait, ce style de musique touche un public limité et les débuts de soirées évitent les heurts avec les tendances festives du public en fin de soirée qui peut se montrer désagréable avec ce style de musique. D'ailleurs même dans le cadre d'un festival plus ciblé, le public peut se montrer bien bavard et peu respectueux, comme j'ai pu le constater lors d'une performance de Desiderii Marginis qui oeuvre dans le même style et du même label. En ce début de soirée, le public n'est pas encore nombreux et rentre progressivement pendant la prestation très ambiant de RAISON D'ETRE qui semble imposer le respect aux arrivants qui ne connaissent pas malgré un certain va et vient de curieux instables (notamment des « gothiques »). Toute la prestation pourra se dérouler devant un public assis, plutôt silencieux, dans une configuration cinéma... Et que dire si ce n'est que ce sont là les conditions adéquates pour assister à une performance de RAISON D'ETRE. J'avais pourtant eu des d'échos négatifs des rares personnes ayant vu le groupe parlant d'ennui sur scène, d'une musique ambient qui perdait de son effet sur scène... Effectivement, RAISON D'ETRE est une formation particulièrement ambiante, seul l'excellent (et meilleur à mon avis) Propectus est plus rythmé et cet album n'est pas du programme malheureusement. Le reste est clairement méditatif, de longues plages ambiantes spirituelles et méditatives, remplies de sonorités religieuses (samples, cloches, etc...) qui ont étonnement été mises en retrait sur le récent septième album Metamorphosis qui marque une évolution. Peter Anderson a réalisé ce soir là une très bonne performance. Assis, dans une salle immense, plongés dans la pénombre, face à un Peter Anderson, situé à gauche sur la scène, caché non pas simplement derrière un ordinateur mais tout un ensemble d'appareils et de sources sonores (metal, etc), accompagné d'un grand écran à sa gauche projetant des films aux images prenantes assez hypnotiques évoluant très lentement et collant ainsi parfaitement à la musique. Nous avons assisté à une très bonne expérience de dark ambient dans les conditions adéquates pour apprécier ce style : le silence (enfin relatif, la fin étant plus agitée avec du va-et-vient de curieux très vite lassés..), l'obscurité, assis, notre corps étant ainsi comme absorbé par ses images qui renforçait l'aura de cette musique hypnotique. Quand au contenu, le dernier album a été mis à l'honneur, insistant ainsi sur le côté industriel, et bruitages, plutôt que sur l'aspect clairement spirituel de RAISON D'ETRE. Pourtant, la musique apparaît spirituelle via un autre moyen. C'est en cela que RAISON D'ETRE a su se renouveler, des morceaux plus anciens ont pu se glisser parmi une playlist composé de long morceaux s'enchainant sur les 45 minutes, comme le très bon Evocation avec ses samples de soeurs, issu de In sadness silence and solitude . Le sommet de la soirée étant ainsi déjà passé et ayant comblé mes attentes, c'est avec curiosité que j'ai assisté aux shows suivant.
J'avais déjà vu Ah-cama Sotz lors d'un concert il y a quelques années à l'Usine de Genève, mais je ne m'en rappelais guère (s'agissait-il plutôt d'un side projet ?!?). La transition entre les deux groupes est assez brutale. Seule la mise en scène reste la même, à savoir un seul membre qui s'installe à la droite de la scène, devant sa table de mixages et ses machines et des vidéos projetées en fond. La musique est une sorte de tribal electro-indus avec une imagerie et des projections occultes et intéressantes flirtant avec un folklore satanique en fond faites à base de montages de films, d'images, et de vidéos. Finie l'assistance méditative, le public se met progressivement debout peu après le début de la prestation et commence à danser, Ah-cama Sotz qui ne fait d'ailleurs plus tout jeune avec ses 13 ans d'activité (contrairement à Peter Andersson étrangement), gesticulant avec passion derrière ses machines, la soirée prend alors une autre tournure et devient electro devant un public très réceptif.
S'ensuit Architect que j'avais également déjà vu, dans le cadre du festival Electron de Genève en avril 2007. Sur la grande scène cannoise, Architect n'a plus le côté underground qu'il avait à Genève, devant un public bien moins nombreux. Il semble ce soir très connu et apprécié bien que n'ayant rien sorti de nouveau. Cela va s'en dire que le public n'est pas sans savoir qu'il s'agit du nouveau groupe de Daniel Meier de Haujobb passé sur cette même scène en janvier 1998 lors de la troisième édition. Architect reprendra d'ailleurs un morceau de Haujobb pour terminer le show avant le rappel qui comblera le public. Daniel Meier quitte alors ses machines et passe devant, micro à la main, et dansant sur une musique bien plus mélodique, loin des bidouillages et autres sons cassés, vers quelque de bien plus electro-pop et boum-boum, car entre Haujobb et Architect il y a un grand fossé. Peu de chant, pas de douces mélodies sur fond de boum-boum mais bien plutôt des bidouillages, des grincements, des sons certes dansants mais cassés (break-beats) et technoïdes, parfois groove mais plus techno que pop en définitive... Même si l'ensemble m'a paru plus mélodique que la première fois.
La tête d'affiche est un trio anglais de femmes intitulé Client, initialement un duo composé de client B au chant et Client A aux synthés, rejoint par une nouvelle membre à la basse. ce groupe a sorti son premier album en 2003 sur le label de Andrew Fletcher, le keybordist de Depeche Mode. Présenté parfois comme electro-pop, synthe-pop ou parfois comme electro-cold, je ne m'attendais pas à quelque chose de très intéressant, ne connaissant d'ailleurs absolument pas ce groupe qui n'avait pas retenu mon attention avant d'être sur l'affiche de ce festival. J'ai donc été bien surpris en découvrant le groupe sur scène car cette prestation s'est révélée vraiment très appréciable pour finir finalement cette soirée en beauté qui finalement aura été bien du début à la fin. Certes, on est dans quelque chose de bien plus léger que l'atmosphère méditative et hypnotique de RAISON D'ETRE, cela va de soi. On a même là dans ce festival deux choses qui n'ont aucun rapport, avec des morceaux construits en couplet-refrain avec de bonnes mélodies et des airs mémorisables. Mais il faut reconnaître qu'il s'agit de bonnes compositions et d'un groupe qui a du charisme. Ce trio féminin a développé son univers bien à lui avec son style à la fois glam, froid, strict et sensuel. En fond, sont projetées à nouveau des vidéos qui semblent tourner autour de la marchandisation du corps féminin et de l'exigence de beauté. Musicalement, le groupe pratique de la cold-electro-pop pourrait-on dire qui parfois rappelle les sonorités du Depeche Mode des années 80's, à la fois mélodique et minimaliste. Ayant prolongé après coup mon immersion dans Client, il semble que les compositions du groupe soient meilleures sur scène, qu'elles soient aussi plus puissantes. Cela est peut-être dû à la présence de la basse et puis au charisme de l'ensemble. Il semblerait également que Client ait puisé les meilleurs morceaux de ses trois albums, comme Radio ou l'excellent Price of Love de City sorti en 2004 ou encore le très bon Here and Now du premier album éponyme de 2003 ou des morceaux moins bons que le public semblait fortement apprécié comme Pornography sorti en clip ou Down of the Underground de City . Il s'agit paradoxalement de la formation la plus jeune de la soirée dont le succès a été fulgurant avec de nombreux singles, la prestation a pourtant été longue avec de nombreux morceaux et quelques rappels.
Au final, un festival fort sympathique, je dirais que dans mon cas RAISON D'ETRE était le sommet. Là où pour beaucoup il s'agissait d'un entracte pour faire patienter un public très diversifié et nombreux venu ce soir là, globalement « alternatif » au sens large avec gothiques, punks, metalleux, rockers, squatteurs, technomen... La soirée s'est terminée par une soirée electro-indus aux tendances très technoïdes, où la fraction dite « gothique », au sens Tf1 du terme, avec peut-être un côté « bobo » en plus, s'en est donnée à coeur joie. Une bien sympathique soirée dans son ensemble, éclectique mais sélective. La programmation de ce festival est donc à surveiller.